ı la tempête après le calme ı

« Comment s'appellent-ils ? Je les connais peut-être. » demande-t-elle, notant néanmoins le changement de ton de la jument grise. Signe qu'elle se contrôle, pour ne pas laisser, sûrement, d'autres souvenirs plus amers remonter à la surface. Elle espère qu'il s'agit de Teal ou de Ghanan, peut-être même des deux ! Par déduction, ce n'est pas Eryn, et Akan semble bien loin des allures nobles d'Hérézy pour être son fils.

Un éclair illumine les iris sombres de la petite. « Ghanan oui ! Je l'ai rencontré il n'y a pas longtemps, avec Pandore. » fait-elle avec un grand sourire. Ainsi ce jeune étalon qui avait fait le paon devant elle n'était autre qu'un des fils d'Hérézy, qu'elle apprécie beaucoup. Le monde est trop petit ! Ça la fait sourire. « Il est pas mal d'ailleurs, ton p'tit gars » murmure-t-elle avec un sourire espiègle au bord des lèvres. Elle cesse son manège, se disant qu'il fallait qu'elle rencontre le deuxième, Aaren. « Ils sont jumeaux ? »
Elle est curieuse, et c'est nouveau pour elle. Elle qui ne s'est jamais intéressée à d'autres vies que la sienne. La question suivante ne la gêne pas. Pour une fois, elle est face à quelqu'un qui n'aura pas de jugement sur elle, car visiblement, Hérézy ignore tout de ses origines. Si elle savait comme elle se trompe... Elle penche la tête sur le côté. « Je ne les considère pas comme mes parents. Ils ne m'ont pas élevée, ils n'ont jamais été là. » Elle inspire, sans laisser passer une seule once de trouble ou de colère. Juste une indifférence contrôlée, maîtrisée. « Ma mère s'appelle Hel, elle vit aux Sables. Mon père s'appelle Oroszlàn. Je crois qu'il vivait ici, avant. »

Et puis la bombe tombe. Comme un projectile, comme un obus destiné uniquement à blesser. Ou du moins à surprendre. Parce que c'est l'effet escompté ; Lov est surprise. Elle ne s'y attend pas, pensant enfin depuis le début s'être retrouvée devant une personne inconnue de tout son héritage.
Mais non. Elle reste sans voix pendant de longues minutes, dévisageant Hérézy. Le regard qu'elle croise est aussi perdu qu'elle l'est, elle. Et ça ne l'aide pas. Elle tente de se reprendre, maladroitement, et baisse les yeux, se sentant oppressante, peut-être même agressive. Et elle ne le souhaite pas. « Décidément, il est déjà passé partout où je vais.. » Comment sortir de l'ombre d'un fantôme pareil ? Il la hante comme un esprit paranormal. « Est-ce qu'il est le père de tes jumeaux ? » demande-t-elle d'une voix blanche, sans aucun accent, sans émotion. Parce qu'elle a repris le contrôle, la petite.

Et derrière son calme olympien, la yearling tente de repousser la vague qui menace de l'assaillir. Une vague de colère sourde et froide. « Il a trahi Sydän. Il t'a abandonnée. Il m'a abandonnée, moi comme tous ses enfants, dont Redjim et Maddison. J'espère qu'il n'osera plus jamais se montrer ici. » Elle serre les dents. Ses mots sont justes et posés, vibrants par la haine qu'elle ressent, sans avoir connu cette ombre mystérieuse qu'elle n'a fait qu'entrevoir. Mais sa voix est meurtrière.

Pour une fois, voilà quelqu'un qui ne cherche pas à le défendre à tout prix comme s'il était un roi tout puissant et divin. Comme si tout le monde lui devait respect et honneur. Comme s'il n'était que beau et bon. Lov, elle, sans l'avoir connu, connait déjà de lui tout ce qui lui confère cette haine sombre envers son père. Elle reste calme, presque trop. Stoïque, la yearling reste droite. « Je sais. Mais personne ne m'a jamais dit quoi en faire, si ce n'est de m'avoir laissée avec ce sale cadeau. » Elle fulmine et d'un seul coup, les boulons qui tiennent son barrage semblent céder. Elle se grandit et les flammes dans ses yeux noirs deviennent plus brûlantes que jamais. « Sais-tu que je suis le fruit d'un inceste ? » murmure-t-elle, les dents serrées par la colère.
Elle n'a rien demandé, elle. Ils regrettent son arrivée.
Elle aussi.

« Bien sûr que je suis mieux que lui ! » s'exclame la yearling, d'un ton fort et entendu. Pour elle, ça n'a jamais été un doute, toujours une évidence. Elle ne peut qu'être mieux que cet étalon qu'elle méprise au plus haut point. Gare à lui s'il se représente ici un jour. Et pourtant, une petite partie d'elle aimerait bien. Le rencontrer. Le connaître. Avoir des explications.
Elle se calme doucement, soufflant, appréciant l'air léger de la jument grise même si elle n'y croit pas. Après tout, elles parlent de comment son père l'a trahie. « Ghanan et Aaren ne souffrent-ils pas de cette absence paternelle ? » demande-t-elle doucement, plus calme. Peut-être qu'eux ont pu trouver un père adoptif, du moins une figure masculine les guidant dans leur apprentissage de la vie.

« Tu as l'air d'avoir bien réussi. Ghanan est un jeune étalon très jovial. » fait-elle avec un léger soupir, ne cachant pas, peut-être, sa déception qu'ils soient du même sang. Mais qu'est-ce que ça change, au fond ? Ne s'est-elle jamais dit qu'elle n'aimerait jamais ? Mais peut-être que ça change beaucoup.

Elle sourit à Hérézy, peut-être pour la rassurer. Elle ne tient pas rigueur de son ton changeant, sachant qu'elle lui fait aborder des sujets difficiles pour elle. Sans savoir quoi ajouter, la yearling reste silencieuse, passant ses naseaux le long de l'encolure de la grise, comme si les rôles s'étaient inversés.

Lov hoche la tête. « Oui, pas mal. » Elle ose un sourire. « Certains me considèrent comme leur amie, d'autres sont tellement hautains que je les ai laissés de côté. » Elle braque de nouveau ses prunelles sur la grise. « Toi, tu dois connaître plein de monde. »