la fête de trop • R

Sa réponse lui pinça le coeur. Il ne voulait pas qu'elle se sente mal, bien qu'il savait qu'elle avait hérité des démons familiaux, démons qu'il avait finalement réussi à faire taire. Non. dit-il d'une voix claire. Non, ça lui importait plus que ça, pour lui du moins. Qu'est-ce qui ne va pas ?

« Je n'ai aucune raison d'aller mal, c'est ça le pire. » mentit-elle. Enfin, elle était censée aller bien, aujourd'hui, parce que beaucoup de temps avait passé. Parce que n'importe qui aurait fini par se reconstruire. Mais au final, peut-être que tout allait mal ?

Alors qu'est-ce qui va bien dans ce cas ? lui demanda-t-il avec une pointe d'ironie. Si elle n'avait pas de raison d'aller mal, c'est que tout allait bien. Mais ce n'était pas le cas, apparemment. Parle-moi de tout ça. dit-il en pensant à ce qui tourmentait la jument grullo.

Elle sentit une boule maltraiter sa gorge. « Je peux pas. » souffla-t-elle simplement, la mâchoire crispée. Avouer tout ça, ça revenait à l'avouer, à rendre les choses réelles. Ce revenait aussi à montrer ses faiblesses et ça, R ne le faisait jamais.

Il renâcla bruyamment. Si tu peux. Parler c'est avoir la force de vaincre. l'incita-t-il. Il n'aimait pas la détresse de sa nièce. Il fallait qu'elle lui parle. Mais si elle refusait... Il savait qu'il ne pourrait rien faire.

La seule personne à qui elle avait tout livré était morte, et toute sa joie de vivre avec. Aujourd'hui, elle ne parvenait à se détendre qu'en présence de ses amies d'enfance, Bryséis & Bailey. C'était compliqué pour la grullo de parler d'elle, de parler de ce qui la touche. « Il est mort... » lâcha-t-elle simplement, dans un premier temps. Mais déjà, elle sentait des larmes dans ses yeux, qu'elle refréna comme elle pouvait.

Venant d'elle, c'était évident pour lui qu'elle ait du mal à en parler, à ce confier. Cela n'avait rien d'étonnant. Mais il tenait vraiment à savoir ce qui se tramait, pour pouvoir l'aider à s'en sortir. À ses paroles, il se douta de qui elle voulait parler, tout simplement à cause du fait qu'elle n'avait pas voulu lui parler plus de sa relation avec Akan. Il ne la jugeait pas, loin de là. C'est donc là qu'il s'avança et l'attrapa de son encolure.

« Quand je l'ai trouvé, il était déjà à peine froid, juste tiède. Je n'ai rien pu faire... » souffla-t-elle, en miette rien qu'à cette pensée. Il s'était approché d'elle, mais comme si son contact l'avait électrisée, elle se mit à hurler. « MAIS J'AURAI DU ! » hurla-t-elle finalement, s'éloignant de quelques pas, les larmes ayant définitivement frayé leur chemin sur ses ganaches, et en abondance. Elle se détestait d'avoir l'air su faible, si pitoyable. « Ça fait tellement longtemps, et y'a pas un jour sans que je ne pense à lui... » Saura-t-elle seulement s'en remettre un jour ? Elle se souvenait de son corps criblé de bouts de verre, de sa peau tâchée d'un sang sombre, qui avait perdu toute teneur en oxygène. De son regard vide et splendide à la fois, même dans la mort. « J'ai suivis les anarchistes, puis les GSiens durant la guerre. J'avais des objectifs. Aujourd'hui, je n'en ai plus. » Et ces objectifs lui avait permis de tenir, de donner un sens à sa vie si vide.

