ı thunder ı

i was lightening
before the thunder


Ses dents sont serrées à tel point que cela lui fait mal. C'est douloureux. Mais pas plus que les crampes étonnamment puissantes qui viennent directement de son ventre. Des semaines durant, elle s'est tapie, se cachant aux yeux des autres, de tous. Pour ne pas qu'on la voie comme ça, pour ne pas qu'on comprenne, qu'on la catégorise. Moins de monde possible l'aura vu pleine, moins on saura qu'elle a un enfant. Un enfant qu'elle va abandonner ici ou là, quelque part dans un endroit hostile. Soudainement, une contradiction plus violente que les autres l'envoie directement au tapis. Elle ne cherche pas à se relever, abdiquant face à un adversaire plus redoutable que n'importe lequel qu'elle pourrait affronter.
Elle-même.

Les chaleurs sont finies, bientôt viendront les naissances, si elles n'ont pas commencé. La rouquine s'était rendue au Nord, ce jour là, pour s'assurer que tout va bien. Elle est peut-être aux Jades, mais elle n'en a rien à foutre des frontières. Un cheval est un cheval, alors pourquoi s'empêcher d'aller porter son aide? Elle sait qu'elle ne pourra pas aider tout le monde, mais les juments mettent bas depuis que le monde est monde. Phoenix n'aimait pas particulièrement le froid, elle était plutôt taillée pour la chaleur. C'est pourquoi elle était allée se réchauffer aux sources chaudes. À peine fut-elle entrée qu'elle remarqua une jument silver qui était visiblement en train de mettre bas. Lov. Elle l'avait déjà rencontrée, elle n'était pas du genre à se laisser aider facilement. La rousse savait que si elle voulait l'aider, il ne fallait pas la prendre par pitié ou quoique ce soit du genre. D'autant plus qu'elle ignorait complètement sa grossesse. Elle ne cherchait cependant pas à comprendre. Il vaut mieux faire taire certaines questions, parfois. «Lov, c'est Phoenix. Tout va bien, il n'y a rien de plus naturel. Je ne suis pas là pour te juger, mais pour t'aider, si tu en as besoin.» Bien, elle savait qu'elle était là. La petite jument s'approcha un peu plus de son ventre rond. Des spasmes puissants secouait la jument étendue sur le sol. Les contractions étaient fortes, mais elles le seraient encore plus, plus tard. Phoenix posa un sabot dessus pour évaluer où elle en était rendue.

Soudain, une voix. Lov a à peine la force de relever l'encolure, ce qui lui coûte un effort surhumain, lui semble-t-il. Elle reconnait immédiatement l'alezane et laisse retomber violemment sa tête contre le sol. Bien sûr, il fallait qu'elle tombe sur elle ! Elle allait encore l'aider, et un jour, elle allait finir par lui être redevable, c'est sûr ! Et Lov ne veut pas. Jamais être redevable.
Elle la laisse s'approcher – de toute façon, elle n'est pas en position de s'y opposer – et serre les dents encore et encore, encaissant les assauts des contractions, qui se font plus rapprochées. Elle ne répond rien, ne voulant pas gaspiller ses forces et son énergie. Elle ne semble pas apeurée pour un sou de ce qui lui arrive ; plutôt en colère d'être ainsi, faible, au sol, en position de soumission extrême. Ça lui est insoutenable mais pour une fois, elle ne peut rien y faire.
Lorsqu'elle sent le sabot de la rouquine se poser sur ses flancs gonflés, elle laisse un long frisson faire sursauter son corps qui semble vivant de l'intérieur. Ses oreilles se couchent en arrière et c'est le regard fou qu'elle crache, les yeux braqués sur la guérisseuse : « Tue-le ! »

