adrenaline

Il faisait particulièrement humide, par ici. La pluie était tombée toute la nuit, et le froid semblait pouvoir traverser la peau, transpercer de toute part. R était au beau milieu du territoire, se pensant seule.

Elle en avait besoin. Terriblement.

L'humidité empoisonnait ses poumons, mais peu importait. D'ici, elle leva son visage vers le ciel, et poussa un puissant hennissement. Elle hurla à plein poumons, espérant évacuer tout ce qu'il y avait en elle.

Si seulement c'était si simple.

H O O K E R

L'appaloosa errait, de territoire en territoire, à l'affut, à la recherche. De quoi ? Il n'en savait rien lui même. De tout et n'importe quoi à la fois. Il avait soif, soif de vengeance. Il ne pensait pas être déjà venu ici, en règle général il arpentait le sud ou les endroits avec des points d'eau, qu'il appréciait particulièrement. Il ne sentait même pas la pluie lui glacer les os, ni même sa peau détrempée une fois qu'elle se fut interrompue. Il avait connu pire. Ils avaient cru le briser, mais ça n'avait fait que le renforcer.
Un cri retentit. Puissant, profond, insupportable. Ses oreilles basculent en arrière sous le coup de l'irritation. Et là, au détour d'un buisson, il voit une silhouette familière, dont pourtant le nom lui est inconnu. Il s'immobilise. Elle était là, ce fameux jour, le jour de sa chute.

Un simple cri ne suffirait pas à évacuer tout ce qui la traversait. Comme si elle n'était que le passage, que le tunnel qu'empruntaient différentes énergies, émotions, qu'elle ne parvenait plus à contrôler. Elle se sentait submergée par l'émotion, mais demeurait certaine qu'elle n'abandonnerait pas son entreprise auprès de Akan : ce serait au-dessus de ses forces de l'abandonner. Mais ce dernier le ferait-il ?

La Sorraïa orienta naturellement son visage vers le nouveau venu, et un frisson parcouru son échine : Hooker. Celui qui avait bien faillit la tuer durant la bataille des Sables. L'observant calmement, elle attendit la suite.

Son calme l'irrite et le fait frémir de colère. Lui n'est que rage, rancoeur et haine. Comment pouvait-elle être si calme ? Ne le craignait-elle pas ? Parce qu'il avait perdu ? Il se faisait des questions/réponses tout seul et cela ne l'aidait pas à apaiser son ressentiment. Peut être le prenait-elle pour un faible après tout, elle était arrivé à la fin du combat et n'avait assisté qu'à sa chute. Elle n'avait pas vu tout les coups qu'il avait reçu de ses comparses, à plusieurs en même temps sur lui, elle n'avait pas vu leur lâcheté. Il ne la quitte pas du regard. Sa langue passe sur ses dents. Hook se souvient lui avoir assener un coup de tête.
Enfin, il se met en mouvement, et approche, tel un félin s'apprêtant à bondir sur sa proie. Mais il ne bondit pas. Pas tout de suite. Alors, quelle gout elle a, cette liberté ?

« Elle a un goût subjectif. » répondit-elle sans se départir de son calme, du moins pour l'instant. Elle ne saurait dire si l'attitude de l'appaloosa l'attristait ou l'impressionnait. La grise était parfaitement au courant que cette rencontre pourrait tourner au vinaigre en une poignée de seconde, hors ce n'était pas ce qu'elle désirait. Elle n'en avait après personne. Du moins pas de façon personnelle, pas tête par tête. « T'as un sacré coup de tête. » lança la Sorraïa, peut-être dans une tentative d'humour, indique d'un geste simple son propre visage, où une petite bosse demeurait encore. Ce n'était pas assez vieux pour que cela l'ait complètement quitté. Et puis R guérissait lentement.

Sa réponse ne le surprend pas. Il avait bien vu, au moment de leur départ à lui et sa mère, que les regards avaient changé chez les anarchistes. L'odeur du sang, l'odeur de la chair, l'odeur de la mort. Beaucoup ne souhaitaient pas ça, il l'avait senti, ressenti. Et lorsque l'épée de Damoclès qu'ils avaient placé au dessus de leur tête en jurant de se venger avait pointé le bout de son nez, cela avait changé encore plus. Mais il en avait rien à foutre, il en avait plus rien à foutre. D'autant plus lorsqu'il avait appris que sa mère se battait alors qu'elle était pleine, qu'elle avait reçu des coups alors qu'elle était pleine. Heureusement qu'ils s'étaient plus acharné sur lui. Grâce à Aventura, il retrouvait petit à petit la vue sur son oeil qu'il pensait perdu. Il se posa en appuyant son épaule le long d'un tronc, un rictus provoquant sur la bouche. J'ai pas qu'un sacré coup de tête. rétorque t-il avant de ricaner avec ironie. Le pire dans cette histoire, c'est que vous étiez déjà libre, vous étiez juste trop aveugles, ou trop bêtes. Sa voix est calme mais pourtant, on sent sa rage retentit dans la lenteur de ses mots tranchants et acerbes.

