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La jeune égyptienne s'engouffre dans la sombre entrée des galeries, savourant la fraîcheur de l'obscurité sur sa peau. Avec les jours, ses mouvements se font toujours plus lestes et agiles. Elle descend en quelques pas les marches poussiéreuses, talonnée par Nyv. Jumelles dans leur condition, elles doivent s'entraîner pour s'élever au-dessus des mortels qu'elles ont rejoint.

Nyveèn était satisfaite de sa condition de mortelle à présent, mais elle se souciait beaucoup de l'état d'Hekâ. Bien qu'elle soit forte et puissante, elle semblait être attachée à son passé d'immortelle. Alors la petite faucheuse se devait de faire tout pour satisfaire son double, et de l'aider à surmonter cet état éphémère qu'était la vie. Pas de repos pour les tueuses. susurre t-elle comme si elles pouvaient être sous écoute.

Les deux petits monstres sillonnent les couloirs, silencieuses et agiles. Elles sont épaule contre épaule, n'ont pas besoin d'élever la voix pour communiquer. Un sourire effleure les lèvres de la petite égyptienne aux paroles de sa Nyveèn. Bientôt, elles ont quitté toute lumière du jour, et arrivent sous quelques torches enflammées accrochées aux murs poussiéreux. Tout est sable et silence, leur pas sont étouffés. Hekâ finit par s'arrêter, et visse ses yeux d'or, où les flammes se reflètent en ondulant, dans ceux de son alter ego. Elles sont seules, coupées de toute présence extérieure à l'étrange couple qu'elles forment. Il est temps que tu comprennes pourquoi notre condition nouvelle nous rend vulnérables, Nyv, annonce-t-elle, et ses murmures résonnent dans les galeries. Ces quelques mots dits, elle s'appuie sur ses postérieurs pour soulever son corps encore malingre, et pousser de ses antérieurs l'akhal dans le mur. Avant, nous étions maîtresses de nos corps immortels. Maintenant, nous en sommes les esclaves. C'est si facile de mourir, maintenant. C'est si facile que tu meures ... En deux pas, elle s'approche du visage de la fille de la Veuve, détaille ses traits taillés à la plus élégante des serpes. Et je ne veux pas que ça arrive. Ça ne doit pas arriver. Et si ça arrivait, si toi, tu mourais ... Elle ne peut terminer sa phrase, n'ayant aucune idée de ce qu'il pourrait se passer. Elle ne contrôlerait plus rien, voilà tout.

Son visage se fige au son de sa voix, dans une sculpture divinement belle. C'est quelque chose qu'on ne pouvait nier chez Nyveèn, cette beauté de visage. Si cela arrive, je prendrais soin de t'emmener avec moi. Elle avait conscience de la mort, de la vie, et de ce que Hekâ ressentait à ce moment même. Nous sommes toujours maîtresses de la vie des autres, et personne ne fera de nous des esclaves, si ce n'est la mort. Le choc avec la paroi est presque consenti; elle sait comprendre les intentions d'Hekâ. La petite araignée déploie alors ses fines pattes autour du corps du petit coyote. Plus si petit que ça.

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C'est sûrement par Nyveèn qu'Hekâ apprend la beauté. Qu'elle apprend à contempler, à trouver l'élégance, le charme, l'attrait. Nyveèn est la première chose belle qu'elle ait vue : les jambes oblongues, le visage fin, les yeux en amande. Noirs. Noirs comme deux onyx polis et brillants. Mais l'égyptienne ne s'attarde pas là-dessus pour le moment. Cela ne doit pas arriver. Mais si tu meurs, je meurs. Des mots dits rapidement, presque sans importance. Pourtant leur arrière-goût est d'une profondeur interminable. Une promesse macabre et sacrificielle, qui ne peut venir que d'elles. Qui pourrait mieux se sacrifier qu'elles, qui sont nées de la mort ? Les paroles de l'akhal ne la satisfont pas. Ce n'est pas ce qu'elle a envie d'entendre. Pour l'instant, nous ne sommes rien. Tu n'es rien. La seule chose que nous avons, c'est le souvenir d'avoir été immortelles. Nous devons apprendre, Nyveèn, apprendre à trouver notre force dans un monde où nous ne sommes plus en haut de la pyramide. Nous devons retrouver notre place, annonce-t-elle après avoir encaissé, sans quitter des yeux son alter ego, son croche-pied presque avorté.

Brutalement, Hekâ revient à la charge, coinçant le corps svelte de la noire entre le mur et elle-même, pour mieux mordre l'encolure frêle. Sentir la chair de Nyveèn céder si facilement entre ses dents, et le sang s'y répandre avec autant de fluidité que de l'eau, fait glisser un frisson poisseux le long de son corps, jusqu'à lui faire avoir un haut-le-coeur. Trop facile ! C'est bien trop facile d'abîmer Nyv, tout le monde peut le faire. Mais personne ne doit plus le faire. Personne ne doit essayer, et c'est pour ça qu'elle le fait aujourd'hui.

