sage comme un orage

MERDE! Grosse pute. Énorme pétasse. Isildure frappe l'arbre en se cabrant. Maddison, Akan, et maintenant Zohra. Elle fait désormais partie du podium de la liste d'Isildure Bande d'idiots. Ne vous promenez pas seuls dans les bois.

Le son résonne d'un bruit creux, las, vide. Ça interpelle Lövojka, qui relève la tête, lâchant pour quelques instants l'oiseau étrange qui avait pointé le bout de son nez sur le chemin. Elle fronce les sourcils. L'oiseau s'envole, elle tressaille. Dans ce lieu calme et romantique – ambiance qui ne la touche pas, ni ne la concerne d'ailleurs – la silver déambule, se remettant en marche, d'une allure toujours prestigieuse malgré sa carrure imposante. Ses yeux noirs se braquent immédiatement sur une silhouette qui l'est tout autant. Un sourire satisfait s'affiche brièvement sur les lèvres de la lionne. Enfin l'occasion de la rencontrer. La seule dominante qu'elle ne connait pas, qu'elle n'a vu que de loin lorsqu'elle épiait le rassemblement des sables. Elle se demande ce qu'elle fait si loin de chez elle, en terres libres.
L'air de rien, avec cette innocente si parfaitement maîtrisée, Lov s'approche d'un pas cadencé. « Quelque chose ne va pas ? » C'est qu'elle n'a pas l'air joviale, la cheffe du sud. Elle observe, maintenant plus près, sa musculature noueuse et impressionnante. C'est vrai qu'elle en impose.

Quelque chose ne va pas ? Les mots résonnent dans le creux de sa tête. Mécaniquement, presque par automatisme, elle tourne brusquement la tête. Le voile noir qui couvre son encolure s'élève et se mêle à l'atmosphère désagréable qui émane d'Isildure, avant de retomber contre son corps humide. Les tiges ébènes agrippent ses muscles à travers la transpiration. Elle saisit un point fixe dans les yeux de l'inconnue et s'y accroche violemment. La réponse met un long moment à arriver, comme si pendant tout ce temps la panthère dégustait l'orbite de la lionne. Pour moi si. Pour le futur connard qui prendra le Sud par contre, il semblerait qu'il ait très mal choisi son adversaire.

Son regard la déstabilise, elle doit bien reconnaître qu'il est plein de détermination, de force, et de colère, comme l'est le sien. Elle ne répond pas de suite et l'attente semble interminable à Lövojka, qui pour la première fois sans doute, a l'impression d'être devant une proie s'apprêtant à la dévorer. Pourtant, elle ne montre aucun signe de peur ni même de méfiance, gardant son allure assurée à toute épreuve. Il est vrai qu'Isildure est impressionnante. Quand elle répond enfin, Lov ne comprend pas de suite. Elle n'est plus dominante ? « Que veux-tu dire par là ? Tu n'es plus à la tête des Sables ? » Malgré qu'elles ne se soient jamais rencontrées en personne, la fille d'Oroszlàn sait très bien qui elle a en face d'elle. Elle l'a déjà observée lors de ses intrusions au Sud, et après tout, elle est née sur ses terres.

Non. Grogne t-elle. Mais ça ne saurait tarder. Le Sud est à elle, elle l'a gagné, elle l'a mérité. Elle le récupérera, coûte que coûte. Elle détruira tous ceux qui s'y opposent et sacrifiera tout ce qu'elle aime.

La jeune lionne s'avance, avec l'assurance d'une vie entière déjà vécue, avec l'illusion d'être bien plus âgée et expérimentée qu'elle ne pourrait l'être, encore si jeune. Elle ne lâche pas l'ancienne dominante du regard, par audace ou insolence. « Je sais que tu ne veux sûrement d'aide de personne. Mais je peux t'aider. » Elle lui offre un sourire carnassier et, sûrement, dans ce sourire si bancal, peut-être Isildure peut apercevoir le reflet de celui d'Oroszlàn, quand ils jouaient ensemble, avec le feu, il y a si longtemps.

Lorsqu'elle approche, ne serait-ce que d'un mètre, la gorge de l'ébène retient un grondement. Cependant, il semble qu'il y ait quelque chose d'intéressant chez l'étrangère. Quelque chose de différent, mais de commun à l'ibérique. Une forme de ténacité, un trait de caractère qu'Isildure reliera inconsciemment à Oroszlàn lorsque l'heure sera venue. Du cran. Ou de l'inconscience. Les deux sont synonymes quand on aborde la Reine dans cet état. « Comment. » Le ton employé est si ferme que la question ne semble même pas en être une.

La jeune hausse les épaules, fait mine de chercher. Elle n'en a aucune idée. Pas encore. Elle ignore également pourquoi elle cherche à s'allier à Isildure, qu'elle méprisait tant quand elle était enfant, sans l'avoir jamais connue. Elle braque de nouveau son regard noir dans celui, équivalent, de la dominante. « Dis-moi déjà qui te l'a pris. »

Isildure plisse les yeux. Et qu'est-ce que ça changerait de savoir ça ? « Son nom importe peu puisqu'elle ne fera bientôt plus partit de ce monde. » Renâcle t-elle en secouant son épaisse chevelure ébène.

Elle. Déjà, c'est un indice. « Je vais avoir du mal à l'identifier si je ne sais pas son nom. » fait-elle remarquer sans se départir de son assurance.

Et puis merde, quelle importance, un vulgaire nom parmi tant d'autres. Isildure n'a plus rien à y perdre. « Le cadavre aura anciennement été appelé Zohra. » Grince Isildure en toisant du coin de l’œil la réaction de la jument face à cette nouvelle.

Pour toute réaction, les lèvres de la silver s'étirent en un sourire d’ammoniac. Elle sent un rire sec et moqueur fleurir au bord de sa bouche mais elle le retient dans sa gorge, fixant à la place la grande baie d'un oeil intrigué. « Comment une jument comme Zohra a-t-elle pu te battre ? Tu fais le double d'elle et je ne mettrai rien à couper que tu te bats mieux, également. »

C'est le cas. affirme t-elle du tac au tac. Alors comment a-t-elle pu perdre ? C'est la question existentielle de sa vie. Enfaite elle sait. Elle sent. Dans sa chaire, dans sa haine, dans son sang ébène. Mais le désir est l'étape d'une odyssée que personne ne parvient à surmonter.

Lov ne comprend pas, ou plutôt, elle a peur de comprendre. Elle fronce les sourcils, s'affirme face à Isildure, comme pour lui prouver que leur différence d'âge ne fait pas d'elle une enfant. « Le désir ? » répète-t-elle, pour pousser l'ibérique à s'expliquer, curieuse. Le désir, elle connait. Elle a apprit. Elle ne cherche pas à le contrôler, n'a jamais tenté de le faire jusqu'alors, et ne se repentit pas de ce qu'il l'a menée à faire.

Lorqu'elle m'a défié pour les Sables, j'ai ordonné qu'elle mette en jeu les Brumes. Parce qu'Isildure sait marchander. Si elle est contrainte de prendre le risque de perdre son troupeau, autant qu'elle ait une chance d'en remporter un autre. Mais peut-être n'aurait t-elle pas du, puisque c'est ce désir de vouloir toujours plus qui l'a menée à la défaite.