Les mots d'un debut -

Etrangement, à sa question, tes lèvres cendrées esquissent un demi-sourire, mi-surpris mi-amusé. En danger ? répètes-tu de ta voix grave, posée et pourtant brûlante, comme un animal tapis prêt à bondir. Est-ce qu'elle a peur de toi ? Est-ce que tu fais peur, Solheim ?
Tu secoues doucement la tête. Il y a encore quelques temps, c'est moi qui aurais été en danger sur ces terres. Mais la paix est revenue, et même si l'on ne fait pas partie d'un territoire, rien ne nous empêche d'aller en visiter les terres. Tant qu'il n'y a aucun conflit.

Tu sens ta mâchoire se crisper douloureusement. Douloureusement parce qu'elle se souvient, elle aussi. D'un coup presque fatal, qui l'avait déboîtée, suite à un rude combat. Mais tu ne parviens à desserrer les dents qu'assez pour murmurer, à peine audible, vers l'intéressée : L'étalon qui dominait ces terres était fou. Fou et cruel. Il avait fait de nombreuses victimes dans les autres territoires et même dans le sien. Curieusement, tu ne parles toujours que de lui, alors qu'ils étaient deux. Obsession malsaine pour Ramsès. Il était fou.

Nous sommes pareils toi et moi, Solheim. Tu fermes les yeux très forts avant de les rouvrir la seconde d'après, fuyant le regard de la douce palomino.

Sur ton visage, une ombre de douceur et de misère nostalgique s'empare de tes traits. Certains étaient esclaves de cette brutalité, d'autres étaient complices de cette violence. Tu te racles la gorge. Tu fuis toujours son regard. Mais depuis sa chute, ça a changé, rassurez-vous. Puis ses mots te prennent, t'étreignent dans une étreinte douloureuse – quasi mortelle. Tu braques d'un seul coup tes iris vers elle, comme un phare à la lumière noire, si noire. Un sourire déforme tes lèvres. Ton expression douce et apaisée se change pour un sourire qui appartient au Diable, qui n'a rien de vraiment sain. Parce que tu es fou aussi, Solheim, et tu le sais. La vie me dévore déjà. La folie a déjà pris trop d'emprise. Tu te rapproches d'un pas, puis t'arrêtes net. Tu secoues la tête, te reprends, recules. Comme un pantin soumis à deux marionnettistes. La main de l'Ange et la main du Diable. Oh Solheim, lequel des deux gagnera cette partie ? Murphy ou Solheim ? Ta mère adoptive ou ta mère biologique ? Tu frissonnes tout entier. Si changeant, si instable, si déstabilisant. Imprévisible. Ton regard la fuit de nouveau. Parce qu'elle te fuira, elle aussi, quand elle saura, quand elle aura compris quel mal te ronge de l'intérieur comme un charognard s'attaquant à une âme déjà morte.

Et c'est sans doute la pire des folies que d'être son propre destructeur. Ton sourire malsain se change soudainement en une expression peinée, celle d'un enfant abandonné, d'un orphelin sans défense. Tu sembles soudain perdu. Tes émotions contradictoires prennent le dessus, ton corps n'est plus qu'un pantin, qu'un messager des deux parties qui s'affrontent en toi.
Proche de la schizophrénie peut-être, mon grand.
Ton souffle est rauque, ta voix est presque un gémissement quand elle s'élève. C'est dur. Il est fort. Très fort. On ne sait pas bien de qui tu parles exactement. Tu détournes les yeux, envisages un instant la vision de la lune et du soleil, dans le même ciel.
Exactement comme pour toi. L'ange et le démon dans le même corps. L'étoile et le trou noir dévorant le même espace. Pourquoi en est-on arrivé à parler de ça ? chuchotes-tu alors, redevenu terriblement neutre, comme si un masque de fer avait repris place sur tes expressions faciales et corporelles. Tu ne la regardes pas, te demandant réellement comment est-ce que tu es venue à parler, avec une inconnue, de cette folie qui te ronge comme une cacophonie.