/ white home

La grise pose les yeux sur la taïga derrière lui. Pourtant il est vide, elle boit ses mots, elle est concentrée sur ses paroles puis progressivement sur sa voix, son souffle, bref, sa manière si particulière de parler. Sa voix suave, chaude, rassurante... Tu vivras encore longtemps, qu'elle répond comme un ordre, mais néanmoins avec une douceur infinie. Elle voulait encore l'entendre longtemps, sa voix.

Il aurait aimé qu'il en soit autrement. Il se souvient du jour où il l'avait pourchassée, presque pour la tuer, aveuglé par cette folie qui le prenait de temps à autre, à l'époque. Jusqu'à devenir envahissante, assez pour qu'il s'en aille loin d'ici. Il aurait aimé savoir ce qu'il serait advenu s'il avait juste été normal. Il ne répond rien. Il ne peut pas lui dire. Pas comme ça, pas maintenant. Alors, un peu penaud, il regarde son ventre rond. Je sais que je ne suis pas forcément l'image idéale du père parfait mais... si tu veux, je peux t'aider pour.. pour le petit, enfin... si tu as besoin.. Sa voix a beau être grave et chaude, il est maladroit, comme un gosse. De quel droit penses-tu qu'on puisse avoir besoin de toi, garçon ?

Anka sourit, attendrie par sa maladresse, mais pas que. En fait elle était submergée par une vague de tendresse et de joie à cette annonce. Elle surmonterait plus cette épreuve seule. Il était là pour elle. Merci... En fait, j'suis pétée de trouille, qu'elle lui avoue dans un souffle, comme une confidence. J'avais peur à l'idée d'être seule. Anka savait qu'Oros avait pu faillir à son devoir de père parfois, mais au point où elle en était, elle était prête à accepter n'importe quelle aide pour élever le bébé.

Tendrement, presque... amoureusement ?, le Lion vient caresser la joue de la grise de ses naseaux. Il se rapproche d'elle, la dominant de taille et de largeur. Elle lui semble si fragile, à cet instant, encore plus que les autres fois. Il souffle un air chaud et bienveillant sur sa joue, avant de caresser doucement son encolure, jusqu'à son garrot. Finalement, ses lèvres se déplacent jusqu'à ses oreilles. Tu n'es plus seule, murmure-t-il d'une voix grave à peine audible, cherchant le regard de la grise, le coeur battant comme un adolescent.

Le Lion s'approche d'elle et elle frémit au contact de son souffle chaud. C'était simple de se laisser aller, il ne lui restait qu'un petit pas à faire... Pourtant quelque chose la retient encore un peu. Tu partiras pas ? Ca pouvait sonner comme de l'égoïsme, c'en était sûrement. Et Anka était bien loin d'être égoïste normalement, mais elle se le permettait parce qu'elle savait qu'Oros avait disparu plusieurs fois. Elle supporterait pas un nouvel abandon, tout simplement parce qu'elle allait devoir être solide pour deux maintenant, pour elle et pour l'enfant. Mais elle voulait avoir la certitude que c'est bine ce qu'il voulait. J'ai pas envie que tu te sentes obligé tu sais. Son regard vient questionner le sien.

Son souffle devient un peu court. Il se détache d'elle, à contre-coeur, laissant ses yeux d'ombres s'échouer sur l'horizon. Long et rectiligne. Il baisse les yeux jusqu'au sol. Poussiéreux. Non. Pas tant que.. tant que j'en serai capable. Je.. il ne me reste plus longtemps à vivre, Anka. Face à l'avoeu, il ne se sent pas soulagé mais au contraire, culpabilisé. Il lui propose ça pour quoi, alors ? Pour lui faire affronter sa perte ? Il n'a pas le droit de s'immiscer dans sa vie, plus maintenant. Ma.. proposition était un peu débile, sûrement, excuse-moi...

T'es si vieux que ça ? qu'elle souffle, pas franchement sûre de sa blague. Le moment était pas opportun à la rigolade, mais c'était un moyen de se voiler un peu la face, de mieux faire passer la pilule. Au fond, elle était un peu déçue. En fait nan, elle était plus triste que déçue. Triste que lui-même doute de ses paroles. J'me débrouillerai, finit-elle par le rassurer en plantant son regard dans le sien.

A son silence, elle se doute que quelque chose cloche. Quand tu dis qu'il te reste pas longtemps à vivre, t'es vraiment sérieux...? s'enquit-elle. Elle cherche son regard. Elle avait besoin de savoir.

Quand ? qu'elle insiste, on ne peut plus sérieuse. Elle avait envie de pleurer mais elle se le refusait. C'était dur à avouer, mais elle l'aimait vraiment bien, Oros. Bref, si les yeux du mâle étaient vides, ceux de la grise étaient humides, et on y lisait une lueur d'espoir ou de désespoir, on sait pas trop. La limite entre les deux était si infime...

Anka n'est décidément plus d'humeur à plaisanter maintenant qu'on lui a confirmé que le sujet est bel et bien sérieux. Ca lui ressemblait pas, mais elle devenait lourdement insistante. Son ton hausse, ses mots sont débités à toute vitesse. Y a sûrement moyen d'éviter ça. Fais toi soigner. Je viens avec toi si tu veux !

Son regard est suppliant. Elle s'approche encore un peu, colle son poitrail au sien, mécaniquement. S'il-te-plait... Comme un murmure, au creux de son oreille.