vivre pour survivre, souffrir pour mourir

L'esprit de la petite Iwa est dérangé. Mille questions se posent pour elle. Plus les jours s'écroulent sous ses sabots, plus les questions la tourmentent. Surtout au sujet de son abandon. Elle ne comprend pas pourquoi sa mère n'était pas restée avec elle ? Pourquoi était-elle partie sans rien dire ? Il y a certainement une raison à donner pour le geste de sa mère, néanmoins la pouliche l'ignore. Elle se souviendra toujours, ses deux pupilles noires qui l'ont fixée. La seule et dernière chose qu'elle se rappelle de sa maman avant qu'elle ne parte, la laissant dans les terres nordiques comme une poupée qui finit à la poubelle, une fois qu'elle a été usée ou que la petite s'en est lassé. Mais comment pouvons-nous punir un innocent de la sorte ? Iwa n'a pas mérité ce sort. Sa mère aurait du assumer son rôle malgré sa jeunesse, au lieu de fuir ses responsabilités.

Et quand est-il du père ? Elle ne l'a jamais vu. Elle sait qu'il n'avait pas accompagné Alisha dans sa détresse, qu'il était absent le jour de sa naissance. Elle se pose la question. Peut-être la recherche-t-il à travers les vastes terres de Galop Sauvage ou est-il comme sa mère, ne voulant point endosser son rôle de papa ? Donc, c'était une partie de jambe en l'air, sans importance. Elle se sent seule, indésirable. Elle ne comprend pas pourquoi elle est née dans de telles conditions. Des ultimatums qui agressent son esprit, la foudroient et la font douter. Est-elle promise à un joli destin qui, pourtant, a mal débuté ? Elle veut savoir son avenir, s'il lui prédit de grandes choses. Pour le moment, elle se bat pour avoir de la nourriture. Elle ne pourra pas que taxer sur Caelis, il faut qu'elle fasse preuve d'autonomie, ayant été sevrée à quelques heures suivantes sa naissance.

Il fait nuit. Le temps orageux a cédé sa place à un ciel calme. La lune est pleine et les étoiles se multiplient dans le ciel marine. La peur procréée par le tonnerre s'était envolé et la petite Iwa peut se promener tranquillement dans la réserve. Malgré ses questions, la pouliche cherche de quoi vivre. De la nourriture et de l'eau.

Des égoïstes, ces jeunes. Oui, ils pensent qu'à s'amuser et à profiter. Mais nous le savons tous que la vie n'offre pas de cadeau. Et la petite Iwa est le cadeau empoisonné pour ces deux chevaux qui ne se sont jamais aimé mais qui pourtant sont passés à l'acte. Elle ignore qu'autre part, une demi-sœur profite de la présence de son père. Cette Mara qui aura sûrement une plus belle vie que la pouliche bicolore. Elle aura la chance d'avoir un papa qui sera lui envoyer l'amour qu'elle le mérite. Pourquoi ce ne serait pas le cas de la petite Iwa ? Elle n'a rien fait pour être punie de la sorte. Elle se demande comment sont dispersées les âmes dans les différents corps de poulains non nés. Encore une question qui n'aura jamais de réponse, et il faut faire avec.

Le ciel présente un joli spectacle avec sa lune, entourée d'un halo de lumière, plonge la réserve dans une lueur blanchâtre. Les lumières sont les milliers de figurants de la pièce qui est jouée dans les cieux. La petite Iwa observe ce magnifique ciel tandis que son ventre appelle à l'aide. Il gronde et lui retourne les tripes. Elle progresse dans les hautes herbes qui sont aussi grandes qu'elle. Elle arrive à se camoufler et ne faire qu'un avec cette nature. Sans se douter, la pouliche se dirigeait vers un étalon. Ce fameux Budapest. Son père dont elle ignore l'existence. Comment leur rencontre se passera-t-elle ? Arrivera-t-il à deviner qu'en face de lui se trouve le fruit de sa semence ? Sera-t-il aveuglé et ne remarquera-t-il pas que la petite Iwa a les mêmes yeux bleus que lui ?

