uneven odds /

Elle court, sans s'arrêter. Une flèche noire qui fend l'obscurité. Aucun signe de fatigue. Elle accélère encore, devinant à l'avance les changements de direction. Sa vue immédiatement habituée au noir épais du tunnel, comme habituée à vivre dedans, comme si elle n'était que née la nuit. Derrière elle, on entend les jappements, et les griffes qui crissent sur le sol verglacé. Le loup s'est lancé dans une quête précise. Il croyait piéger sa proie dans ce dédale humide. Mais Brooklyn n'est pas une proie. Et elle compte bien inverser les rôles donnés par la nature. D'ailleurs, sur son visage, on peut même discerner un sourire.

Je peux ?

bien sûr.

Dehors le ciel d'un bleu éclatant avait laissait place à une nuit noir, le soleil avait disparu et la lune n'avait même pas daigné prendre sa place. Accoutumé à l'obscurité c'est presque facilement qu'elle avait trouvé l'entrée du tunnel. Elle n'y avançait que depuis quelques minutes quand des bruits attirèrent son attention, ses oreilles pivotèrent instinctivement vers l'avant. Des sabots qui claque sur le sol glacé, des jappements de loup affamé, elle reconnaît là les bruits d'une cavalcade où le loup traque sa proie, bien décidé à avoir son repas. Elle ne peut s'écarter, le tunnel et trop étroit pour les éviter, et déjà dans l'obscurité elle perçoit une forme équine qui fonce droit dans sa direction.

Brooklyn s'amuse. Son terrain de jeu : le danger. L'adrénaline court dans ses veines comme elle court dans le tunnel. Elle s'ébroue, remarquant brusquement une forme en plein milieu du tunnel. Elle fronce les sourcils, freine des quatre fers, fait pour une fois un peu de bruit sur le sol dur et rocailleux. « je te conseillerai de mettre la deuxième, ma jolie. » fait-elle avec un sourire narcissique, avant de faire volte face pour se mettre dos à la jument. « allez, viens, je t'attends. » Et droit devant elle fonce le loup, persuadé de ne pas avoir un repas mais deux. Persuadé d'être le plus fort. Mais faut jamais être persuadé. Il se base sur les lois de la nature. Elle se base sur les lois d'un apprentissage sans failles.

Elle la voit déboulé, une jument noire comme l'ébène, qui freine brusquement et parvient à s'arrêter sans la percuter. Elle ne prête que peu d'attention à son sourire narcissique, retient juste ses paroles. Elle esquisse lentement un mouvement pour faire demi tour. Rien ne l'a retient, elle à sa propre survie à assurer, cet jument n'est qu'une inconnue. Mais en la voyant faire face au loup, elle s'immobilise et attend, d'abord spectatrice du spectacle qui va se déroulé sous ses yeux dans quelques secondes.

Dans son dos, la jument ne semble pas vouloir bouger. Brooklyn claque la langue contre son palais. Qu'est-ce qui cloche avec les gens d'ici ? Tiennent-ils donc si peu à la vie ? Tant pis pour elle. De toute façon, il n'y a pas la place pour passer à deux de front dans le tunnel, alors la noire va devoir affronter le loup. Non son prédateur, mais son jouet. Dommage, elle aurait bien aimé jouer encore un peu. Elle fait un pas brusque en avant, le canin montre les crocs mais continue de courir. Elle choisit la bonne foulée. Se dresse à demi pour lancer ses antérieurs vers lui, juste sur son poitrail à lui. Et elle pousse, violemment. Surpris, le loup se voit glisser sur trois bons mètres, ses griffes inutiles sur le verglas couvrant le sol. Elle sourit, baisse la tête, frappe du sabot. Déjà, l'animal est plus hésitant. Mais il y croit encore, à ses pauvres lois de la nature. On a dû lui dire, petit, qu'il était roi. Qu'il était fort. Qu'il était prédateur. Il montre les dents. Elle fait claquer les siennes; ça résonne dans le silence emmitouflé. Menaçante, elle fait de nouveau un pas en avant. Il faut gagner le terrain qu'on obtient.

Et elle ne bouge pas observant l'affrontement en silence, laissant l'inconnue se jeter seule dans la gueule du loup. Mais la noire ne semble pas avoir besoin d'aide. Wolf à apprit depuis longtemps à reconnaître les situations, et ici elle remarque immédiatement que la jument sait ce qu'elle fait. Jeu ou véritable entraînement ? Ou peut-être est-ce les deux. Dans tout les cas ce n'est pas une proie, mais une guerrière qui sait parfaitement ce qu'elle fait. Elle-même ne fait pas un mouvement, pas un geste, se fond presque dans le décor, c'est à peine si on l'entend respiré. Et attentif, les oreilles à demi couché elle observe la suite.

