/ i loved you, i'll leave you

/ OROS


Il observe son reflet dans la glace. Qui est devenu cet étranger, aux yeux trop sombres, au visage marqué par la vie, la folie, les désespoirs ? Le Lion soupire. Pour lui, il n'a plus rien du Roi du Nord qu'il était avant.
C'est vrai, gamin. Où est passé ce jeune plein de sang qui avait repris le flambeau de son père ? Où est passé ce dominant fier qui avait mené son peuple à la gloire, la sérénité, la sécurité ? Peut-être est-il mort un jour, ce gars-là qui n'existe plus, peut-être au moment où le Nord lui-même a sombré.

B A I L E Y

Elle continuait de arpenter le Nord, mais bien moins souvent qu'elle ne le voulait. Ou ne le faudrait plutôt. Pour montrer qu'elle ne perdait pas espoir, qu'elle continuerait à transmettre le flambeau qui lui avait été transmis à elle aussi. Mais à dire vrai, elle avait plutôt la sensation de tout faire pour éviter de fouler les terres enneigées. Par culpabilité ? Peut être oui. Par honte ? Surement aussi.
Elle aperçoit un individu au bord du lac, observant son reflet, empruntant les mêmes airs peinés que les siens. Peut être ne devrait-elle pas s'approcher de lui, peut être est ce un paria. Mais là, tout de suite, elle semble s'en moquer et vient se poster à ses côtés. Bonjour. le salue t-elle doucement, posant elle aussi ses yeux sur la surface lisse du lac.

Comme s'il s'était complètement perdu dans sa propre contemplation aux accents mélancoliques, il ne l'a pas entendue approcher. Sens brouillés, brume épaisse dans l'esprit, peut-être le cerveau en compote, le Lion. Pas tout à fait. Pas entièrement.
Pas encore, gamin. Mais un jour, on t'aura pour nous tous seuls, comme on a eu ton père avant toi.
Il sursaute légèrement lorsqu'il entend la voix et est étonné de voir une silhouette juste à ses côtés. Une silhouette aux allures qui lui sont familières. Pourtant, il ne la connait pas. Bonjour. répond le Lion, d'une voix bien plus grave, plus vibrante, plus marquée par la vie. Il l'étudie en silence d'abord. Elle lui rappelle quelqu'un.
Les souvenirs l'étreignent. Ils ont des bras glacés.
Il est projeté dans une autre vie, lui semble-t-il. Il se souvient l'avoir aimée. Il se souvient avoir été rejeté. Tu vois mon père à ma place, moi c'est toi que j'aimais. Il se souvient avoir trahi son meilleur ami, son successeur... pour elle. Il se souvient avoir été traité de traître par les siens, pour pouvoir lui léguer la chose la plus précieuse qu'il avait. Le Nord.
Le présent revient avec acidité et amertume. Où est-elle, à présent ? Est-elle encore là ? La robe grise d'Aslaug cède la place à celle cuivrée de la jument à côté de lui. Il doit avoir l'air inquiétant, à la fixer ainsi. Tu n'y peux rien, garçon. Tout en toi est inquiétant, aujourd'hui. Je.. Je m'appelle Oroszlàn, et tu es ? fait-il pour essayer de rattraper son silence étrange.

Sa voix lui donne quelques frissons, mais ce ne sont pas des frissons désagréables. Elle relève doucement la tête pour venir glisser ses yeux noirs dans les siens. Il la fixe d'une manière étrange, mais cela ne l'effraie pas. Peut être aurait-elle dû, mais surement qu'elle avait hérité du côté tête brûlée de ses parents, son père notamment. Un silence tout aussi curieux s'installe, sans qu'ils ne fassent dériver des regards gênés sur les côtés, continuant de se fixer. Il semble chercher quelque chose sur son visage, alors, bêtement peut être, elle en fait de même. Et au bout de quelques instants, ses traits finissent par lui être familier. Il lui rappelle Redjim. Son frère peut être ? Cela ne peut pas être son père, le fameux ... Oroszlàn. La présentation tombe et elle hoquette de surprise, écarquillant légèrement ses yeux de biche. Oh mon dieu. lâche t-elle dans un souffle. Elle ne sait que faire, comment réagir. Ses parents lui avaient appris en long en large et en travers les différents règnes et dynasties du Nord. Et sa mère lui avait beaucoup parlé d'Oroszlàn. Il était comme un être mythique à ses yeux. Et la culpabilité la frappa encore plus fort, lui coupant momentanément la respiration. Quelle honte. Elle ne pouvait pas lui dire qui elle était, ce qu'elle avait fait du Nord. A son tour d'installer un silence pesant. Au bout de quelques instants elle finit par parvenir à inspirer, assez pour reprendre un taux d'air minimum pour survivre. Je euh je ... balbutia t-elle, ses yeux dansants d'un oeil à l'autre d'Oros. Désolée, je suis impressionnée... souffle t-elle en baissant cette fois son regard, comme si elle n'était qu'une petite fille, alors que son corps prouvait bien le contraire.

