Every tears flying

Vala. Le nom était inscrit grossièrement dans la pierre. Shiiro connaissait par cœur chaque détail de cette triste scène. Chaque mot gravé dans le marbre froid, chaque courbe ou fêlure de la pierre tombale, sinistrement dressée. Venir la voir était devenu un besoin obsessionnel. "Il faut que je tourne la page." Avait souvent pensé Shiiro. Mais c'était trop dur, d'oublier un amour pareil, un amour non déclaré, et pourtant si fort. "Si seulement on avait pu vivre un peu, profiter, ensemble. Cela n'aurait pas été aussi difficile, pour nous deux." Mais elle maintenant, elle est heureuse, oui, elle l'a bien dit la dernière fois, dans la grotte de cristal qui réveille les morts. Elle a retrouvé son premier amour... « AAARGH !! »

L'étalon blanc frappa rageusement dans la masse dure. Un coin vola en éclat. Il se sentait trahit, abandonné, seul, terriblement seul. Tout cela par sa propre faute. "Si j'étais resté... si j'étais resté..."

J'ai dû m'assoupir quelques heures... mais c'est le cœur battant que je finis par émerger de mon profond sommeil et que je quitte le rêve qui l'accompagnait. Dans les moments où mon esprit erre dans mes souvenirs les plus profonds, le temps semble s'arrêter. Il fallait que j'oublie. Le coeur battant la chamade, je pris le galop sans plus attendre, crins au vent. Une fuite. Je galope, la brise fraîche du matin me fouettant le visage, le paysage défile autour de moi comme les fines couches de pelicules qui révèlent un film. Peu à peu, j'évolue dans ma course - je parcours des sentiers et des campagnes avec l'excitation qui peu à peu me gagne. J'imagine le calme après la tempête qui m'attend. Je pense au soleil qui va enfin pouvoir me réchauffer la peau une fois les nuages levés. Je contemple les rares animaux agglutinés les uns contre les autres à la recherche d'un peu de chaleur, les cimes des arbres qui se balancent au gré du vent.. un sinistre chemin mit fin à gambade déchaînée. Le silence, un silence lourd qui dominait les lieux vint se poser contre mon coeur. Poids lourd. Il fut rompu par un étalon, non loin de là, qui crachait sa haine à qui voulait bien l'entendre. Mes orbes sombres l'examinèrent scrupuleusement. Je ne savais guère s'il fallait lui sourire ou le craindre, lui dire un mot gentil, ou bien se taire. Et lorsqu'on ignore quoi faire, alors il faut se rappeler que le silence est d'or.

Il soufflait bruyamment, contenant toute la tristesse, et cette colère, immense, toujours refoulée, cachée. Shiiro n'avait jamais accepté la colère. Voilà pourquoi, pourquoi cet être semble si fragile, frêle, à fleur de peau. Parce qu'il est au bord de la crise, prêt à craquer, n'importe où, n'importe quand, prêt à dire la vérité à ceux qui lui ont fait tant de mal. Car oui, plus que les sabots, les mots creusent les plus profondes blessures.

Le Perlino fit volte-face. Une légère sueur perlait l'arrête fine de ses naseaux palpitants. Son regard ardent s'implanta dans celui de l'inconnue. « Vous êtes contents ? Tous ? » Ses traits se durcirent. « VOUS ETES CONTENTS ?! » Il fondit en larmes, sanglots, hoquetant comme un chien battu devant les faits, devant sa vie ratée. Shiiro n'était bon qu'à pleurer de toute façon, car il était trop tard, et quand il est trop tard, on a plus que les larmes à verser.

L'histoire se déroula très vite - il avait déjà fondu en larmes, et je n'en comprenais ni les tenants ni les aboutissants. Je m'étais toujours mise en arrière, dans ce type de situation, depuis ce pacte avec moi-même qui voulait que j'reste sage, que je place toujours sur le devant de la scène ma méfiance plutôt que mon hospitalité, mais ces larmes brûlantes qui déferlaient sur ses joues blêmes me serraient le coeur. Chassez le naturel, il revient au galop. Depuis que j'étais sur ces terres, ma vision des choses avait changé et je faisais tout de travers - à quoi bon reculer en si bon chemin. Je vins à sa rencontre, à petits pas, un air rassurant dessiné à présent sur mon visage, les oreilles pointées vers l'avant. Sans ambiguité aucune, par simple compassion, je lui soufflai de l'air chaud sur les naseaux "Ça.. fait du bien de pleurer. Pleurez autant que vous le souhaitez - j'ai une robe imperméable" sussurai-je, avec une pointe d'humour sur la fin pour calmer les esprits. Je ne pense pas qu'il était réceptif à ce genre de choses mais, qui ne tente rien n'a rien mes braves

