les rues de l'esprit

lövojka


Elle aussi a passé l'été terrée. Cachée, effacée, inerte. Une ombre.
Tout ce qu'elle n'a jamais été, au fond. Une ombre. Une ombre pour son fils, qu'elle a voulu tuer. Une ombre pour sa famille, à qui elle a parfois menti, qu'elle a parfois trompée. Elle frissonne. Sa tête se tourne vers le couloir à sa droite. Ses yeux sont parfaitement acclimatés à l'obscurité, comme si elle l'avait toujours connue. Un souffle d'air frais l'enrobe. Comme on doit être bien, au Nord. Pourtant, elle ne s'y montre plus. Elle ressent un sentiment curieux qui ressemble à de la honte fière, d'avoir voulu suivre Akan. De le suivre peut-être toujours.
Puis une odeur. Subtile, familière. Ses oreilles se dressent et son corps lourd et endormi se met en marche, comme inconscient, vers un de ses piliers.

Peut-être parce qu'elle est restée là trop longtemps. Comme si les galeries avaient absorbé toute son énergie. Toute sa vie. Mais la vie est bel et bien là, sous son armature parfaite. Lov sourit en entendant le bruit de pas. Il vient vers elle, parce qu'ils se rejoindront toujours. Lov le sait. Elle tourne la tête vers lui, posant ses prunelles d'ébène sur son frère. Trop invitée à l'imiter, sans un effort pourtant, elle sourit à son tour. Des mois que ses lèvres n'ont pas esquissé le moindre mouvement, que sa gorge n'a pas prononcé le moindre mot. « Red. » Un murmure, rauque, maladroit. Elle n'a pas bougé, mais ses yeux sont une invitation. Serre-moi contre toi.

Mais Lov n'a pas peur de lui montrer ses failles. Red, c'est comme une partie d'elle-même. C'est le pilier qui connait ses forces et ses faiblesses, qui devine ses blessures sans qu'elle n'ait besoin de les exhiber. « Non, pas vraiment en effet. Mais j'peux te faire le plan détaillé des galeries, si tu veux » fait-elle avec un sourire discret. Elle préfère prendre sa réclusion comme une blague, comme un amusement. Au fond, c'était volontaire de se replier ici, de se reconstruire, de tout retourner dans sa tête pour transformer les erreurs en force. « Je suis heureuse de te voir. » fait-elle doucement, sans peur de lui avouer non plus. Si elle a toujours juré, depuis petite, qu'elle ne s'attacherait pas, elle ne peut pas aller contre le lien qui l'unit à son demi-frère. Un lien qui va, elle en est sûre, plus loin que celui du sang et de la famille. Elle sent comme une force à la fois sombre et éblouissante qui les relie.

Elle hoche la tête. « C'est sûrement vrai, t'es encore plus asocial que moi » fait-elle en lui tirant la langue, appréciant cet échange entre sérieux et légèreté. Ça la rend plus légère, plus libre, comme plus vivante, le temps d'un instant. Elle sourit à ses plaisanteries, sans avoir le coeur à y prendre part pourtant. Red est comme ça et elle le sait. Il est bien le seul à pouvoir lui arracher un sourire, n'importe quand, même quand tout son être voudrait plutôt crier. Pourtant, à ses propos suivants, elle fronce les sourcils, sentant monter en elle une espèce de.. jalousie ? Elle ne peut pas être jalouse pour son frère quand même, si ? Pourtant, si. C'est bien le cas. Elle couche ses oreilles, lui adressant un regard peu amène, sans comprendre elle-même ce comportement qu'elle adopte soudainement. « Accompagné ? Par qui ? Encore une nouvelle conquête, Red ? » fait-elle d'une voix un peu plus sèche qu'elle ne l'aurait voulu. Ouais bon, c'est illégitime et déplacé de sa part, mais peut-être que le fait que son père et sa mère soient demi-frère et demi-soeur a un peu brutalisé sa notion d'inceste Ou peut-être qu'elle veut simplement garder Red pour elle toute seule, par égoïsme assumé.

pour moi aussi c'est bon



Elle lève les yeux au ciel, feignant la pure et dure jalousie. Sans doute se rabattra-t-elle ensuite dans ses retranchements pour dire que c'était que de l'ironie et un jeu de rôle, pourtant, elle ne peut nier à elle-même qu'il y a une part de jalousie qui est bien réelle. Comme une envie de posséder ce qui l'entoure. Red est à elle, point barre. « Elle t'a quitté ? Pff, elle sait simplement pas quelle chance elle avait de t'avoir Et puis bon, alors, c'est qui ? Tu es officiellement avec Isildure, ou c'est une autre encore ? » fait-elle en reprenant sa mauvaise humeur, sans lui répondre. Parce que oui, ça l'embêterait.

Elle s'en fiche, de la faute de qui c'est, au fond. Elle ne répond donc pas. Elle plisse les yeux. « Tu as adopté un enfant ? Et celui d'Isildure ? Parce que vous avez fait un gosse, non ? ¬¬ » Elle lâche un soupir cynique en détournant le regard, ce qui témoigne peut-être de sa gêne. « Si tu as besoin de déployer ton affection paternelle, y a un autre gosse qui en as sûrement besoin. »

Comment peut-il penser qu'elle n'a aucune affection envers sa nièce si elle n'a jamais rencontré celle-ci ? « Je n'ai jamais croisé ni Bryséis ni Boa. » Ni même son propre fils, en vérité, depuis le jour de la naissance. Depuis le jour où elle a essayé de le tuer. À la question de Red, elle ne donne pas confirmation. Cela semble logique ; Lov garde le silence, le regard ailleurs. Qu'est-ce qui cloche chez elle. « Je ne veux pas que quelqu'un ait besoin de moi. Personne n'a besoin de moi. »