Il voit bien.
Qu'il la gêne, qu'il l'impressionne – elle le lui avoue, d'ailleurs. Honteux, il détourne immédiatement son regard d'elle, affreusement culpabilisé. Si tu fais même peur aux jeunes maintenant, garçon, il te reste pas beaucoup de chemin à faire. Il est persuadé de l'avoir effrayée, avec son comportement étrange, son regard trop insistant. Alors, il recule, laisse son regard loin d'elle, peut-être pour lui permettre de respirer. Il ne veut pas de ça. Il ne veut pas effrayer. Il ne veut pas qu'on le craigne.
Encore pire, il ne veut peut-être même pas que son nom fasse écho à quelque chose quand il le prononce. D-Désolé.. Il renâcle, ne sait pas comment agir face à la petite – même si elle est adulte. Il se sent si vieux qu'ils sont tous infiniment jeunes pour lui. Je ne voulais pas.. enfin, je peux te laisser tranquille et m'en aller, si tu préfères. Il relève un regard presque timide vers elle, si ce dernier n'était pas envahi de démons.

(Désolée pour la réponse tardive !)

Elle même n'ose pas le regarder, impressionnée, terriblement impressionnée. Il était comme un être mythique dans son imaginaire, jamais elle n'aurait pensé avoir la chance de lui faire face un jour. Ses yeux fixent ses propres sabots, mais elle aperçoit ceux de l'étalon s'éloigner. Merde ! Qu'est ce qu'elle a fait ? Bee relève le visage avec un peu de précipitations et tente de chercher une réponse sur celui d'Oros mais son regard fuit le sien. Elle avait du faire une sacrée boulette. Ses joues s'empourprent. Fais chier fais chier fais chier, fais quelque chose il va s'en aller ! se hurle t-elle silencieusement. Mais elle est prise de cours lorsque c'est lui qui s'excuse. Qu..Quoi ? Cela lui échappe, incrédule, ne comprenant pas. Elle s'empresse de secouer la tête et fait deux pas vers lui. Oh non je vous en prie, restez ! Il y a méprise. indique t-elle avec un sourire. Vous m’impressionnez car vous êtes Oroszlàn ! Mes parents, ma mère surtout, m'ont tellement parlé de vous ! C'est un honneur pour moi de vous rencontrer.

Son regard profond et saisissant la trouble mais elle ne détourne pas les yeux, elle les garde fermement ancrés dans les siens. Ce n'est que lorsqu'il brise le léger silence qui s'était installé qu'elle se reconnecte au monde. Elle cligne plusieurs fois des yeux avant d'afficher une mine confuse. Oh, je suis désolée je ne voulais pas vous vexer. C'était par simple respect. affirme t-elle avec un petit sourire un peu gêné, puis son rire maladroit se mêle à celui du puissant mâle. Il est impressionnant, maman n'avait pas menti. Elle ne parvient pas à le quitter des yeux, même lorsqu'il avance vers elle. Peut être aurait-elle du reculer un peu ? Peut être que de rester fermement postée sur ses positions face à lui était trop impétueux ? Mais elle ne pouvait pas bouger, même si elle l'avait voulu sans doute. Elle était juste ... fasciner.
Elle ne masque pas sa surprise lorsqu'il lui révèle lui aussi être honorer de la rencontrer. Pourquoi ? De nouveaux remords l'accablent. Ô il serait tellement déçu s'il apprenait qu'elle avait perdu le Nord ... Hum euh... Elle cherche ses mots, encore troublée par ce qu'il venait de lui dire. Je euh... Bailey, pardon, je m'appelle Bailey. Elle tente de revenir à la surface, de récupérer son entrain naturel. Mais on a tendance à m'appeler Bee. confie t-elle avec un sourire chaleureux.

