C'est en forgeant qu'on apprend à être forgeron

→ C'est en boitant que la vieille jument marchait sur les terres de cet endroit. Plus ça allait, plus son postérieur la faisait souffrir. S'était-elle seulement fouler ce boulet ou était-ce plus grave ? Elle ne saurait le dire et ça lui faisait réellement peur. Si elle devait aller voir un guérisseur ou un chaman ? Bien sûr, elle le savait parfaitement mais elle n'en avait pas envie. Ou peut-être avait-elle réellement peur. Peut-être était-elle tout simplement terrifiée sans qu'elle ne l'avoue. C'était évident. Finalement, son regard se porta sur une baie où elle venait d'arriver et un soupir passa ses lèvres : elle avait entendu parler de la légende de cet endroit, mais elle s'en moquait pas mal. Les légendes n'existent que si on s'en préoccupe. Alors, sans se soucier plus que cela, elle vint dans l'eau, laissant celle-ci calmer la douleur de son postérieur, ou un petit peu. Elle ferma les yeux, se laissant aller, et ne fit même pas attention à la présence d'un étalon près d'elle.

→ Une voix se fit entendre derrière elle, ce qui fit sursauter légèrement la jument. Elle n'avait pas vu l'étalon arriver : en même temps, la douleur était d'une telle force qu'elle n'arrivait à se concentrer sur autre chose. Elle ne retournerait plus jamais dans la Jungle ainsi que la Vallée, ça c'était sûr. La Jungle, car elle ne voulait plus jamais rencontrer cette jument aussi folle qu'elle, mais surtout d'une violence sans raison. Pourquoi l'avait-elle attaqué de cette façon ? Pourquoi avoir été si insolente ? Mais surtout, pourquoi avoir changer de comportement aussi facilement ? Elle ne comprenait pas. La Vallée, car elle ne voulait plus jamais voir de bisons et galoper à s'en arracher les poumons. Mais surtout, elle ne voulait plus mettre le sabot dans un trou au risque de finir éclopée. Finalement, elle posa son regard de jais sur l'étalon noir : Njörd ... Parfait ! Elle voulait le revoir. Peut-être que son tempérament calme réussirait à la distraire de sa douleur, qui sait ?

→ Elle remarqua parfaitement le regard soucieux de l'étalon sur son physique. Elle comprenait qu'il puisse se demander pourquoi elle était ainsi et surtout, ce qu'il venait de se passer : en effet, un cheval douloureux est un cheval qui aura du mal à survivre. Elle en était convaincue depuis sa naissance, et surtout elle l'avait apprit à ce moment-là. Ne dit-on pas qu'un cheval blessé est un fardeau pour le harem, qu'il doit être chassé ou achevé par l'étalon dominant sinon il attirera les prédateurs ? Combien de harems avaient été anéantis par un prédateur à cause d'un poulain handicapé ? Beaucoup trop, malheureusement. Lorsque l'étalon lui répondit, elle bougea une oreille sur le côté, tentant de comprendre sa réponse. Mais elle n'insistera pas pour autant, ça ne la regardait pas de toute façon. " Je vois. Eh bien si tout est sous contrôle, tant mieux pour vous. Ce serait dommage qu'un étalon tel que vous ait des soucis. " Finalement, à sa question, elle secoua la tête. Oui, elle était douloureuse, mais elle devait inquiéter les autres. " En effet, j'ai eu quelques soucis récemment. Et disons que mon âge n'a pas arrangé les choses. " dit-elle, avec un petit rire discret.

→ " Oui, tel que vous. Vous avez été le premier étalon à me calmer et me faire peur à la fois. Ca m'a fait étrange, sachez-le ... Mais je suis vraiment heureuse de vous revoir. " La grise était une jument franche, elle a toujours dit ce qu'elle pensait aux gens qu'elle rencontrait : au point peut-être de les surprendre ou même de leur faire peur. C'était une évidence, mais elle assumait pleinement. Pour elle, la franchise est la meilleure vertu d'une personne, puisqu'elle permet aux autres de lui faire confiance et surtout de créer un certain climat fiable. Elle se rappelait parfaitement la première rencontre qu'ils avaient eu. Il était le premier cheval qu'elle rencontra depuis son arrivée et sa gentillesse, ainsi que sa patience l'avaient complètement décontenancé et c'est pour cette raison qu'elle avait fui. Finalement, à sa seconde question, elle hocha la tête. Elle ne savait pas même elle si c'était grave ou non ... Tout ce qu'elle savait c'est que son postérieur la faisait réellement souffrir et que si elle ne marchait pas un quart d'heure au moins, elle avait un poteau plutôt qu'un boulet correct. Elle engorgeait très facilement, ça devait venir de la vieillesse mais peut-être aussi d'une foulure mal soignée. Puis à sa proposition, elle eut un tendre sourire ... Un guérisseur ? Myosotis lui avait fait la même proposition et elle avait eu du mal à l'accepter. En effet, laisser quelqu'un lui démontrer la réalité, lui prouver qu'elle était très vieille ... Ca la terrifiait. " Je ne sais pas si c'est grave, mais c'est très douloureux en effet. Mais vous êtes deux à me proposer un guérisseur, peut-être que je devrais vraiment y songer à force. " dit-elle avec un sourire triste.

