la fête de trop • R

La grullo errait dans une grande prairie, observant les sauterelles et les insectes qui prenaient leur envol quand elle s'approchait trop d'eux. Ses yeux semblaient voir des choses qui n'existaient pas. Son coeur constamment serré depuis des jours, elle continuait sa route, sur la prairie qui semblait durer des kilomètres, en parallèle au groupe.

Le pie était épuisé. Sans doute bien moins que Jiyuu, mais il l'était tout de même. La marche, le stress, l'éducation de Yume, ça faisait beaucoup en même temps. C'est pourquoi il avait choisi d'aller faire un petit tour pour prendre l'air et apaiser ses tensions. Quoiqu'il en soit, il était heureux.

R n'avait pas oublié la promesse qu'elle avait faites à Bailey de veiller sur elle durant la progression, mais elle l'avait perdue de vue pour le moment. Elle sentit une odeur familière, et cela l’interpella. Redressant les oreilles, R ralentit sa progression dans la prairie.

Mais Vagabond n'avait pas encore détecté sa présence et, à vrai dire, il ne faisait pas vraiment attention à ce qui l'entourait, trop pris dans ses pensées. Il finit par se coucher au sol pour soulager ses membres fatigués. Il avait besoin de repos.

C'est une troisième odeur, qui inquiéta la sorraïa. Une odeur musquée, qui piquait les naseaux. Un prédateur. Poussant un grognement sourd, elle se redressa, quitte à être plus visible, afin de repérer les lieux et savoir si elle pouvait apercevoir ledit prédateur progresser dans la prairie.

Et puisqu'il ne portait pas attention à ce qui l'entourait, il se rendait compte de rien

Elle crut discerner un frémissement dans les hautes herbes, et plissa les yeux, comme si cela allait lui permettre de mieux voir à travers. Elle s'approcha avec franchise du bosquet, avant de sentir l'odeur de Vagabond. Et comme si le sort se moquait d'elle, elle aperçu le fauve qui s'apprêtait à se jeter sur lui. « VAG ! » hurla-t-elle par réflexe, avant de s'élancer tête baissée. Le prédateur, alerté par le cri dans son dos, fit volte-face et feula avec puissance, dévoilant une rangée de dents acérée. R, dans son élan, se jeta tout contre le félin, le martelant de coups.

Sa distraction aurait pu lui coûté cher. Il pensait à trop de choses à la fois, chaque idée, chaque pensée se bousculaient dans sa tête. C'est donc ainsi qu'un feulement rageur le sortit de ses pensées et l'alerta alors qu'une silhouette sombre se jetait sur le prédateur. Déjà sur pattes lorsque sa nièce se jetait sur le félin, il vint lui porter main forte et attaqua à son tour. Il refusait de la laisser mener ce combat seule.

Mais le félin était sur elle, fou de rage de s'être fait prendre. Il sauta et planta ses griffe dans les tissus de son encolure. Elle criait autant que le félin ne feulait, deux guerriers acharnés. Finalement, elle parvint à refermer sa mâchoire sur celle du prédateur, et serra de toutes ses forces. Un craquement sourd la fit frissonner, mais l'adrénaline était bien trop forte. Elle le jeta à terre, profitant d'un instant de faiblesse, et rua de coups autant que le faisait Vagabond à ce moment.

Le coeur battant d'inquiétude pour sa nièce, il se battait contre le prédateur avec autant de vigueur que la Sorraïa. Le félin lui asséna un coup de griffes au visage, déchirant ainsi la peau de sa ganache. La douleur le lança, mais il serra les dents pour ne pas se laisser abattre. Il se cabra pour laisser ses antérieurs retomber sur le dos de l'adversaire. Ils allaient lui faire regretter d'être né.

Par inquiétude l'un pour l'autre, ils se battaient avec la même vigueur que des lions. Folle de rage, comme si son adversaire était un exutoire de tout ce qu'elle ressentait au plus profond d'elle, la grullo infligea le coup de grâce en pourfendant l'air de son sabot. Sabot qui vint s'écraser juste entre les deux yeux du fauve, brisant le crâne. Il tomba comme une masse informe sur le sol, faisant un bruit de chiffon. Et pourtant, R continuait de le battre comme s'il était encore en vie, avec autant de vigueur que s'il lui arrachait le cœur.

Le félin eut le temps de lui griffer le poitrail avant que R ne lui donne le coup de grâce. Il vit leur adversaire tomber comme une mouche et souffla un bon coup. Son coeur reprenait lentement son rythme normal alors qu'il se reculait. Voir R s'acharner sur le corps du prédateur malgré sa mort aurait pu en choquer plus d'un, mais pas lui. Il ne tenta même pas de la raisonner, il la laissa faire. Parce que même s'il ne savait pas ce qu'il se passait dans sa vie, il comprenait. Il comprenait alors qu'il avait déjà vécu cette situation. Mais autrefois il s'acharnait sur le corps d'un équidé.

Elle frappa jusqu'à ne plus trouver son souffle, jusqu'à ce que le corps du félin ne ressemble plus qu'à une masse difforme. Son cœur battait à cent à l'heure, et elle se sentait prise d'un vertige, qu'elle calma lorsqu'elle ferma les yeux. Elle entendait son poul dans ses tempes, et avait la pure impression d'être vide à l'intérieur.

Il la regardait faire sans un mot. Si elle avait besoin de cet instant pour se délivrer de ses souffrances, il le lui accorderait. Ses yeux ne la quittait pas, ce qu'elle faisait ne le répugnait pas. Il arrive à tout le monde de devoir extérioriser ses rages. Une fois qu'elle eut terminer, il garda le silence encore une poignée de secondes. Ça va mieux ?

« Si seulement. » répondit-elle à la question de son oncle. Oui. Si seulement ça avait pu la soulager. Mais au final, tout était encore là, au fond d'elle. Au fond d'elle, à rire d'elle, ses démons se riaient d'elle, encore. « Mais peu importe. » ajouta la grullo après quelques secondes.