~ think you lost your mind.

Cineàd.

Elle observe le torrent rougeâtre avec une excitation qu'elle ne cache pas. Ce que c'est beau. Beau et dangereux. Donc magnifique. Elle adore ça. Elle se tient tout au bord, là où le souffle chaud peut embuer sa vue. Elle inspire à fond l'odeur du brûlé, se délectant d'imaginer mille folies. Mille vices. Mille offrandes qu'elle pourrait donner à la rivière.

le danger n'a jamais fait subir une attraction chez la grise. non, elle est raisonnable et elle évite le risque quand elle le peut. elle se rappelle de cette vague apportée par les bipèdes, animaux que otsoa déteste. ils ont souillé leurs anciennes terres et les chevaux ont dû migrer. depuis, elle n'a pas revu gulliver ainsi que minuit. ces deux êtres, qui avaient une place importante dans son cœur, ont disparu tout en laissant un goût amer au fond de la gorge de la jument. elle se souvient de ces derniers mots prononcés par le grand noir alors qu'elle s'est ouverte à lui tout en lui offrant une part de son intimité. toute la magie de l'amour écrasée en une seconde.

ses pensées qualifiées de néfastes laissent plonger la jeune dans une culpabilité dérangeante. cette dernière la ronge et la hante, lui avançant des souvenirs qui lui apportent des regrets. otsoa sait qu'elle ne peut pas retourner en arrière, qu'elle doit progresser malgré le vide au fond d'elle. son bonheur, cette once de joie qui se lit quotidiennement dans ses prunelles, semble s'être éteint. elle ignore ce qui la tracte encore dans cette vie, ayant été contrainte de supporter le poids des abandons de son entourage.

toute cette parade enfouie dans son crâne. elle la submerge de mauvaises ondes et la guide à travers les différents royaumes. elle s'éloigne du sien. elle le comprend par le changement de climat. la terre noire, volcanique, remplace le tapis blanc déployé dans les terres nordiques. il n'y a pas cette brise fraîche comme au nord qui l'accompagne et la caresse de sa douceur. l'atmosphère s'est réchauffée. elle s'approche du torrent ageb, lieu qu'elle ne connaît pas. ce royaume ne l'inspire pas et cela s'accroît quand une coulée de lave se rapporte à son champ de vision. chancelant également dans ses pupilles dilatées, une silhouette équine, se montrant immobile face au danger comme si elle veut le braver.

Cineàd ne le brave pas. Nul danger n'est de taille pour la terrasser. Pour l'instant, elle n'a réellement trouvé aucun rival vivant ou naturel à sa taille. Face à sa rage de vivre (il ne s'agit pas d'une joie de vie, plutôt d'une colère contre le monde entier, d'une revanche qu'elle sent avoir besoin de prendre), rien ne lui a jamais fait face.
Elle observe le fleuve ardent avec une fascination machiavélique. Un sourire discret mais carnivore éclaire son visage sombre et elle se retourne soudainement d'un bond. Un volte-face léger par rapport à sa carrure, et ses deux billes noires se glissent lentement contre la silhouette de la grise, jusqu'à remonter à son visage, le détailler, le dévorer déjà ; et son sourire s'agrandit. Elle s'avance vers elle, nullement inquiétée d'avoir la lave dans son dos. Après tout, elle en a déjà fait une alliée. Une promesse. « Tu ne sembles pas à l'aise. » note-t-elle pour tout salut. Après tout, qui le serait ?
Qui le serait, sauf elle ?

la silhouette s'approche et otsoa montre qu'elle est dépourvue de confiance dans ce royaume. ces terres lui semblent hostiles, prêtes à la piéger aux moindres faux pas de la grise. ses yeux fixés s'embrasent de l'angoisse qui la tient. elle voit au coin de son champ de vision la progression de l'inconnue. elle tourne ses prunelles vers elle. elle l'étudie. contrairement à elle, cette jument montre qu'elle n'est pas atteinte par la peur. elle a l'air de ne faire qu'un avec son environnement.

c'est une habituée des terres, ce que otsoa finit par conclure. elle ne se retournera jamais, elle se doit de garder un œil sur la tranchée creusée par le liquide brûlant et destructeur. elle a peur que ce dernier la prenne d'assaut dans un moment d'égarement. son visage trahit sa méfiance, sa crainte envers le paysage du royaume des sables. elle sait qu'elle n'a jamais été douée pour cacher ses émotions donc la remarque de l'autre ne la surprend pas.

« je... non. » même dans l'intonation de sa voix, elle montre son désarroi. elle a honte de son émotivité, de sa sensibilité. otsoa se sent faible, elle se sent esclave de ses émotions. elle regarde la jument, admirant sa bravoure et son courage. la grise n'a jamais été téméraire, elle a toujours fui le danger. le regard de l'inconnue pèse sur la jeunette. cette dernière baisse les yeux. elle ne parvient pas à entretenir la discussion, à prononcer un mot. elle laisse l'inconnue d'engager la suite de la conversation.

Le malaise grandit. De plus en plus.
Cineàd le voit dans chaque détail. Dans la voix hésitante de la jument, dans sa posture méfiante, dans son regard fuyant. Son sourire s'agrandit. « Pourtant, le torrent ne va pas te dévorer, tu sais. Il ne prend que les offrandes qu'on daigne lui offrir. » Elle dévoile, sous ses lèvres cendrées, des dents d'un blanc éclatant, ne se gênant pas pour toujours continuer de dévisager la grisette des pieds à la tête.

une offrande ? la jeune grise déglutit. elle se voit être poussée dans la lave pour un sacrifice. elle a toujours été douée à s'imaginer le pire qu'il peut se passer dans une situation. elle regarde la lave pendant que ses pensées prennent en otage sa conscience. elle finit par s'en rendre compte et ainsi les chasser. elle se focalise sur l'inconnue. « en êtes-vous sûre ? » le liquide brûlant peut déborder et ainsi toucher les deux protagonistes qui restent au bord de la tranchée.

ses muscles se crispent quand elle entend le vrombissement au loin. « nous ne sommes pas en sécurité. » elle conclut ceci avec le regard fuyant. elle ne se sent pas dans son élément ici, près de la tranchée de lave. elle va encore paraître faible, mais otsoa ne peut rien y faire. l'inconnue semble ne pas être pressée, ne pas s'inquiéter avec ce sourire qui étire ses lèvres. la grise aimerait savoir d'où l'autre jument tire sa force.

Mais Cineàd tire sa force de rien. Justement. Rien à perdre, tout à gagner. Elle ne manquerait à personne si elle disparaissait du jour au lendemain. Mais ça n'est pas encore son heure. Endurcie par une enfance menée par les entraînements intensifs, la sirène grise n'a connu qu'une seule règle, qu'une seule loi : celle du plus fort. Elle ne quitte pas la grise des yeux et soupire en l'entendant. « Et pourquoi devrions-nous toujours être en sécurité ? » demande-t-elle en levant un sourcil, n'ayant jamais trouvé nul réconfort à se sentir "saine".