wonder what's wrong with me Δ ecclesya

Tout est devenu romantiquement effrayant. La demoiselle a l'impression de le voir. D'entendre sa voix suave. Elle secoue la tête. C'est impossible, bon sang. Elle commence à s'en aller. Fuir ces souvenirs cruellement heureux.

Ses orbes ambrées fixent le parterre fleuri qui défile rapidement sous ses sabots. Ses oreilles délicates sont aplaties contre sa nuque. Il la hante, encore et encore. Veut-il l'emmener avec elle dans les tréfonds moisis des Enfers? Elle s'arrête. Des jambes noires apparaissent dans son champ de vision. En une fraction de seconde, elle s'imagine le meilleur, ou le pire. Son regard figé se relève lentement, doucement, pour finir dans les prunelles sombres d'un parfait inconnu. Elle soupire. De soulagement, de déception. Mais son regard reprend sa triste froideur, malgré l'infime lueur désespérée au fond de ses yeux.

Combien de temps cela faisait-il qu'elle n'avait pas croisé âme qui vive? Au moins deux ans. Elle restait ébahie, envoûtée, par cette première présence, faite de chair et d'os, et non d'illusions et de chimères. Ses lèvres s'entrouvrent légèrement pour placer un mot sur ce silence, mais rien ne sort. Elle demeure captivée par le regard immobile de l'étalon d'obsidienne.

Quant à elle, c'est le silence qui la plonge dans un sommeil éveillé. Le silence qui se fait brusquement, comme si autour d'eux, tout s'écroulait, et laissait place à un vide total, les laissant là, seuls, encore. Mais on ne peut pas rester indéfiniment en apnée. Elle semble reprendre conscience. Et sous la force de ce retour au réel, la muse démente recule d'un pas, un seul, minuscule. Ses prunelles jonglent entre les deux yeux du Mâle, comme si rien ne pouvait l'en détacher. « Je ... Ecclesya. » murmure-t-elle d'une voix brisée par tant d'années de solitude et de silence. Dévoilant son nom, à cet instant, il lui semblait se dévoiler toute entière.

Ses yeux cillent un court instant. Ses fins muscles se tendent brièvement sous sa délicate peau brune. Ses naseaux se dilatent, mais toujours son regard reste captif de celui du mâle aussi étonnant qu'envoûtant. « Ne l'oubliez pas ... s'il vous plaît.  » Ne l'oubliez pas comme on m'a oubliée et abandonnée.

Ses lèvres charbonneuses se pincent légèrement. Ils ne parlent pas vraiment, mais, au final, n'en ont pas besoin. La muse reste immobile, il s'approche d'elle. Ses oreilles se dressent; sa promesse lui semble tant réelle. Son ton de voix grave et vibrant, solennel presque, laisse entrevoir un passé sombre. Elle abaisse très légèrement la tête. « Et ... puis-je donner un nom à votre regard?  » chuchote-t-elle de sa voix douce et basse, rappelant les clapotis d'un ruisseau.

Son cœur se serre. L'adonis s'approche lentement d'elle, lui fait accéder à son aura mâle et vibrante. La demoiselle ne parvient pas à esquisser le moindre mouvement, et son souffle se coupe lorsque leur bouches se frôlent. Jusqu'à ce qu'il atteigne ses oreilles. Et qu'il lui dise son nom comme il délivrerait une promesse. Oh, les promesses. Son amant passé lui en avait tant fait, jusqu'à ce qu'il s'envole comme un oiseau qu'on ne reverra jamais. « Et moi, que dois-je faire de votre nom? » demande-t-elle d'une voix sans timbre. Et ses lèvres remuent silencieusement pour graver en lettres d'or son nom dans sa mémoire.

La belle profite du regard attentif à la nature du somptueux animal noir pour laisser ses orbes larmoyantes glisser lentement sur ses courbes musculeuses et pointues, avant de relever le regard lorsque sa réponse se dévoile portée par une voix suave, ensorcelante. Elle soupire, inaudible. « Y a-t-il encore quelconque préciosité dans notre monde? » demande-t-elle de cette voix qu'ont ceux qui confondent futur et décadence.