pop redemption • R

L'astre est déjà haut dans le ciel quand la grullo se réveilla d'un long songe, perdue entre rêve et éveil. Elle ne dormait plus vraiment depuis bien des jours, faisant de micro-siestes, ou somnolant seulement. Pourtant, elle parvenait à conserver une certaine énergie, qu'elle ne savait venue d'où. Elle laissa son corps reprendre son rythme d'éveil, sentant sa salive revenir dans sa bouche et les battements de son cœur accélérer progressivement. Elle observa autour d'elle, comme si elle pouvait ressentir la nature, communiquer silencieusement avec elle. De petits frissons parcoururent sa peau, tandis qu'elle humait l'odeur d'un individu non loin. Tout proche, même.

B A I L E Y

Bee se laissait guider par le doux clapotis de l'eau, les rayons du soleil qui parviennent à percer au travers des feuillages des arbres lui caresse la peau d'une manière douce et agréable. Ses sabots se posent habilement entre les roches humides, bien plus habilement qu'il y a quelques temps, retrouvant peu à peu son corps. Sa fille ne devait pas être bien loin, son parfum imprégnant ses naseaux. Un autre parfum en profite pour s'insinuer en elle, et un petit sourire étire ses lèvres. Il ne lui faut pas plus de cinq minutes pour remonter le cours d'eau jusqu'à son amie, R. Bailey se glisse jusqu'à elle, qui semble s'éveiller. Salut belle endormie. lui lance t-elle, taquine.

La grullo n'attendit pas plus que quelques instants avant de voir la silhouette de son amie se profiler. Tout de suite, un sentiment de culpabilité s'empara d'elle. Elle lui avait promis de faire le voyage avec elle, et résultat ? Elle n'était que trop peur présente à son goût. R eut un petit sourire face à son air doux, s'éveillant de plus en plus et de mieux en mieux, jusqu'à retrouver tous ses esprits. « Salut Bee. » Elle n'était pas des plus douée en poésie, elle laissa cet art à Belzé, puisqu'il semblait si bien le manier. Ses iris aux légers reflets indigo s'ancrèrent dans ceux de son amie, une mine plus inquiète prenant le pas sur son visage. « Comment vas-tu ? »

( Désolée pour le retard )

Bailey se plaisait à contempler ses yeux aux reflets époustouflants, rien à voir avec la banalité des siens, d'un noir de jais. Elle arriva à sa hauteur et effleura ses naseaux des siens, pour la saluer plus intimement. Elle lui était reconnaissante d'être restée avec elle tandis que tout les autres se retrouvaient dans des groupes, Bailey avait préféré resté du côté des solitaires pour une fois, ne trouvant pas sa place ailleurs, et n'ayant pas non plus envie de la trouver. Mais elle était toujours un peu gênée " d'imposer " cela à son amie. Très bien. la rassure t-elle avec un sourire, avant de chercher du regard la petite tête brune de sa fille sans pour autant la localiser. J'aurai quelqu'un à te présenter, quand le quelqu'un en question arrêtera de vadrouiller je ne sais où. Elle lâche un soupire puis un petit rire avant de se concentrer de nouveau sur R. Et toi, comment vas tu ? demande t-elle à son tour en détaillant son visage, ses expressions, une légère inquiétude berçant sa voix.

Visiblement, Bailey avait même déjà mis au monde sa progéniture. Quelle mauvaise protectrice elle faisait. Elle n'avait même pas été là pour la naissance. Au fond d'elle, R sentit un pincement lui serrer le coeur. Elle aurait voulu être présente pour ces moments importants dans la vie de son amie, parce que d'un sens elle s'était promis de la protéger, après tout le mal qu'elle avait pu lui faire. Parce qu'elle se sentira toujours dans le devoir de rattraper ce mal qu'elle lui avait fais, même si c'était pour servir une cause à laquelle R tenait. Cela ne servait à rien de repenser constamment au passé, et elle le savait, mais c'était encore un exercice difficile pour elle que d'aller de l'avant. « Tout s'est bien passé ? » s'enquit-elle malgré l'air plus ou moins épanoui de la jeune mère. Ses deux amies d'enfance étaient mères, désormais. Et elle, petite sorraïa paumé, petite magicienne sans pouvoir, elle n'avait pas avancé dans sa vie. Elle n'avait jamais vraiment songé à la maternité, à vrai dire. La grullo fit l'effort de tendre l'ombre d'un sourire à son amie. « Mieux en sachant que tu vas bien. »

