hail to the victor

Comme un feu follet, la lionne parcourt son territoire avec une fougue impressionnante. Ses lourds sabots martèlent le sol sans douceur aucune, pourtant elle semble en totale communion avec le désert glacé. La nuit vient de tomber, quelques lueurs rosées éclairent encore un bout de ciel, tout au coin, là où nait l'horizon.

La voix résonne, quand bien même il n'y a aucun mur pour le faire ricocher. D'un seul bloc, la géante freine et pile net, projetant autour d'elle un nuage de poudreuse encore fraiche, déposée à peine la nuit tombée et qui n'a pas encore eu le temps de geler. Quand le brouillard neigeux retombe, elle est tournée vers lui. Elle a reconnu son appel comme s'il faisait partie d'elle. Elle s'avance, lentement. Sa démarche est lourde et majestueuse, tandis que ses yeux restent figés sur lui. Je suis là, souffle-t-elle comme pour le rassurer, le soulager d'un poids qu'elle peut presque partager. Elle se plante face à lui, effleure ses naseaux. Il n'y a pas vraiment de tendresse dans son geste, c'est plutôt comme si c'était évident. Elle paiera. Elles paieront pour tout. Une promesse ? Elle aimerait bien lui promettre, mais réussiront-ils vraiment à mettre la main sur l'araignée et sur Hekâ, qui lui a si longtemps fait confiance ? Finalement, elle brise la distance estimée entre eux et vient écraser son poitrail contre le sien. Un bloc de glace, qui accepte de fondre un peu pour lui faire une place.

Elle ne fait que hocher la tête, soutenant son regard cruel et assassin, l'acceptant, l'absorbant. Longtemps, il a voulu la tuer, elle. Longtemps, elle a voulu le tuer, lui. Pour ce qu'ils s'étaient fait, mutuellement. Pour ces parties d'eux qu'ils avaient saisi chez l'autre et décidé, volontairement ou non, de brûler, de torturer. Longtemps, ils s'étaient agonisé. Et ce sont ces forces sauvages qui, elle en est persuadée, les ramènent aujourd'hui l'un vers l'autre. Peut-être ne peuvent-ils composer qu'avec des créatures de la même espèce qu'eux. Son contact la brûle mais elle ne s'écarte pas. Il lui semble que la banquise tremble sous les menaces du jaguar et pourtant, la lionne ne semble ni effrayée ni décidée à le juger. Je t'aiderai, si tu en as besoin. Elle ne veut pas s'imposer à lui, et peut-être veut-il régler cela seul. Mais l'araignée ne pourrait-elle pas avoir raison de lui, aussi ? Cette simple pensée distille un peu d'une angoisse vicieuse dans les veines de la lionne. Elle gronde doucement, d'un râle sourd. J'ai peur pour X, confie-t-elle d'un seul coup, sentant la colère remonter.

Pendant son discours, Löv sent quelque chose lui crever lentement le coeur, s'il est encore possible de le lui arracher. Elle se sent exclue aux belles paroles qu'il énonce, à ces projets inconnus pour elle. Toujours si expatriée, même de sa famille, qu'elle a longtemps rejeté. Elle baisse lentement la tête, choisissant de ne pas répondre de peur que son sentiment d'exclusion ne se capte. Elle avait raison. Elle finira seule. Livrée aux prédateurs, car un jour, elle ne sera plus en mesure de leur faire face. Elle est rassurée qu'il accepte X dans ce qui semble être un projet de clan, de rassemblement en tout cas. Au moins, lui sera en sécurité.
Mais ses derniers mots lui font vivement redresser la tête et pointer vers lui la seule oreille qu'il lui reste. La lionne darde sur le jaguar un regard empli d'incohérences, d'incompréhension et... d'espoir ? Je ne fais partie de votre famille ni de près ni de loin. Ma famille est l'ennemie de la vôtre depuis toujours. Pourquoi... Pourquoi cette proposition ? En est-ce réellement une ? Après les récents évènements, elle a confiance en Asmund, sans vraiment savoir pourquoi. Elle sait que leurs colères sont révolues. Il a eu sa vengeance, elle devrait lui en vouloir à mort, mais peut-être par rédemption sa haine s'est tue, endormie, volatilisée au fil des années. Pour finalement les laisser se retrouver.
L'espoir qui se niche au creux de ses reins est illusoire, un peu malsain, un peu fou. Elle le fixe, attendant une réponse, quelque chose. La lie-t-il à eux par... son lien avec lui ? Un peu comme Phoenix, qui serait inclue par son lien avec Hooker ? Quelque chose renait en elle. Comme un phoenix un peu boiteux, mais toujours plus brûlant.