Ma robe est imperméable. Dans le rideau de détresse humide, un sourire éclaira le visage meurtrit. Il s'apaisa, rien qu'une présence compatissante suffisant à chasser la noirceur, la colère nostalgique qui le prenait à la gorge, de plus en plus souvent. « Je m'appelle Shiiro. » Drôle de présentations, dans un drôle de lieu. Mais la vie n'est-t-elle pas bizarre ?

Et son regard s'égara sur la cicatrice du mâle. Il détourna la tête, cachant ses meurtrissures. « Pourquoi ? Sûrement parce que je suis seul, terriblement seul, contre tous les autres qui me jaugent de haut, me considère comme faible. Ils ont raison, c'est cela le pire. » Ses yeux bleus plongèrent au sol. « Et pourquoi je suis seul ? Sûrement parce que mon impuissance et la mort ne font pas bon ménage. » Son cœur se serrait de haine et d'accablement. Sa voix se radoucit, comme portée par le vent, apaisée. « C'est beau, Epsilone, poétique même. »

A ses mots, je poussai un large soupir - pourquoi diable tout le monde me rappelait de façon si claire ce qui avait toujours été un défaut de premier ordre chez moi : le manque de confiance en soi ? J'avais essayé de le combattre, mais chaque lutte laisse des traces. Je me souvins de la toute première chose qu'il* m'ait dite, cette fois où j'étais lovée contre un arbre, par une tempête de neige, refusant toute aide extérieure et clamant ma solitude comme seule amie, douce compagne. Je me souviens de ce qu'il me disait, par la suite, et tous ces souvenirs m'éclatèrent à la figure. L'air grave, mais la voix suave, je dis du tac au tac "Les autres jugent parce qu'ils sont face à des apparences. Ils ne vous connaissent pas autant que vous vous connaissez. Alors laissez-les parler, mais aidez-les à savoir qui vous êtes vraiment, au plus profond de vous-même. Apprenez à vous faire confiance, et si c'est ce que vous souhaitez, alors vous paraîtrez plus fort. Personne ne mérite la solitude." La psychologue avait parlé.

C'était de belles paroles, dignes d'être écoutées et suivies, mais c'est un regard mortifié qui se tournait vers la jument noire. « Quand on ne sait pas qui être ? Comment fait-on ? » Shiiro s'en retourna à regarder la tombe de son aimée, perdu. Il avait été perdu dès l'instant où il était partit de ce haras tant chéri, dont il avait une peur noire à présent. Après ce que les hommes lui avaient infligé. Il grimaça, c'était comme si sa plaie au visage se rouvrait. « Vous est-il déjà arrivé de vous trouver devant plusieurs portes, dans le noir, à attendre choisir laquelle prendre ? Quel chemin de vie prendre ? » L'étalon frissonna, l'air devenait moins chaud. « Moi, chaque nuit, je me retrouve devant ces portes, sans savoir qui être. »

Les souvenirs étaient parfois de belles roses séchées qu'on laisse dans un vase, pour se remémorer les bonnes choses - mais d'autres fois, ils étaient aussi tranchants que des lames de couteau. Je me mordis la lèvre et chassai tant bien que mal ces horreurs de ma tête "je.. je n'savais pas qui j'étais. Je crois que je me pose encore la question, aujourd'hui. J'ai appris à vivre avec." avouai-je, le ton morne. "J'ai pleuré, j'me suis cassée la gueule une paire de fois contre la terre, j'en ai bouffé. Mais je me suis accroché aux sourires des autres en me disant que la vie pouvait quand même être belle. J'ai pris la porte de la vie et maintenant je reçois sans nécessairement donner, ça m'évite de souffrir à nouveau. Vous devriez essayer.. On ne peut vivre sans foi ni confiance en soi-même" ma voix sincère et emprunte de mélancolie essuyait les larmes qui perlaient sur le visage du perlino. C'était un sabot que je lui tendais, celui qui avait la force de relever quiconque. Je savais pourtant qu'il allait le refuser, tout était bien trop frais dans sa tête - je me revis encore, toute aussi entêtée et meurtrie.