Bee scruta le visage de son amie avec inquiétude. Elle disait aller bien mais des traits semblaient dire le contraire. Une question la taraudait depuis longtemps, sans qu’elle n’ait jamais osé la poser, ou plutôt pris le temps de la poser. Elle avait vraiment des progrès à faire question amitié et soutien avec R. Entre elles ils avaient trop souvent été question de Bee, et que trop peu de la grullo. Il fallait que cela change.
Si tu as du temps, je te raconterai, c’était assez ... rocambolesque dira t-on. confie t-elle avec un sourire amusé, bien que le fameux jour en question, elle était tres loin de trouver cela drôle. Mais j’aimerai qu’on parle de toi, avant. Cela sonnait comme une requête, mais elle l’imposait aussi à la fois. On a eut des différents, et ces différents ont fait que égoïstement je n’ai pensé qu’aux conséquences sur ma famille, sur ... moi. J’ai été, je suis !, une horrible amie avec toi ... Cartes sur table, finit de se cacher derrière les anarchistes et royalistes, tout cela était révolu depuis longtemps.
Comment tu vas R ? Genre vraiment, sincèrement. Tu ... tu as perdu Akan. Ce n’était pas un secret que l’akhal et elle avaient eut une idylle, si ce n’est plus.

R fut relativement surprise par le comportement de la brune. Une horrible amie ? R ne l'aurait jamais pensé, pas une seule seconde. C'était plutôt elle, qui lui avait causé du tort. Et elle, elle l'avait fais directement, ce qui avait largement justifié le fait que leurs conversations tournaient autour de Bee. D'ailleurs, la culpabilité de la grullo ne s'était jamais envolée. D'une loyauté absolue envers ceux qu'elle aimait, elle estimait qu'elle aura une dette éternelle envers la seule personne qu'elle avait pu trahir, même sans le vouloir. « Tu n'as jamais été une horrible amie, tu sais. Au contraire, toi et Bry, heureusement que vous êtes là. » fit-elle calmement, bien qu'au fond d'elle, à l'entente de ces mots, elle était profondément touchée. Et ce ne fut rien quand Bee lui parla de Akan. Sans le vouloir, c'était comme si la brune rouvrait une blessure qui n'était qu'à moitié fermée. Au fil du temps, au lieu de cicatriser, la blessure était restée infectée. « Je.. » bafouilla-t-elle, l'herbe coupée sous les sabots. Son masque d'acier semblait s'être fêlé. « Je fais comme je peux... »

Bailey la couvre d'un regard tendre, tant pour les mots qu'elle lui avait adressé qui lui réchauffait le cœur, tant pour lui signifier qu'elle était là pour elle et que ce qu'elle pouvait ressentir à propos de tout ça lui importait, beaucoup. Bee voit bien qu'elle a touché là où ça fait mal, et elle se mord l'intérieur des joues, s'en voulant quelque peu, mais à la fois contente d'avoir pu percer un peu la carapace de R, même si elle aurait préféré que cela se fasse moins douloureusement pour son amie.
Bailey réduit à néant la distance qui les sépare et vient enlacer la grullo, restant silencieuse quelques secondes, restant juste là, contre elle. Elle finit par se reculer un peu, pour lui redonner de l'espace, sans restant tout de même proche. L'entre deux entre l'étouffement et l'échappatoire. Je l'ai rencontré, et même si son monde et le mien étaient différents, nous étions prêts à nous allier pour souder les GSiens contre les Parias. Mais … la vie ne nous en a pas laissé le temps. Elle marque une courte pause. Ca avait l'air d'être quelqu'un de bien. Elle ne savait pas trop ce dont R avait besoin, ou besoin d'entendre, Bee était peut être maladroite avec ces mots, peut être qu'ils feraient plus de mal que de bien, peut être. Où qu'il soit, je suis sure qu'il est fier de toi.

Les paroles de la brune n'eurent aucun des deux effets escomptés. Cela ne remua pas le couteau dans la plaie, au même titre que cela ne mit pas de baume au cœur de R. A vrai dire, si elle devait ressentir quelque chose en cet instant, cela serait plutôt un mélange entre la neutralité et une colère noire. Une colère due à l'injustice. Parce que la vie avait décidé de lui arracher injustement son prince doré, son chamane. « Ce monde était trop petit pour lui. » glissa-t-elle avec un léger sourire évasif, le regard perdu dans le vide, dans un autre temps.