Brooklyn a déjà oublié la noire, mais la devine encore présente, dans son dos. Audacieuse, de ne pas être partie. Le loup pourrait très bien avoir le dessus, et s'en prendre ensuite à elle. C'est ce que la nature voudrait. Mais la nature a déjà trop prouvé à Brooklyn qu'elle ne voulait pas d'elle. Parce qu'on l'avait faite hors-normes. Parce qu'on lui avait enseigné comment défier ses précieuses lois. Le loup, acharné, revient à la charge. Mais la jument se déplace avec des mouvements si fluides qu'ils en semblent accélérés. Pourtant, l'endroit exiguë ne lui permet pas de s'exercer comme elle le voudrait, et elle prend une morsure à l'épaule. Légère. Mais existante. C'est le déclencheur pour la noiraude, qui a soudain les yeux traversés d'un éclat de colère. De folie. Pure, brute, ce type de folie qu'on ne cherche même pas à maîtriser. Alors, elle décide d'en finir. Le jeu a assez duré, place à la scène finale. Elle bondit en avant, toutes dents dehors. Si elle avait des griffes, ses sabots auraient été meurtriers. Mais ils le sont quand même. D'un coup de mâchoire, elle attrape une oreille du loup. Au lieu de s'en écarter, elle le colle, l'oppresse contre la paroi glacée. Il se met à couiner. Le sang coule dans la bouche de la noire, celui de son oreille, probablement. Il essaie de se débattre, mais elle se dresse à moitié sur ses postérieurs, ses sabots avants venant bloquer le poitrail de la bête, qui se couche alors au sol. Qui gémit, pas de la même façon. Comme un dominé. Comme si la jument allait devenir son Alpha. Elle grogne, d'un son rauque et caverneux sorti de ses entrailles. Elle relâche l'oreille du canidé, avant de lui infliger une violente secousse de l'épaule. Il part s'écraser contre le mur, assommé, son corps meurtri tressautant légèrement. C'est là qu'elle prend le temps de se retourner. Elle semble d'un calme glacial. « j'pense pas que tu veuilles assister à ça. » L’abattoir. La mise à mort. Le retrait d'une vie. Une, parmi tant d'autres. De son espèce, et d'autres.

La noire semble parfaitement maîtrisé la situation, et Wolf ne s'inquiète pas, la laissant affronté le prédateur. C'est son combat, et si jamais l'animal venait à avoir le dessus sur elle et l'agresse à son tour, et bien elle saurait elle aussi quoi faire, même si ses performances n'était pas les mêmes que celle de la noiraude. Brusquement une morsure atteint Brooklyn, et la jument rouan se fait la réflexion que son entraînement n'est peut-être pas si parfait, elle qui doit se croire invincible. Mais rapidement la suite lui prouve le contraire, elle n'aime pas ça. Alors elle recule de quelque pas en secouant la tête, d'un air désapprobateur. Le loup c'est résigné, soumis et pourtant cette jument semble prise de folie, le plaisir de tuer doit l'animer, et Wolf le comprend quand elle s'adresse à elle, d'un calme glacial, à vous faire avoir des sueurs froides, mais ce n'est pas le cas de la jument rouan. Elle ouvre enfin la bouche. - Tu pourrais pas simplement le laisser, lâche t-elle. Elle reste neutre, impassible, ne laisse rien voir de ce qu'elle pense vraiment. Elle ne pourra pas l'empêcher si la noire à décidé d'en finir, alors elle se retire, tourne le dos et commence à s'éloigner, laissant l'autre en finir avec le canidé, car elle sait qu'elle ne le laissera pas partir. Ce genre de chevaux habité de folie, ne font jamais de quartier.

Mais Brooklyn est loin de se croire invincible. Au contraire. Sauf qu'à la différence de beaucoup, elle sait parfaitement où sont ses failles. Elle lance un ricanement moqueur. « le laisser agoniser ainsi, atrocement blessé, tu crois que c'est mieux ? » lance-t-elle pourtant d'une voix dénuée de provocation; juste neutre, juste calme. Elle hausse un sourcil, et puis en la voyant s'éloigner, elle se retourne vers le loup. C'est quelque chose de vite fait. Elle s'ébroue ensuite, continuant alors de marcher dans le tunnel de glace, sur les traces de la rouanne partie devant, d'un pas vif. Et pourtant si silencieux.

Ce qu'elle lui reproche c'est d'avoir était si loin dans ce combat, pourquoi ne pas juste le laisser au moment où il c'est rendu, où il capitulé ? Pourquoi aimait cette souffrance, cet mise à mort. Elle n'a pas voulu en voir plus, et elle s'éloigne dans le tunnel. Pour autant son pas est calme, et si la noire se croit discrète c'est raté. Wolf aussi à de l'expérience, et elle sait que cet inconnue la suit dans le tunnel. Mais elle ne se retourne pas, ne voit pas l’intérêt de lui parler. Son esprit et trop occupé à éclater les souvenirs que ce combat à réveiller. Un par un elle s'efforce de les repousser solidement, les refermant à double tour dans les tiroirs de sa mémoire.

La noire finit elle aussi par s'arrêter, soupirant bruyamment, lasse. Son regard se porte sur la silhouette qui avance devant elle sans qu'elle n'éprouve l'envie de la suivre.

Elle la sent qui s'arrête derrière elle, sans doute lasse de la suivre. Peu importe, elle n'a pas besoin de compagnie, et encore moins avec ce genre de jument. Mais elle ne fait pas beaucoup de chemin, car à peine quelque pas plus loin elle discerne des formes mouvantes dans le tunnel rendu sombre par la nuit. Elle s'immobilise et hume l'air. Ses oreilles se pointe en avant. Le bruit feutré des pattes sur le sol, l'odeur animal du prédateur. Elle ne regarde même pas Brooklyn, mais sait d'avance qu'elle l'entendra. - Je crois que tu à mal jaugé ton ennemi ma vieille, lui lance t-elle. Les loups sont plus malin et rusé qu'on le pense, et voilà le reste de la meute qui s'avance. Il était là leurs piège, un qui envoie dans le tunnel, et les autres qui finisse le travail.

La noire laisse résonner dans le tunnel un rire sec et moqueur. « ma vieille ? tu veux peut-être que la vieille te laisse crever ici dans ce tunnel ? » fait-elle d'un ton monotone, haussant les épaules. Elle a affronté pire qu'une meute de loups, si tu savais, ma grande.

» Against all odds (C)
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» May the odds be ever in your favor _A_