Nyveèn ne répond pas - elle n'en a pas le temps de toutes manières. Mais si elle avait pu lui répondre, dans un tout autre contexte que celui-ci, calme et posé de préférence, elle lui aurait rappelé les mots de la Veuve Noire. Ceux qui disaient qu'elle n'avait jamais eu à se battre, que la manière d'obtenir était celle par les mots. C'est certainement celle qui plaisait le plus à la petite araignée, mais il fallait qu'elle fasse ses preuves auprès d'Hekâ, qu'elle s'emplisse de cicatrices, qu'elle se forge aux lames dentaires du coyote. Si c'était les siennes, qu'importe ? Tant que personne d'autre ne touche à son corps, tout ira bien pour la petite noire. Un soupçon de cri aiguë s'arrache de sa gorge, impossible d'en saisir le sens finalement, pas même elle ne sait interpréter s'il s'agit d'un plaisir caché ou d'une douleur effroyable. Après un retour imminent au silence, elle tente de déstabiliser Hekâ.

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Les mots ont un pouvoir qui dépasse l'entendement. Les mots guérissent, les mots tuent, les mots aiment et haïssent. Et à plusieurs reprises, Hekâ a su en user d'une manière assez subtile pour plier les autres à son intérêt. Rowena avait un don, c'est certain, un don qui ne pouvait être possédé que par elle. Et Nyveèn et Hekâ ne sont pas la Veuve. Elle doivent être meilleures. Elles doivent être parfaites, c'est inscrit quelque part dans leur peau, dans leur sang. Elles auront tout le temps qu'elles veulent pour laisser glisser, ramper leurs mots, autour d'elle et en elles. Mais là, dans l'instant, c'est la force de leurs corps mystérieux et inconnus qui doit émerger. En réalité, Nyveèn n'a pas besoin de prouver quoi que ce soit à Hekâ. Chacune a fait ses preuves à l'autre avant même de naître. Mais c'est contre les autres que l'égyptienne fait souffrir la chauve-souris aujourd'hui. C'est pour que personne d'autre ne la fasse souffrir. C'est pour qu'elle devienne intouchable. Qu'elles deviennent intouchables. Et plus tard, dans la nuit peut-être, Nyveèn entourera le petit coyote de sa langue brumeuse.

D'un bond agile, elle évite l'attaque timide. Hekâ visse son regard ambré dans celui de la noire, sans pouvoir cacher son intense réflexion, ses plans sur ce qu'elle constate. Elle sait très bien que Nyveèn porte son coeur vers les mots, les dialogues bien construits, orientés et efficaces. Et Hekâ aussi. Elle a d'ailleurs hâte de pouvoir contempler les talents richement hérités de Rowena. D'un contre de l'épaule manquant de puissance, Hekâ tente de faire tomber l'akhal.

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Nyveèn se sent dépassée de loin par Hekâ. Elle n'a pas profité assez de son temps libre pour se confronter, s'améliorer physiquement. Elle n'est décidément pas une lame qu'il faut forger à coup de coups, mais un onyx scintillant qui prend de la valeur avec le temps. Elle songe à quitter Hekâ, la planter sans un mot, et partir en boitant, affronter le commun des mortels et les mortels communs. Revenir plus forte, avec une meilleure condition. Mais elle encaisse, et riposte du contre de l'épaule par une morsure subtile là où elle peut bien encore s'accrocher.

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Mais ce n'est pas fini. Nyveèn doit comprendre. Et elle sait qu'Hekâ va toujours, toujours, quoi qu'il arrive, au bout de ses idées. Les faibles ripostes de l'akhal l'irritent fortement. Elle craint, avec les sombres menaces qui les entourent. Non pas pour elle-même, mais juste pour Nyv. Si elle ne sait résister aux assauts de son alter ego, elle mourra sous ceux des parias. Ses yeux s'assombrissent, ses mâchoires se serrent, et elle encaisse sans broncher la gentille morsure. Nyveèn ! siffle-t-elle. La rage grimpe vite dans son corps. Beaucoup trop vite par rapport à la normale. Si elle avait appris dès sa naissance à ressentir, elle pourrait se maîtriser à cet instant. Mais elle ne se maîtrise pas. Et dans un excès de colère et d'inquiétude, elle frappe Nyv au visage. Le coup résonne, le silence retombe. Hekâ se fige. Elle sent, quelque part dans l'air et dans les éclats de son cri qui vibrent encore, qu'elle a été un peu trop loin. Elle recule d'un pas, puis s'approche de la petite chauve-souris. Pardon. Ses yeux dorés la fixent comme deux phares aveuglants. C'est allé trop vite. La colère.