Il la fait taire, ses mots glacent le sang de la lionne. Elle ne sait pas comment réagir. Autrefois, quand il a eu de si belles paroles, elle s'est laissée charmer, elle l'a laissé glisser autour de son cou le noeud qu'il utiliserait pour l'étrangler. Là pourtant, elle ne ressent aucune pression, aucun malaise. Juste une franchise délicate, quelque chose de pas forcément évident pour lui : la confiance. À quel moment se sont-ils pardonnés ?
Elle laisse flotter un silence léger, tandis qu'elle plonge son immense regard d'abysse dans celui du jaguar. Son jaguar. Il sera, pour toujours, sa plus belle proie et son plus beau prédateur. Celui à lui avoir fait le plus de mal. Celui à lui avoir le plus appris. Elle n'est plus celle qu'il a abusé autrefois ; il n'est plus celui-là non plus, elle le sait. Loin d'en avoir des preuves, elle en a une conviction aveugle et se rend compte qu'elle lui fait confiance. Sans raison, sans motivation, et n'est-ce donc pas là la plus solide des confiances ? Sans répondre, Löv écrase finalement son poitrail massif contre celui du tacheté. Elle pose sa lourde tête contre la sienne, ferme les yeux et cherche subtilement ses lèvres. Alors je serai là, souffle-t-elle de sa voix grave, après un baiser bref mais intense, qui valait toutes les réponses du monde.

Peut-être ne peut-il montrer ce fauve qu'à elle. Et inversement. Peut-être ne peuvent-ils être sauvages qu'ensemble, que leurs proches ne doivent pas - ou plus - rencontrer leurs visages faits de colère, de haine, de terreur. Moi non plus, souffle doucement la lionne, contre le poitrail massif de l'étalon. Elle relève son regard noir vers lui, le plonge dans le sien, y jette son ancre. Mais c'est peut-être ce qui en fait sa force. À leur relation. Ils ont tout vécu ensemble, connaissent le pire visage l'un de l'autre, se sont blessés à vouloir mourir, se sont détestés à vouloir tuer. Se sont aimés, peut-être, avec la force d'une comète. Un amour brûlant, peut-être trop sauvage, peut-être qu'ils seront toujours dans cette catégorie. Qu'importe ? Löv n'entre dans aucune catégorie. Asmund non plus. Je n'aurais jamais cru que... que je pourrai te pardonner un jour. Et aujourd'hui... je me rends compte que j'ai besoin de toi. La vie est un putain de labyrinthe émotionnel Elle ose un fin sourire, plus légère, plus détendue.

(oh oui, j'avoue )

Il plonge dans son regard et elle le laisse faire. Elle se laisse faire. Elle les laisse faire. Enfin. Il retrouve ses lèvres, c'est comme une récompense, le but final, l'absolution de tout. Elle ne pense plus à rien, il n'y a que lui. Que les fauves, qui règnent en maître et que personne ne pourra arrêter.
Elle en est persuadée. Rien ne pourra les arrêter.
Il est des faiblesses qui n'existent qu'en face d'une seule personne. Et le soulagement vient lorsqu'on accepte cela, qu'on accepte de les lui montrer, les lui offrir, même. Et il y a cette envie. Cette étincelle, qui la gagne, qui la brûle. Qui la consume.
Sérieusement... encore ? Le doute, le désir, tout se mélange. Et si c'était la dernière fois ? La bonne ? La vivre comme la première fois. Les images remontent, comme des détritus à la surface. Elles sont acides, lui piquent la langue et l’œsophage. Elle ne pourra jamais oublier et cette crainte est ancrée en elle comme un coquillage à son rocher. Elle rompt le baiser, le souffle court. Son désir se lit dans ses yeux, mais ses muscles tendus trahissent une appréhension unique, éphémère et pourtant si intense. Est-ce que tu me l'enlèveras aussi, cette fois ?
Son souffle s'accélère, ses yeux deviennent plus charbon encore, encre carbonique, asphalte fondant sous un soleil de plomb. Est-ce que tu me tueras encore une fois ?
Elle se l'était jurée. Pourtant aujourd'hui, elle est sûre d'elle. Elle est plus forte qu'autrefois. Grâce à lui. Sa panique se meurt tout aussi vite qu'elle est née et la lionne se détend. Elle vient frotter sa tête contre celle d'Asmund, avant de frôler ses flancs, puis de les mordiller. Elle s'arrête, tourne la tête, croise son regard ardent. Mon jaguar.. Deux chasseurs, deux bêtes sauvages. Nous l'élèverons ensemble, cette fois.

Il le voit subir. Comme elle subit, elle. Subissent-ils ce lien malsain, fou, indispensable pourtant ? Elle le sent se rapprocher de sa croupe. Elle aimerait se tendre, le repousser ; n'en éprouve nullement l'envie. Ses iris restent fondus dans le métal noir du jaguar. Pour toute réponse, elle laisse échapper un soupir, discret, indécent. Puis sa queue se panache et la lionne ferme les yeux, juste quelques instants. Pour s'oublier, s'abandonner. Abandonner la peur et la colère, le futur et le passé. Se concentrer ici et maintenant. Elle ressent alors chaque caresse, chaque baiser comme des météores d'acides qui picorent sa peau. Son impatience est palpable, elle essaie pourtant de se contenir. Au bout de plusieurs minutes, elle recule d'un pas d'un seul coup, écrasant sa croupe contre le poitrail du mâle. Elle le fixe, toujours. Appartiens-moi. Appartenons-nous.