◉ la mort des artistes

Oh oui, quelle chance comme tu dis. Elle mime un faux sourire. Le tutoiement mutuel s'était fait naturellement, elle n'y avait pas prêté attention. Ça ne la dérange pas. Le mystérieux inconnu ne semble pas décidé à lui dévoiler son identité, et la jument en reste légèrement intriguée. Pourtant elle laisse le suspens planer et ne pose aucune question. En suivant le regard de l'étalon, elle aperçoit l'obstacle « La rivière gagne en profondeur à cet endroit. Il suffira de nager pour se faufiler entre les parois. » Elle s'arrête « Tu sais nager ? » Elle espère.

Socrate est impressionné par la clairvoyance de la sauvageonne qui semble bien vouloir le guider. Des deux, il n'était peut être que le seul à explorer les lieux et se faisait berner par la connaisseuse du territoire qui cherchait à l'entraîner dans les tréfonds du Levant pour l'y perdre.
« Bien sûr. Mais je n'aime pas ça » L'animal se demande s'il va suivre l'inconnue dans cette aventure périlleuse ou s'il va rebrousser chemin, sa curiosité toujours assoiffée.

C'est bête. « Dommage pour toi » Elle le raille. Elle reprends le pas, et à mesure qu'elle s'approche du passage étroit, elle s'enfonce aisément dans la rivière. L'eau glisse délicatement sur sa peau douce, son encolure disparaît sous la surface et n’apparaît désormais plus que son visage. La jument passe entre les deux parois, et se retrouve de l'autre côté. Disposée sur la berge, elle se retourne pour voir si l'inconnu avait fait de même.

Ça l'intrigue de ne pas savoir ce qu'elle peut voir de là où elle est. Ça l'intrigue d'être séparé d'une éventuelle découverte par sa flemme et son manque d'envie de traverser une petite flaque d'eau. Peut être savait-elle parfaitement où elle allait et Socrate allait-il manquer quelque chose de fantastique - ou de terriblement banal -. Qu'importe, le mâle entre dans l'eau, frissonnant lorsque celle-ci recouvre peu à peu son corps. « Et maintenant ? » Demande-t-il une fois arrivé de l'autre côté, mouillé jusqu'aux os et commençant déjà à trembler de froid.

« J'espère que tu as faim. » Il semble plutôt frigorifié.. mais pas de radiateur dans les parages, désolé. Il n'empêche qu'il l'a suivie, aussi hésitant qu'il se comportait précédemment.

Elle est incontestablement plus robuste que lui. Socrate est impressionné de voir que le sexe n'est rien dans la nature et que le plus masculin des étalons peut se retrouver être un chaton comparé à une jument déterminée. Il est plutôt satisfait de cette rencontre ; il n'avait jamais rencontré de sauvageonne comme elle. « Non. Mais je te regarderai manger » Fait-il, désireux de continuer à la suivre. Il a rarement faim comme il a rarement soif et rarement sommeil. Ses besoins sont plus qu'élémentaires et il fonctionne souvent à la manière d'un robot... ou d'un psychopathe.

Étrange bonhomme dont elle a croisé la route. Légèrement contrariée par le refus de son invitation, elle n'y fait pourtant aucune allusion. Elle suit le guet et au détour d'un virage, débouche sur un immense manguier. Elle glisse un petit clin d’œil à l'étalon comme pour lui dire "ça valait le coup hein?" Elle se tient debout sur ses postérieurs, appuyée contre l'imposant tronc. D'un vif geste, elle saisit l'un des fruits.

Socrate est fasciné autant qu'il est vexé ; lui qui avait assuré à cette inconnue que la voie était sans issue, le voilà atterri au Jardin d'Eden. Animé de gestes méthodiques, il s'approche de l'arbre, tend son encolure pour humer les fruits, ouvre à peine sa bouche pour lécher cette chose colorée dont il ne connaît pas le nom. « Tu es sûre que tu peux manger ça ? » Pour une fois, sa question n'en est pas vraiment une. Il se doute qu'elle sait ce qu'elle fait, autant qu'elle a su le mener jusqu'ici. Pourtant il veut savoir. Cet arbre l'intrigue tout autant que ses fruits, tout autant que cette jument.

« Evidemment » Affirme t-elle très sereine. D'un robuste "croc", elle plonge sa dentition dans le délicieux fruit. Elle mâche lentement pour savourer ce goût si sucré et cette matière si duveteuse. La baie ferme même ses yeux, narguant de plaisir l'étalon.

Socrate est tenté, sa curiosité est piqué et il va pour imiter la jument mais son manque d'expérience l'empêche de faire tomber le fruit jusqu'à lui. Ses vaines tentatives l'énervent, le frustrent tant il n'apprécie pas la défaite. L'animal se tourne alors vers la sauvageonne, un air dépité largement dépeint sur son visage. « Tu pourrais me montrer à nouveau ? » Il tente de sourire mais l'on sait bien que ses lèvres sont tendues pour exprimer la sympathie, elles reflètent plutôt un large malaise et n'offrent pas souvent l'effet escompté. Mais Socrate apprend à se socialiser et à copier les attitudes qu'il rencontre.

Elle fronce les sourcils. Il avait précédemment refuser son invitation, on ne change pas d'avis si facilement avec Isildure « Tu veux goûter peut-être ? » Hasarde malicieusement la jument.

Socrate ne sent pas la malice de la jument, il se laisse berner par ses paroles parce qu'il ne cerne jamais le second degré. « Oui » Répond-t-il simplement en approchant de la sauvageonne.

Elle sourit « Quel dommage.. Tu te contenteras de me regarder manger, vu que tu n'as pas faim. » Oui elle est mauvaise avec ce pauv' gosse qui veut juste découvrir les mystères du monde ; parce que oui elle est encore contrariée intérieurement.

Socrate sourit à ce qu'il croit être de l'ironie, de la mauvaise foi et du jeu. « Tu ne dois pas avoir beaucoup d'amis » Constate le mâle en imaginant de possibles connaissances appréciant réellement la présence de la jument. Ne pouvant s'imaginer dans le lot, ne pouvant jamais s'imaginer mêlé au reste du monde.

Elle lève les yeux au ciel. C'est vrai qu'elle compte largement plus d'ennemis que d'amis. A vrai dire a t-elle au moins un ami ? Elle ne s'en souvient pas. « Ce n'est pas un problème. » Affirme t-elle en tout sincérité.