bid my blood to run

Le sol tremble au passage de l'andalouse. Son regard noir était obstinément braqué vers l'horizon. Cela faisait plusieurs dizaines de minutes qu'elle courait ainsi, son corps massif lancé à pleine vitesse. Elle haletait, mais ne pouvait s'arrêter. Rapidement, la ligne d'horizon, parfaite limite entre la terre et le ciel, est remplacée par un gigantesque et interminable mur de pierre. Aussitôt, elle se retourne pour observer la progression d'un de ses bien rares, voire presque inexistants, traqueurs. Le fauve n'est qu'à quelques mètres d'elle, les babines retroussées, ses griffes luisantes au soleil raclant la terre jaune à chacun de ses pas.
Le sabot de Septenrê se prend dans une racine rabougrie. Maudite racine. Son corps lourd, semblable à une machine, bascule et s'écrase au sol dans un bruit sourd. Le sable abrasif râpe sa peau dorée et sa tête cogne le sol. Plus de choix, le prédateur bondit en sa direction.

▲ Naska est là. Il s'apprêtait à rebrousser chemin en voyant le fauve, lorsqu'il aperçut une jument dorée filer tel un éclair vers le félin. Il en était resté là, coi, à une dizaine de mètres. Rapide, l'étalon alezan n'écouta que son instinct lorsqu'il bondit lui aussi pour s'interposer entre la bête et Septenrê. Oreilles plaquées contre son crâne, antérieurs fouettant l'air, grondant, il fait barrage et s'étonne lui-même.

Un éclair roux interrompt le saut de la mort du fauve gris. L'andalouse claque des dents et se relève aussitôt, ignorant les douleurs provoquées par le choc, et attaque le félin de front. Mauvaise idée. Ou très bonne. Une patte griffue s'abat violemment sur son visage courroucé, y laisse une marque ensanglantée, traversant sa tempe jusqu'à ses naseaux. Pas le temps d'avoir mal. Dans un bond, elle le plaque au sol, et le frappe de son sabot. Une fois, deux fois, trois fois. L'attaquant ne réagit plus. Le sang s'écoule de son visage d'or, et tombe au sol.

▲ Elle le contourne, saute sur le fauve. En moins de temps qu'il n'en faut pour y penser, elle a tué la bête. Quel genre de jument sa route a-t-elle croisé, au juste? Un véritable tank, aussi rapide qu'une fusée et aussi féroce qu'un T-rex. L'alezan n'a pas pu décrocher son regard de la scène, du sang, de la jument, des coups, des jets de sable et de terre qui volaient à chaque coup. Tétanisé, il lance un regard limite terrorisé à la dorée.

Elle s'arrête enfin, s'immobilise pour reprendre son souffle. Le sang lui coule dans les yeux. Septenrê contemple le cadavre quelques secondes, et se retourne vers l'inconnu. Elle plisse les yeux à la vue de son air choqué « Quoi? dit-elle d'un ton bourru, C'était soit ça, soit j'y passais. Et toi aussi au passage. »

▲ On aurait pu courir. Rétorque-t-il, avant de déglutir. Mais je présume alors que je dois vous remercier. Merci alors. Il baisse les yeux, encore légèrement sous le choc.

Courir. Jusqu'où? Jusqu'à quand? Il faut savoir faire face aux problèmes et arrêter de fuir, parfois. La perlino toise le mâle, des pieds jusqu'à la tête. « J'ai pas besoin de te reconnaissance, j'ai pas fait ça pour toi. » lâche-t-elle, désinvolte.

▲ Il se retint de lever les yeux au ciel. Je vous la donne volontiers. Il renâcla. C'est vrai, elle n'en avait peut-être pas besoin, mais elle pouvait bien la recevoir, sa politesse. Enchanté, sinon. Il la dévisagea sans s'en rendre compte, cette jument lui rappelait quelqu'un, vraiment...

L'andalouse souffle des naseaux, regardant le jeune inconnu de ses yeux inexpressifs. « Septenrê. » lâche-t-elle. Septenrê n'avait jusqu'à présent jamais usé de politesse certaine, et trouverait ça sûrement jusqu'à son dernier souffle absolument inutile. Autant passer directement à l'essentiel.

▲ Et voilà que le nom se mettait lui aussi à chanter à ses oreilles un air de déjà vu. Naska. Soudain, il tilta, et ses oreilles reculées se pointèrent d'un seul movement vers la grande dorée. Vous êtes la mère d'Oroszlàn!

Elle acquiesce, et l'observe longuement. Non, rien. Personne ne lui a parlé d'un Naska. « Tu connais Oroszlàn, donc. Il est qui pour toi? » balance-t-elle.

▲ Mon demi-frère. C'était sorti naturellement, du tac au tac. Comme s'il le disait tous les jours, et ce n'était pas le cas. Et mon ami. S'empresse-t-il d'ajouter, confus face à la tournure de la situation.

Septenrê hoche la tête en silence. Oui, Solheim lui avait dit qu'Oroszlàn ne serait pas le seul de ses enfants. « Qui est ta mère? »

▲ L'étalon ne voyait pas de mal à répondre, quoiqu'une certaine méfiance envers l'inconnue naissait en lui. Il ne la connaissait pas, après tout. Gladys, la jumelle de Nox.

Celle qui s'était faite violer, donc. 7 hoche la tête. « Formidable. » Et elle se détourne, posant le regard sur la carcasse dont déjà une dizaine de mouches étaient venues s'occuper. Il fallait déplacer ça, ou bien il pourrirait au soleil et pourrait causer de nombreuses maladies.