Sans trop savoir pourquoi, Bee ressent une pointe de fierté qu'il lui donne le droit de l'appeler Oros. Surement rien d'extraordinaire en réalité, surnom que bien des proches de l'étalon avaient du utilisé mais étrangement, elle se sent comme privilégiée. Bailey avait la sensation étrange, pas désagréable mais un peu dérangeante, d'être une groupie qui rencontrait son idole. C'est qu'elle avait tellement entendu parlé de lui. Alors elle lui sourit, d'un sourire radieux, ne masquant pas sa joie de le rencontrer enfin. Et puis vient la question, question qu'elle s'attendait bien à entendre un jour. Elle savait que sa mère et lui avaient été proche, sans se douter à quel point. Elle le voit attendre sa réponse avec appréhension et impatience. Cela lui brise le cœur. Son regard se dérobe au sien et ses traits s'affaissent, empruntant les chemins amenant à la tristesse, un chagrin toujours aussi incontrôlable, malgré le temps qui passait. Un soupire lui échappe avant qu'elle ne trouve le courage de glisser ses yeux de nouveau sur lui.  Elle ... Elle a disparu. J'ignore même si elle est encore en vie ... Sa voix est rauque, éraillée. C'était encore tellement dur de repenser aux siens, dont elle était sans nouvelles ou pire, morts. Elle était seule, avec parfois cette sensation dérangeante d'avoir été abandonné alors qu'elle avait encore tellement besoin d'eux.

Elle avait tenté de ne pas se dérober, d'affronter la réalité, de tenir bon face à la peine et la douleur de cet étalon qu'elle avait tant imaginé dans sa tête… Mais ce fut des sentiments trop forts, des émotions trop percutantes. Elle ne pouvait encaisser les siennes et celles d'Oros, c'était trop pour elle. On l'imaginait forte, mais Bee restait toujours terrassée par la perte des siens. Son regard avait glissé jusqu'à leurs sabots. Elle se concentre sur les jambes de l'étalon, puissantes. Encore une fois ce n'est qu'une dérobade, mais elle pense ainsi à autre chose, peut être est ce aussi une manière de s'effacer un peu pour que le mâle digère la nouvelle et commence à faire son deuil, comme elle. Si deuil il y avait, le saurait-elle seulement un jour ?
Son père. Voilà un autre sujet délicat. Elle ne retient plus ses larmes et quelques unes viennent mourir entre les sabots. Elle ne relève pas le visage non plus, pudique et peut être un brin gênée de craquer devant lui, lui qu'elle idolâtrait. Il est mort. lâcha de but en blanc dans un souffle, l'image indélébile du corps de son père gisant à côté de celui de Septenrê.

Elle est surprise de se sentir attirée contre son large poitrail et de se faire entourer par sa puissante encolure. Bee aurait pu se sentir en danger, après tout, elle ne le connaissait que par les histoires de sa mère n'est ce pas ? Et pourtant, cela faisait longtemps qu'elle ne s'était pas sentie autant en sécurité. Alors elle ne cherche pas à lutter contre le courant et se laisser manipuler, ses formes épousant celle d'Oros. Et puis voilà qu'il s'excuse, brisant dans son coeur cet instant de quiétude. La honte reprend possession de ses traits. Il est si avenant et gentil avec elle, alors qu'elle l'a trahi, inconsciemment. Elle se recule légèrement pour pouvoir affronter son regard. Elle n'est pas une lâche, du moins elle tentait de s'en convaincre. Ne le soyez pas, c'est moi qui vous doit des excuses ... Elle soupire en marquant une légère pause. J'ai ... J'ai perdu le Nord. Je l'ai remis aux Anarchistes lorsqu'ils sont venus pour me le prendre. Elle ne se justifie pas sur le pourquoi, cela n'avait pas d'importance au fond, le résultat était le même : elle ne s'était pas battu pour sa terre natale comme elle l'aurait du le faire, même au péril de sa vie.

Le Lion recule, juste assez pour pouvoir la regarder. Il cherche son regard avec sagesse et affection. Il ne cesse de revoir Aslaug sous ses traits et ça en devient presque dérangeant. Tu n'as pas à t'en vouloir. Le Nord m'était cher, c'est vrai.. mais c'est moi qui l'ai abandonné le premier. Il sent sa gorge se nouer à cet avoeu, parce que oui ! À cause de sa folie, il a préféré s'en écarter et le léguer à son ancien meilleur ami, Sydän... Je ne pense pas que quiconque l'aurait eu à ce moment-là aurait été plus fort que tu ne l'as été. Au contraire, tu peux être fière de toi, tu es si jeune...