φ Au fond du couloir

Anastasia.

yearling

Le tonnerre gronde et la pluie fait rage. Très vite, la princesse se voit noyée jusqu'aux os, sa robe déjà empreinte de l'odeur caractéristique du petrichor. Toutefois, cela ne l'empêche pas de porter avec grâce son corps dégoulinant vers l'entrée d'un château, à première vue abandonné, pour y pénétrer & échapper ainsi aux intempéries. Une fois à l'intérieur, ses yeux exigent quelques instants pour s'ajuster à l'obscurité environnante et discerner l'endroit où elle se trouve : le hall de la demeure, sous la forme d'un énorme couloir.

Elle entreprend la traversée du couloir quand, à mi-chemin, un bruit résonne dans le château et annonce la venue de quelqu’un. Surprise, elle recule involontairement vers le mur le plus proche et observe l’entrée, ne discernant pour l’instant aucune silhouette. Il ne suffit que d’une simple bouffée d’air pour sentir son cœur bondir dans sa poitrine. Une odeur. Celle de Loki. Les souvenirs embarrassants de leur dernière rencontre affluent dans son esprit et, paniquée, elle fait la chose qui lui semble le plus logique sur l’instant : fuir dans l'obscurité, vers la pièce la plus proche.

Tapie dans l’ombre, le dos contre une porte, elle n’ose pas sortir sa tête dans l’embrasure pour voir où il se trouve. Elle ne sait même pas ce qu'elle lui dirait, s'il la voyait. Veut-il réellement la voir ? N'est-ce pas qu'un jeu, pour lui ? Elle l’entend faire quelques pas, et sursaute à moitié quand un hennissement résonne dans le château. Un jeu... oui. Ce serait trop simple de te répondre, très cher. Si tu veux savoir qui est là, il faudra chercher – pense-t-elle alors, avant de s'en étonner. Depuis quand est-elle aussi sournoise ?

Voilà qu’il la provoque, encore et toujours. Elle se doutait qu’il finirait par reconnaître son odeur, mais sa naïveté lui aurait accordé quelques minutes supplémentaires. Tant pis. Une porte entrebâillée un peu plus loin attire son attention mais laisse échapper un grincement monstrueux à l'ouverture. Zut. Sans plus attendre, elle se rue dans la pièce adjacente, éclairée par la lumière intermittente des éclairs. S’il sait qu’elle est là et qu'il poursuit ses recherches, c’est peut-être parce qu'il désire la voir ? Ne sois pas idiote. Ce n'est qu'un jeu. Des bruits de pas, de plus en plus proches... Il va la trouver - et elle ne sait toujours pas quoi lui dire.

Dans ce silence pesant et cette obscurité morbide, le bruit du tonnerre résonne dans tout le château avec violence, et sa lumière confère une ambiance angoissante. Cachée derrière un rideau déchiré et vieux comme le monde, Ana ferme les yeux quand elle voit une ombre se profiler devant la porte… avant de disparaître. N’a-t-il donc rien vu, rien senti ? Intriguée, elle sort de sa cachette puis de la pièce dans l’idée de rebrousser chemin. S’il s’en va vers l’aile ouest, il ne la retrouvera certainement pas au point de départ. Du moins, c’est ce qu’elle croit.

Derrière elle, le parquet se met à craquer, comme si quelqu’un la suivait. C’était donc un piège… mais oui. Elle maudit sa naïveté en descendant les escaliers, réfléchissant à une diversion. Elle se dirige finalement vers une pièce remplie de miroirs, le cœur battant. Une sorte d’adrénaline semble motiver ses faits et gestes – comme si, finalement, cette traque lui plaisait. L’excitait. Elle se surprend à se demander s’il apprécie son rôle de prédateur autant qu’elle adule le sentiment d’être devenue sa proie. Nom de nom. Il l'aura totalement déréglée. N’est-ce pas tout à fait inconvenant, pour une princesse ? demande-t-elle silencieusement à son reflet.

Elle reste bloquée devant son reflet, complètement déroutée. Comme stupéfiée devant la vue de son corps en émoi, de ses yeux pétillants et de son poitrail se soulevant au rythme effréné d’un cœur troublé. Qui es-tu ? Tu deviens une étrangère. Tu deviens tout ce qu’il aime, tout ce que tu as toujours abhorré. Tu deviens son jouet. Elle se pose tant de questions qu’elle en oublie son immobilité. La voilà à découvert, au beau milieu d’une pièce remplie de miroirs – offerte sur un plateau à celui qui a toujours refusé les services royaux.

Dehors, la tempête fait rage et le vent secoue violemment les fenêtres qui claquent sous son souffle. Peu à peu, Ana reprend ses esprits et se souvient du ‘jeu’ auquel elle participe – mais il est trop tard pour courir. Loki est déjà entré dans la pièce, lui posant la question à laquelle elle ne saurait répondre elle-même. Cachée derrière son miroir, elle ne bouge pas d’un iota, il ne peut pas encore la voir – alors qu’elle crève d’envie de se noyer dans son regard d’encre. « Pour gagner du temps. » répond-elle simplement, d’une voix énigmatique, à peine audible avec le grondement du tonnerre.