« Il n'y a que toi qui puisse le confirmer. » fit-elle, un brin interloquée qu'il soit empreint d'un zeste d'humour tout en renvoyant l'image d'une hargne contrôlée. Quelque part, elle admira ce self control, mais ne connaissait pas ces tensions qui habitaient son interlocuteur. « Je ne souhaite pas entrer dans des joutes verbales sans queue ni tête. Ne fais pas d'une généralité les "anarchistes" et les "royalistes". C'est assez minimaliste pour les uns comme pour les autres. » Elle parlait d'une voix calme mais ferme, dotée d'une certaine forme d'esprit pour son âge. R n'était pas une vieille jument pleine de sagesse. Elle faisait partie d'une poignée de personne, prisonnière entre l'enfance et l'âge adulte. Éternellement. « Les motivations de tous ne sont pas les mêmes. »

Son calme l’irrite d’autant plus. Chacun de ses mots, il a la sensation étrange, dérangeante et frustrante de recevoir de nouveau coups, comme des lames aiguisées qui venaient réouvrir ses plaies tout juste cicatrisées. Pourtant ils ne sont pas acerbes, encore moins provoquant ou virulents. Mais il horripile et le dérange.
Il se mord la lèvre inférieur en baissant légèrement la tête. Il n’a pas de crins immensément longs, ils masquent à peine ses yeux. Et depuis le combat, ils sont même entrecoupés de manière assez anarchique. Ne t’en fais pas, la joute deviendra physique bien assez vite. parvient il enfin a minauder sans hurler ou céder a l’hystérie meurtrière qui le guettait, tapie dans l’ombre, attendant le moment opportun pour se manifester.
Son sourire narquois redouble d’amertume lorsqu’il redresse son regard vers elle. Ne me dis pas ce que je dois faire ou pas alors que vous êtes venu sur mes terres et que vous vous en êtes pris aux miens. Sa voix tonne, tonne d’une colère sourde et d’un désir avide de vengeance. Alors quelles étaient tes motivations ? demande t’il, non pas qu’il y porte franchement de l’intérêt, mais il en est de tout de même curieux. Et puis, la réaction d’Akan lorsqu’il l’avait frappé ne lui avait pas échappé, il tenait à elle ou tout du moins, elle semblait avoir de l’importance pour lui. Et ça, j’achète ! c’était terriblement intéressant.

« Il y a eu assez de sang qui a coulé. » fit-elle en tiquant légèrement, ronflant doucement des naseaux. Son regard sans fond balayèrent celles, enflammées, de son interlocuteur. Elle avait l'impression d'être un bout de viande convoité par un carnivore retenu en laisse par des chaînes invisibles. « Et dans le cas de votre revanche. Ce sera votre choix de faire couler davantage de sang. Ce n'était pas le but de cette... opération, dans un premier lieu. En d'autres termes, je pense qu'il y a d'autres moyens pour résoudre les problèmes. » Ce n'était pas du genre de Akan. Seulement il allait au bout de ses idées, et le combat s'était révélé inévitable. C'était un fait. Ce n'était pas lui qui avait voulu ça. Personne ne l'avait voulu, hormis les esprits les plus malins. « Ceci dit j'admire la ténacité des liens qui vous unissent, toi et ta famille. »

« Ça ne te regarde pas, Hooker. » lui répondit-elle, n'étant pas vraiment motivée à donner ses raisons à un simple inconnu. Déjà qu'elle ne les donnait même pas au peu de famille qui lui restait. Et oui elle avait eu assez d'informations pour connaître son prénom, même avant la bataille des Sables. Ce n'était qu'avec son coup de tête qu'elle avait pu mettre un visage sur ce nom. Elle connaissait bien plus de choses sur la famille du picoté qu'elle n'en laissait paraître.

Mais il était déjà devenu sourd, hélas. Imperméable. En fait, cela n'avait été qu'une perte de temps de rester là, à attendre, à voir si elle pouvait entamer un dialogue avec lui, essayer de trouver une autre issue possible que ce qui allait bientôt se passer. Elle ne voulait pas se battre, mais maintenant elle était embarquée dans une spirale sans fin, qui n'aura de cesse de la poursuivre jusqu'à son dernier souffle. Dernier souffle qu'on voulait lui arracher, là, tout de suite. La proximité l'intimide, d'autant qu'il est bien plus imposant qu'elle. « Il y a d'autres moy.. » Mais elle n'a pas le temps de finir sa phrase qu'elle est poussée par le picoté, rejetée plus loin. Sans perdre l'équilibre, elle se concentre le plus possible et surtout, le plus rapidement possible. Tout allait bientôt trop vite mais dans l'adrénaline, bon réflexe : elle esquive sa morsure, qui s'échoua soit dans le vide soit contre l'écorce de l'arbre qui se trouvait juste derrière elle. Elle avait compris : aucune issue possible. Et la fuite ne servirait à rien. Renâclant bruyamment, elle devait s'y résoudre : cette altercation n'aura de fin que lorsque l'un d'eux sera KO, voire pire...

« Alors c'est ça ? Plus moyens de discuter, maintenant ? Tiens, c'est peut-être pour ça que le combat a fini par éclater, parce que vous n'écoutiez rien ! » Frissonnante, elle se sentit incapable de se remémorer ce que Vag lui avait appris en matière de combat. Tout se chamboulait dans sa tête et il ne fallait pas qu'elle tarde à répondre. Gagner du temps. La rage battait en elle, désormais. Instinct de survie, sûrement. « Je comprends que ça doit être frustrant, être chassé d'un territoire qui ne nous appartient même pas tout en se prenant la honte de sa vie. » Le sang battant à ses tempes, anxieuse à l'idée d'être coincée là, seule avec lui, sans échappatoire concret, elle fit la première chose qui lui vint en tête : bondir en transversale. Elle évita ainsi de s'exposer aux ruades, et attrapa la peau fine des jarrets, y apposant une morsure qu'elle essaya de faire la plus forte possible.