ı la lumière

ı LÖVOJKA


Elle n'a pas le droit d'être ici, parce qu'elle n'est pas chez elle.
Mais elle n'a plus vraiment de chez elle. Alors, pourquoi ne pas se dire qu'elle est partout la bienvenue ? Loin de là, d'ailleurs. Mais ce n'est pas dans les habitudes de la lionne des Glaces de se poser la question. Elle est libre d'aller où elle le souhaite, et elle se bat pour le faire accepter par tous. Elle a pris un tunnel qu'elle a découvert il y a peu, pour se cacher, pour s'éloigner un peu. Lov arrive sur l'île de sa démarche imposante et féline, comme toujours, et ses yeux noirs parcourent les alentours comme pour y chercher un adversaire.

Elle vient de l'apercevoir et quelque chose a fait figer la lionne.
Lov n'a peur de rien, elle s'est toujours plu à le crier haut et fort, à le penser encore et encore. Pourtant, quelque chose la dérange, chez cette inconnue. Peut-être sa tête défigurée, peut-être ses crins abîmés. Des blessures qui n'en sont pas vraiment, comme si c'était un acte de naissance.
Ou bien de mort.
Elle n'avance plus et la fixe, durement, interrogatrice et méfiante à la fois mais son tempérament provocateur et fier prend rapidement le dessus. Elle se remet en route, droit sur la Reine, sans un mot, sans même se douter un seul instant qu'elle est face à ... sa grand-même.

Ses pas sont lourds, comme si elle allait s'enfoncer dans le sol. Lov dilate ses naseaux et l'odeur qui lui parvient n'est que décomposition, mort, dégoût. Pourtant, elle ne montre rien, insensible, indifférente aux choses qui l'entourent. Les dents claquent dans le vide, elle note qu'elle le fait souvent elle-même, et qu'on lui a déjà dit que son père le faisait, aussi.
Pourtant, elle ne fait pas le lien. Elle n'a jamais connu son père, n'a que très peu vu sa mère, et elle est bien trop bornée pour oser faire une comparaison avec elle-même. Mais elle devine quelque chose. L'autre la regarde comme si elle la connaissait et ça la met mal à l'aise. Ça la dérange. Elle fait un signe de tête à la dorée, qu'elle trouve majestueuse. « Qui es-tu ? » demande-t-elle d'une voix claire et vibrante. Elle ne la vouvoie pas. Lov est comme ça. Fière et imposée. Elle descend de Rois et Reines et si personne n'a jamais été là pour le lui apprendre, elle a ça dans le sang.

Mais Lov ne connait même pas le nom de ses grands-parents. Et, premièrement, son nom à elle ne lui dit rien non plus. Il lui évoque quelque chose. Ne lui a-t-on pas déjà parlé d'elle, il y a longtemps ? Quand elle était enfant, peut-être. Quand on parlait de sa seule grand-mère. Une seule, oui, puisqu'elle est la mère de ses deux parents. Le nom, n'était-ce pas celui-ci ? Septenrê ?
À vrai dire, elle ne se souvient plus vraiment, n'attachant depuis toujours aucune valeur aux ancêtres. Ça ne veut rien dire. On lui a toujours dit qu'elle était fille de rien, alors elle s'est battue pour tout avoir.
Pourtant, elle est fille de Rois. Elle offre un sourire légèrement narquois face à la tirade présentatrice de la grande dorée. « Eh bien, tout ça. »

Lov ne cille pas, ne montre aucune intimidation face à la Reine, qui en dégage pourtant bien plus qu'elle. Par l'âge, par l'expérience. Par moment pourtant, on croirait que Lov a déjà vécu un siècle. Elle la toise, elle aussi. « Lövojka. Fille de pas grand chose. Oroszlàn et Hel. Petite-fille de je ne sais pas qui. »

Tiens. Ses enfants ? Donc ce colosse doré n'est autre que sa grand-mère, l'unique et la seule, puisque ses abrutis d'enfants ont commis l'interdit ? Lov couche, à l'unisson de la Reine, ses oreilles sur sa nuque musculeuse et sombre. Elle toise l'ancienne dominante. « Je n'en sais rien, ils n'ont jamais pris la peine de se comporter en parents. Ton fils est parti à ma naissance, je ne l'ai jamais connu. Ta fille, elle, n'a jamais montré aucun intérêt pour sa progéniture, peut-être est-elle morte, peut-être le sont-ils tous les deux, tu ne les as pas croisé ? » grince-t-elle, désagréable, en colère. En colère contre la terre entière, depuis toujours, Lov. Peu importe. Elle finit par détendre sa mâchoire crispée et pousse un long soupir las. « Je n'ai pas besoin d'eux. »

Mais la petite – disons, comparée à cette grand-mère à l'âge à présent éternel – ne se démonte pas et sous le regard imposant de noirceur de la Reine, elle ne cille pas. Elle la fixe elle aussi, toujours et fait un pas vers cette étrangère qui semble mieux la connaître qu'il n'y parait. Elle lâche un ricanement sec. « Eh bien pour moi, disons que c'est justement leur désintérêt qui a fait de moi un monstre. Peut-être que si j'avais eu des parents, j'aurais été autre chose. » Mais l'aurait-elle vraiment voulu, au fond ? Qui peut savoir ? Elle détourne son regard un instant, ne pouvant nier que celui de la défunte est lourd à porter. Mais elle a les épaules larges, Lov, et le soutient de nouveau à peine quelques secondes plus tard. « De toute façon, pour mon père, c'était sans doute bien trop lourd à porter que d'avoir fait un gosse à sa tarée de soeur. Il devait être fou, lui aussi, d'ailleurs. Plutôt que d'assumer, c'est tellement plus facile de fuir. » Elle crache à coeur ouvert sa haine contre ce géniteur inconnu, contre ce fantôme ridicule qui n'a pour portrait qu'un nom que tous connaissent pourtant.