Le paint était plus touché par ses paroles qu'il ne voulait l'admettre. Parce qu'il savait que si la situation se présentait à lui, il n'y arriverait pas. Jiyuu était sa vie, son oxygène. Il ne pourrait plus faire sans elle. Elle l'entraînerait dans la mort si elle le quittait. Alors il ne pouvait que la comprendre et qui sait, l'admirer parce qu'elle est encore là. Il ne s'offusqua pas de son refus de contact, à vrai dire il s'y attendait. C'est normal. Il a laissé sa marque dans son coeur. dit-il. Il garda le silence, parfaitement calme. C'était bien parce qu'il tenait à elle qu'il faisait ça, ça le faisait souffrir de la voir ainsi et de penser à ce qui l'attendrait quand sa douce le quitterait. À toi de t'en donner des objectifs, R. Tu ne peux pas que les attendre. Parfois, il faut courir après.

« Il ne me reste plus rien de lui. » fit-elle simplement, telle qu'était la dure réalité. Elle n'avait plus rien à chérir qui soit en lien direct avec son défunt chaman. « Les objectifs ne me servent qu'à tenir. Mais au final, ils seront tous terminés un jour. Ce n'est que repousser l'instant où je ne pourrais plus. » Elle n'avait même plus les terres de ses souvenirs. Elle l'avait laissé derrière elle, sa dépouille et ses souvenirs. Au fond, elle avait peut-être peur de tout oublier, un jour.

Il essayait tant bien que mal d'être de bon conseil pour elle. Il tenait à l'aider, à la guider un peu plus vers ce qui s'apparentait au bonheur. Mais au fond, il ne pouvait penser quand chose de ce qu'il disait, puisqu'il savait qu'il ne serait tenté par rien si Jiyuu venait à disparaître. Il te reste les souvenirs, R. Ils sont plus précieux que tu ne l'imagines. Il parlait en connaissance de cause. Elle avait de la chance d'être parmi ceux dont il s'est rapidement souvenu après son amnésie. Quand l'un se termine, un autre le remplace. C'est ce qui permet de rester accrocher lorsque l'on va mal. Il laissa ses yeux fouiller les alentours. Quand j'avais ton âge, j'avais perdu tout ce que j'avais. Ma famille, mon troupeau... Je n'allais pas bien, mais je refusais de me laisser abattre. Alors c'est les objectifs qui m'ont tenu en vie jusqu'à ce que je retrouve le sourire. Je voyageais, je découvrais. Mon objectif n'a eu de fin que lorsque je suis arrivé là-bas. Je n'en avais plus besoin. En rencontrant Jiyuu, il n'avait plus eu besoin de s'accrocher. Il se laissait bercer, tout simplement.

« C'est pas comparable. Aujourd'hui t'as Jiyuu. T'as ta famille à toi, celle que t'as fondée. » fit-elle, comme sur un ton de reproches. Parce que s'était enfermée dans sa peine, et qu'elle savait qu'il essayait seulement de lui faire voir les choses sous un autre angle. Pourtant, en plus d'un an, elle avait eu le temps de tourner et retourner la situation jusqu'à s'en arracher les crins. Et cela faisait trop longtemps qu'elle n'avait pas trouvé de peyotl. Cette plante que Akan lui avait fais découvrir, et qui la déconnectait de tout.

Il ne dit d'abord rien. Elle avait raison de le lui reprocher, il vivait heureux alors qu'elle souffrait. Avant je ne les avais pas. Viendra un jour où tu connaîtras le bonheur toi aussi. Qu'y avait-il de dire de plus ? Il n'allait quand même pas se plaindre d'avoir une famille et de la joie de vivre après 6 ans de malheur.

Peut-être que oui. Peut-être que non. Qui saurait le dire ? Et si ce Belzé avait quelque chose à lui apporter ? C'était un tout autre personnage comparé à Akan. Il était plus effacé, et il était tout aussi profond, mais il s'agissait d'autres abysses. Elle ne répondit rien, se contentant de lui jeter un regard humide.

Il fit un pas vers elle, à nouveau. Il tenait à ce qu'elle sache que la vie lui réservait encore bien des surprises, qu'elle n'en avait pas fini avec elle. Mais pourtant, il garda le silence encore quelques instants. Jusqu'à ce que son regard brun capte les yeux mouillés de sa nièce. Je suis là pour toi, tu le sais, hein ?