Shiiro aurait pu refuser, comme tous les autres. Il aurait pu trouver n'importe quel argument pour s'en sortir d'une pirouette habile, justifiant ainsi le malheur dans lequel il évoluait depuis. Mais l'étalon n'était pas comme les autres. Il ne l'avait jamais été. Le miroir de la société avait beau lui avoir renvoyé cette image de l'étalon fébrile, et froussard, qui n'avait d'autre choix que de subir la violence brute et bête des autres - car la mode semble-t-il, est aux personnalité viles et cruelles, exerçant leur quasi invulnérabilité physique et mentale pour l'obtention d'un plaisir malsain et extatique, Shiiro était un être sage. Alors, il étreint ce sabot tendu, de toutes ses forces, remontant au-delà de celui-ci même, pour enfin recouvrer l'espoir. Le saint espoir. « Alors, je prendrais la porte de la vie, en espérant qu'un jour, ma guérison me permette de prendre la porte du bonheur. » Il frissona. La nuit sera longue. Salvatrice. Une porte s'ouvrira, sur un nouveau chapitre.

Aux premiers mots qu'il laissa échapper, une boule m'obstrua la gorge. Ma tentative était vaine, une fois de plus, et je ne pus rien faire d'autre que soupirer. Ça ne servait à rien, il ne souhaitait pas être aidé - la fierté des hommes et des bêtes était façonnée ainsi : personne n'acceptait l'aide de personne. C'était simple. Mais, qu'avait-il dit ?! une lueur d'espoir étincela mon regard. Une porte du BONHEUR, avais-je bien entendu cela? Un large sourire s'étira sur mon visage "eh bien vous savez quoi? Vous avez fait le bon choix. Et croyez-moi, c'est toujours le plus dur à faire, le bon choix !" dis-je simplement, d'une voix chaleureuse. Depuis quelques temps, je m'étonnais à agir en psychologue. Je n'avais jamais désiré autant le bonheur des uns et des autres jusqu'ici, à croire qu'un nouveau chapitre s'ouvrait aussi pour moi, ce matin. "Je me propose d'être votre guide vers le chemin du bonheur, Shiiro" mes mots étaient sincères, réfléchis. J'ignorais cet instinct maternel qui rôdait parmi les tréfonds de moi-même.. comme quoi, la vie est pleine de surprises.

Le bon choix est toujours le plus dur à prendre. Elle avait raison, et Shiiro avait honte d'admettre qu'il avait choisit de dériver jusqu'ici sur le chemin le plus lisse, mais le moins satisfaisant : le chemin de l'abandon. Aujourd'hui, il avait décidé de se battre, pour la vie, l'amour. L'amour, l'étalon le trouverait, aussi fort qu'avec la défunte Vala. L'espoir nouveau faisait danser dans ses prunelles azur la flamme d'antan. Elle lui proposait d'être son guide, Shiiro hocha la tête, esquissant un sourire usé. Il devait reprendre cette habitude si simple, sourire. « Alors je me ferais un plaisir de parcourir ce chemin avec votre aide. »

C'est dans ces instants où je me perdais parmi les chaussettes sales de mon passé : la tristesse que j'ai pu endurer quand il est parti, la solitude, la rage, le vide. Soupir - je finis par secouer la tête, comme pour chasser ces idées maussades. "Génial. Je propose de fêter ça par une petite rando, qu'en pensez-vous? " proposai-je tout sourire. Sans attendre de réponse, j'entamai déjà le pas vers les feuillages qui recouvraient la quasi totalité du petit sentier sur notre gauche. Il ne pouvait pas refuser, c'était un cadeau de la maison - et pas n'importe lequel, il offrait une nouvelle vie à l'étalon : le temps des amours, des merveilles et des passions (un peu eau-de-rose, mais ça fait du bien de temps à autres. Sinon les Feux de l'Amour n'auraient pas fait un tabac il y a vingt ans).

Il hocha la tête et se mit à la suite de la jument noire, heureux. C'était étrange, de se sentir heureux, à nouveau. « Merci. » Dit-t-il doucement, avec toute la reconnaissance possible. Après tout, ne lui avait-t-elle pas ouvert la porte d'un chemin meilleur ?