En tout cas, elle fait frémir les hautes herbes, qui pousse l'étalon à s'inquiéter. Elle finit par se découvrir et s'ébroue pour enlever les brindilles de sa robe salie par la boue. Oui, elle est moche. C'est ça, les poulains orphelins. Elle n'a pas sa mère qui lui nettoie le corps et qui la nourrit. Elle est maigre, squelettique. Elle plonge ses yeux inquisiteurs dans ceux de Budapest. Elle est surprise par ce regard qui est le même qu'elle. Ses prunelles qu'elle a pues observer dans un lac grâce à son reflet.

La menace n'est pas un serpent venimeux mais c'est la petite Iwa. Elle sent que l'étalon s'est détendu et lui sourit, simplement. C'est vrai que c'est troublant de voir une pouliche aussi maigre, à errer seule. Certes, il y a plein d'orphelins mais sûrement plus dégourdis que la petite Iwa. Elle n'a pas encore goûté l'herbe. Son dernier repas était le lait que Caelis lui a offert, il y a deux jours, voire plus. Son estomac crie et les maux de ventre lui arrachent une grimace.

La petite Iwa reste focalisée sur cet étalon. Elle ne se doute pas qu'il s'agit de son paternel, mais elle prend conscience de sa ressemblance niveau robe avec lui. Elle ne connaît pas sa grand-mère, mais elle a du hériter comme Budapest de son habit bicolore. Que fait-elle toute seule ? La pauvre, elle est contrainte à la solitude depuis qu'Alisha l'a laissée, abandonnée à un combat infernal pour survivre dans cette nature dangereuse. Elle ignore que c'est une partie de la faute de l'étalon qu'elle a en face.

Au nom de « maman », la pouliche dresse ses oreilles puis ses yeux se baissent, lui rappelant de vilains souvenirs dont elle aurait préféré chasser que de les garder. Elle se rappelle de ses yeux qui l'ont fixée, ses deux prunelles noires avec une lueur unique. Cette image s'est gravé dans sa tête. Elle ouvre la bouche, avant de la refermer. Ça ne sert à rien d'essayer, aucun son ne sort. À croire que la petite Iwa est muette. Forte, elle ne pleure pas. Pourtant la situation peut lui arracher des larmes. Non, elle fait avec. Elle sait que ça ne ramènera pas sa mère et il faut qu'elle soit courageuse.

Seulement, la petite Iwa ignore l'identité de ses parents. Elle a juste le souvenir de sa mère qui reste ancrée dans son esprit, mais elle ne peut pas dire à l'étalon comment ressemble sa maman car les mots lui manquent pour la décrire. Cette mère irresponsable, il la connait parfaitement. La petite Iwa est le fruit des entrailles d'Alisha et de la semence de Budapest. Mais tout comme l'étalon, elle ne se doute pas que son père est en face d'elle.

Elle a faim, très faim. Une question stupide puisque son ventre gronde depuis un moment déjà. Son corps squelettique prouve que la nourriture est pauvre chez elle. Elle a de l'endurance pour la faim, son dernier repas date de Caelis, qui s'est proposé en nourrice. Ce lait qui lui a été précieuse, lui a permis d'errer deux jours sans manger. Au moins, elle a appris à tenir longtemps sans nourriture. Néanmoins, son estomac la ramène à la raison. Il faut qu'elle se nourrisse et vite, avant de tomber en hypoglycémie.

Même si elle ne parle pas, elle arrive à comprendre ce qu'il vient de lui dire. Budapest veut l'amener à l'Empire, la petite Iwa ne peut que le suivre. Si elle reste ici, seule, elle finira par périr. Elle ne détient pas encore le réflexe de se nourrir d'herbe, venant de naître. Elle a besoin de lait, celui qui sort des mamelles d'une jument. Elle acquiesce la proposition de cet étalon d'un signe de tête et d'un pauvre sourire dessinée sur son visage osseux. Patiente, elle attend qu'il lui montre le chemin.