Les paroles de R lui arrachent un petit sourire en coin, elle avait eut beau peu le connaitre, c'était aussi le ressenti qu'elle avait de lui. Instinctivement, ses yeux se lèvent vers les cieux, comme lorsqu'elle pense à ses parents. Maddox était officiellement mort, pas sa mère, mais elle se doutait qu'elle ne soit plus de leur monde. Bien que la densité des arbres autour d'elles rende l'exercice difficile, ses yeux sombres captèrent l'étendue bleu. Il cherche surement un moyen de faire descendre les dieux de leur piédestal là haut. souffle t-elle avec un petit éclat amusé dans le regard. Elle se concentre de nouveau sur elle, reconnaissance et bienveillance se bousculant dans ses yeux. Je te remercie d'avoir veillé sur moi, sur nous, durant l'Exode. Il n'y avait pas de groupe qui t'intéressait ou bien t'intéresserait ? Le voyage semble avoir touché à sa fin.

Les paroles de la brune arrachèrent un sourire à la sorraïa, fin et discret. Cela l'amusa, un instant, d'imaginer pareille entreprise. Même si les choses étaient certainement toutes autres en réalité. Elle croisa le regard de son amie, dans lequel elle vit toutes ces choses positives. Son regard était si intense en cet instant que cela aurait pu gêner R. Que quelqu'un ait d'aussi bonnes intentions envers elle, elle n'y était tout bonnement pas habituée. A l'origine, n'était-elle pas qu'une ombre glissée dans le paysage ? Un spectre de passage de-ci et de-là ? « Je ne pense pas qu'un groupe puisse un jour correspondre à ce que je suis. » souffla-t-elle simplement, sans aucun regret dans la voix, ni amertume. « Et appartenir à un groupe est souvent motif de guerre. » fit-elle cette fois-ci avec davantage de ressentiment. Appartenir à une entité, cela signifiait prendre le risque que cette même entité se confronte à une autre à un moment donné. Elle n'était plus prête à prendre ce risque. Elle n'était plus prête à connaître de nouvelles guerres. Comme un esprit fatigué, une éponge que l'on aurait trop essorée. Mais au final, R, ne paraissais-tu pas bien plus vieille que ton âge ? « Et toi, tu comptes rejoindre l'un des clans ? Pas que je doute de vos forces, à toi et ta fille, mais je ne serais pas toujours apte à vous protéger. » glissa la magicienne avec un léger sourire.

En un sens, les paroles de R la rassure, un peu égoïstement peut être. Elle avait toujours craint de l'avoir " contrainte " à ne pas rejoindre un groupe pour pouvoir veiller sur elle, elle qui s’entêtait à rester seule alors qu'elle était pleine jusqu'au cou. Mais la grullo restait fidèle à ses convictions et cela lui arracha un petit sourire, bien qu'une nuée de frissons parcoururent désagréablement son échine lorsque le mot " guerre " fut prononcé. Sans doute qu'elles en avaient déjà trop vécu pour leur jeune âge. Lorsque la question lui revient, Bailey soupire en laissant son regard dérivé jusqu'au sol. J'en sais trop rien. Il y a un groupe avec les anciens membres de mon peuple qui s'est formé, mais j'ai l'impression de ne plus appartenir à tout ça ... Mais je ne sais pas si c'est égoïste d'en priver ma fille, car ces gens, ceux sont une partie de son histoire. Idunn, à la fois descendante d'Aslaug et Maddox ainsi que d'Oroszlàn.

R considéra la mine et les paroles de son amie. Visiblement, un dilemme de taille s'imposait en elle. « Faire le mieux pour ta fille est probablement le plus judicieux. » Et savoir Bailey constamment entourée avait le don de la rassurer. Après tout, R s'était toujours secrètement dis que Bee n'était pas faite pour la vie de solitaire. « Mais je ne cherche pas à t'influencer. Tu es la seule à pouvoir prendre une décision. »

Le regard de Bailey s'était légèrement perdu sur le cours d'eau à leurs pieds et se releva vers celui de R, accompagnée d'un léger sourire pincé, avant de lever les yeux vers le ciel et de soupirer. Sauf que toutes les décisions que je prend, tout les choix que je fais, semblent me conduire droit dans le mur ces derniers temps. confie t-elle. Il y a d'abord eut les galeries, mon pétage de câble avec les anciens membres du Nord, et ... les garçons. termina t-elle avec une petite moue, glissant de nouveau ses yeux sombres vers les siens.

« Ça, c'est ce dont tu es persuadée. Au final, les décisions que tu as prises, qu'ont-elles vraiment apporté de mal ? » fit-elle simplement, sa voix se faisant plus intense. Elle se rapprocha de quelques pas de son amie, sans la quitter des yeux. Qu'avait donc bien pu faire Bailey pour qu'elle ne parvienne pas à se pardonner à ce point ?