Premiers pas

Et ça, la petite l'a assez vite remarqué. Elle aussi vient d'arriver sur ces terres, il y a seulement quelques jours. Et elle s'en balance bien de savoir si c'est là un individu natif ou nouveau, comme elle. Elle s'approche par derrière, sans craintes, inconsciente diront certains ; audacieuse pour d'autres. L'isabelle ne semble pas l'avoir vue. En plus, avec sa petite taille, elle passe vite inaperçue. Espiègle, la pouliche arrive finalement tout près de lui, hume son odeur - mais de toute façon, elle ne peut pas le connaître. Elle ne connait personne, à part Gaara. Son frère de voyage. Armée de tout son courage et sans vraiment que l'on sache pourquoi, la petite appaloosa lance ses dents encore fines droit en direction des flancs de l'étalon.

Tout à son divertissement, les prunelles fixées sur le ressac qui semble ne jamais prendre fin, son esprit vogue, divague, est-ce cela que l'on nomme le vague à l'âme ? L'océan vide ses pensées en laissant un parfum iodé empreint de nostalgie. Soudain, alors qu'il allait laisser échapper un nouveau soupir, quelque chose entre en contact avec son flanc droit, quelque chose de dur, qui pique. D'un bond incontrôlé, il a juste la présence d'esprit de ne pas se jeter tout droit en direction du précipice, il percute la chose et ce second contact le fait glapir. En trébuchant il fait volte face ; il lui faut quelques secondes pour se rendre compte que ce n'est pas quelque chose mais quelqu'un. « Qu'est ce que tu fais ? » crie-t-il à moitié, encore sous le coup de l'émotion. Il n'a même pas terminé sa phrase qu'il regrette son éclat de voix, ça se voit dans ses yeux. Il abaisse la tête en direction de ... lui...elle ?

C'est vrai qu'on pourrait hésiter. Lui, elle, tout va à Cxalùn. Lui par son comportement masculin, insolent. Elle par sa voix encore aiguë faute de son âge. Elle aurait préféré être un garçon, c'est vrai. L'étalon réagit - lui prouvant qu'il est donc bien vivant - et la bouscule. Elle gicle sur le côté en un rien de temps mais revient vite à la charge, ses petites oreilles couchées au cas où il voudrait la frapper. Il aurait raison. Sa mère le faisait bien, quand elle n'était pas d'accord avec elle, quand elle ne lui obéissait pas ou, simplement, quand elle n'écoutait pas ses histoires absurdes. Alors, Cxalùn s'attend à un coup. Mais le coup ne vient pas. A la place, l'étalon lui crie dessus mais la petite ne semble pas affectée, ni par le ton de sa voix ni par sa puissance vocale. Elle a eu l'habitude qu'on lui hurle dessus, si bien que cela ne l'affecte plus vraiment. Pour elle, c'est presque normal. Elle redresse ses petites oreilles noires, dépassant de ses crins grisonnants encore en brosse. Je vérifiais que tu n'étais pas mort fait-elle, spontanée et directe.

Elle ... Il semble bien que c'est elle, est si jeune. Et pourtant, elle semble méfiante, tendue et par d'innombrables façons bien plus préparée que lui-même à la vie sauvage. Ça lui saute aux yeux, c'est un enfant et pourtant ... Il n'a jamais vu un regard si sérieux chez un poulain. Il baisse l'encolure jusqu'à avoir son regard à hauteur de celui de la pouliche. D'une expiration, toute surprise et irritation se sont envolées. Bienveillant, un rare sourire en coin décore ses lèvres. « Eh bien, il semblerait que non. » lâche-t-il, amusé. « Tu es seule ? » Il ne juge aucunement, il ne sait pas trop déterminer son âge et il n'y connait rien du tout, il est incapable de dire si elle est assez âgée pour se promener seule. Il pense à la pouliche du troupeau, celle qui a sans doute été forcée à avoir un enfant et pour qui il n'a rien pu faire ; il secoue la tête pour chasser cela et se concentre sur ce qui le passionnait à peine quelques minutes auparavant. « As-tu vu la force de ces vagues ? » demande-t-il avec enthousiasme tandis qu'il s'approche de nouveau du bord de la falaise. L'océan, pas dérangé par leur petite conversation de mortel, ne s'arrête pas de frapper les roches avec rage.

La petite hoche la tête, fière et assurée. Bien sûr qu'elle est seule ! Je suis venue ici avec mon copain Gaara, mais on explore chacun de notre côté, explique Cxalùn en souriant. Elle se demande s'il rencontre beaucoup de monde, lui. Elle secoue la tête, le laissant vivre sa vie et se concentrant sur le spécimen qu'elle vient de rencontrer. Ses mots la sortent facilement de sa rêverie et la petite étrangère s'approche du bord de la falaise. Sans hésitation, sans peur, avec un peu d'inconscience peut-être aussi. J'ai envie d'aller voir les vagues de plus près, demande-t-elle comme une invitation plus qu'une permission. Elle tourne sa petite tête pour fixer dans les yeux de l'étalon les deux billes noires qui lui donnent un regard obscur et effronté. Tu viens avec moi ? propose-t-elle, de bonne humeur aujourd'hui, visiblement.

Elle ne semble pas être seule donc. Malgré tout, un peu hésitant, il lâche la véritable question qui lui trotte dans la tête. « Mais as-tu un adulte autour de toi, qui veille sur toi ? » Elle a l'air débrouillarde bien sûr, son sens du respect d'autrui ne lui permettrait pas d'être inconvenant, même envers une fillette. Mais lorsqu'il la voit s'approcher encore plus que lui du bord de la falaise, il est certain de vouloir le lui demander. Il s'en voudrait trop sinon. « Bien sûr ! » sourit-il avec entrain. « Il y a un chemin par là-bas. Mais je ne sais pas s'il est très escarpé ou pas. » Il se trouve à flanc de falaise et Skar se met en route en sa direction. Il espère qu'il sera praticable, sinon il ne voit pas bien comment il pourront atteindre la plage. Tournant la tête, il cherche la petite du regard.

La petite plisse les yeux en dardant sur lieu un regard partagé entre la fierté et la déception. Non, et j'en n'ai pas besoin ! clame-t-elle haut et fort en bombant un peu son poitrail en avant. Encore et toujours plus près du vide. Mais elle ne voit pas le danger. Ou peut-être joue-t-elle juste avec, comment savoir ? Chouette, il vient avec elle ! Ravie, elle se détourne enfin du vide pour chercher le chemin avec lui. C'est quoi ton nom, au fait ? demande-t-elle de sa voix un peu aiguë, montrant ses petites dents blanches dans un sourire un peu étrange.