→ Sa franchise avait toujours rendu mal à l'aise les autres, elle l'avait remarqué depuis des années maintenant. Mais lorsqu'elle était pouliche, cette dernière était bien pire : en effet, elle disait absolument tout ce qu'elle pensait sans filtre, elle n'hésitait même pas à dire des vérités qui pouvaient faire mal. Cependant, aujourd'hui, en ayant vieilli, elle avait apprit à mettre des formes et surtout à dire les choses avec plus de subtilité, malgré que sa franchise soit toujours aussi présente. " Ne vous excusez pas, c'est surtout moi qui ai beaucoup de mal avec la communication entre congénères. " Un petit sourire amusé et elle hocha la tête. En effet, depuis sa naissance, elle avait toujours eu du mal à cerner les émotions des autres et surtout à savoir comment agir avec eux. Elle se sentait comme exclue, mais surtout comme une sauvage dans une civilisation qu'elle ne comprenait pas. En réalité, ce n'était pas tant le personnage qui lui avait fait peur, mais plutôt sa gentillesse : elle n'avait jamais connu de cheval aussi calme et doux que lui. Elle avait eu peur qu'il l'atteigne et puisse la manipuler par la suite. " Disons que ce n'est pas tant la confiance le problème, mais plus la réalité. Car si je vois un guérisseur, je verrai toutes ces années passées sur mon dos et ça me fera réellement peur, je pense. "

→ " Vous avez parfaitement raison. Mais en fait, j'ai peur que l'on m'ordonne de me reposer, de dormir ... Car, le sommeil est quelque chose qui me terrifie : j'ai peur de ne jamais me réveiller. Encore plus peur de ne pouvoir me relever après m'être couchée. " Cela faisait bien longtemps qu'elle ne s'était pas autorisée un sommeil réparateur, ou encore mieux un sommeil couché. Car elle avait toujours eu peur, ou tout du moins après avoir atteint la quinzaine, de ne pouvoir se relever. Elle savait parfaitement qu'un cheval couché et ne pouvant se relever demeurait une proie parfaite et surtout un cheval vulnérable. Finalement, elle s'autorisa une petite pause broutage et regarda l'horizon.

→ " Vous avez raison, mais je suis certaine qu'à mon âge le sommeil n'a plus vraiment d'importance. J'ai dix-sept ans et j'ai la mort plus proche de moi que la vie, donc je préfère encore marcher plutôt que dormir. " Si les années lui avaient offert la sagesse, bien sûr. Elle en était parfaitement consciente aujourd'hui. En effet, lorsqu'elle était jeune, elle n'hésitait pas à se jeter dans la gueule du loup et à s'endormir sur ses deux oreilles ensuite. Mais maintenant, elle faisait davantage attention à l'endroit où elle posait ses sabots et hésitait à fermer les yeux.

→ " Oh ne vous en faîtes pas pour moi, voyons. J'ai voyagé assez longtemps pour savoir où mettre les sabots. " Un léger rire traversa ses lèvres tandis qu'elle secouait la tête de gauche à droite. " Le mot têtu a toujours fait parti de mon vocabulaire, dirons-nous. " Effectivement, depuis qu'elle était toute petite, Capitaine a toujours été une jument très têtue, d'ailleurs c'est sans doute cette caractéristique qui lui a permit de survivre aussi longtemps. La détermination fait que nos projets survivent et peuvent grandir, mais elle permet aussi de devenir celui ou celle que l'on a toujours souhaité. Finalement, elle cessa de rire et adressa un petit sourire à l'étalon noir. Cet étalon était quelqu'un d'agréable, et elle aimait vraiment sa compagnie.