Elle sait. Elle sait que Lov se sent faible, c'est la première chose qu'elle a senti quand elle l'a aidée, la dernière fois. Elle sait qu'elle n'aime pas ça. Mais s'il y a bien une chose qu'elle ne sait pas, c'est qu'elle ne voulait pas du poulain. Alors, lorsque ses oreilles se couchent, elle ne fait rien - elle est habituée au mauvais caractère des juments qui mettent bas - mais lorsqu'elle lui demande de tuer le poulain, elle sursaute. Son sang ne fit qu'un tour et elle ôta son sabot des flancs de la Nordique. Puis, elle se ressaisit. Même si Lov ne voulait pas du poulain, Phoenix serait bien la dernière à vouloir le tuer. Elle ferme les yeux, inspire un bon coup et reposa son sabot avec assurance. Les contractions sont de plus en plus violentes et ne laissent pas beaucoup de temps pour que Lov se repose. «Tais-toi et continue de pousser. S'il reste pris en toi, tu mourras.», claque-t-elle du même ton que la jeune mère. Le temps passe et la mise bas devient de plus en plus dure. Mais comme elle l'a dit plus tôt, c'est normal, tout est normal. Elle ne peut rien lui donner pour soulager la douleur, il faut qu'elle la ressente. Soudain, la guérisseuse s'éloigne, pour ensuite revenir chargé d,un bâton solide et de mousse imbibée d'eau. Elle lui tend ces derniers, l'invitant à mordre dans le bâton si la douleur se fait trop forte. Phoenix presse un peu la mousse pour faire couler le liquide dans la gueule de la future mère, afin qu'elle puisse se rafraichir un peu.«Écoute moi bien, je n'attends rien de toi en retour.», lui dit-elle. Une chose de mise au clair. Puis, elle se radoucit. «Lövojka, tu n'es pas faible. Une jument faible aurait déjà abandonné, mais toi, tu es une battante.» Elle avait dit ça, mais au fond, elle savait presque déjà que Lov s'en foutait carrément.

Mourir ? Quoi, cet ignoble petit être pourrait la tuer, elle ?! Ça lui semble inconcevable et pourtant, les paroles de la guérisseuse insinue un doute insupportable dans son crâne. Elle comprend qu'elle a raison. Que si elle ne l'extirpe pas rapidement, elle risque d'y passer. Lorsqu'elle la voit revenir avec un bâton, elle se dit qu'elle a enfin compris. Qu'elle va la frapper jusqu'à-ce que le petit meure avant d'être né. Mais non, elle lui tend à elle. Elle ne comprend pas tout de suite, et finalement, mord férocement le bois, déchargeant ainsi le peu d'énergie qui lui reste à extirper sa colère, sa frustration, et tous les ressentis négatifs qui l'assaillent, comme des charognards devant une proie mourante. Alors qu'elle écoute les mots de Phoenix – paroles dont elle se fiche en effet, parce qu'elle le sait déjà, qu'elle est une battante – une douleur fulgurante la transperce. Elle a l'impression qu'on vient de lui ouvrir le ventre. Ses yeux noirs s'écarquillent exagérément, elle en lâche même le bâton qu'elle mordait. Sa bouche s'ouvre dans un cri muet et, suivi d'un nouvel éclair de douleur incroyablement puissant, tout s'arrête. La douleur, les contractions, la souffrance.
Sans plus une once d'énergie ni de volonté, la jument laisse sa tête toucher le sol dans un bruit mat, tentant de reprendre un souffle qui semble lui avoir été ôté. Elle expose à la vue de la guérisseuse son corps meurtri, non pas par l'accouchement, mais par un affrontement quelques jours plus tôt. Ses flancs abîmés, sa peau encore à vif par endroit, ses poils arrachés. Elle n'est pas la première à qui elle demande de tuer l'enfant, et un autre s'est visiblement bien pris au jeu.
Juste derrière-elle, une forme s'agite déjà mollement.

Phoenix, elle, commence à angoisser. Et si elle n'y arrivait pas? Ce ne serait pas la première fois qu'une jument meure en mettant au monde son poulain, mais elle voulait éviter que cela se produise, évidemment. Alors que la jeune mère mord férocement le bâton, la guérisseuse, toujours le sabot posé sur les flancs de Lövojka, sent que ce ne sera plus très long. En effet, il ne fallut pas beaucoup de temps pour qu'elle expulse complètement son rejeton. Elle n'a pas le temps de s'assurer qu'il va bien qu'elle voit Lov faiblir. C'est normal. Elle est fatiguée après ce qu'elle vient de faire, d'accomplir. L'alezane tend une nouvelle fois la mousse trempée vers elle pour l'inciter à boire. Puis, elle lui donne une paquet de feuilles qui contient toutes les plantes qui lui redonneront de l'énergie. «Mange. C'est pas bon, mais ça te donnera des forces pour que tu puisses t'occuper de ton poulain. Fais ça vite, il a besoin de toi.», dit-elle sur un ton sans appel. La guérisseuse se dirige ensuite vers le poulain, qu'elle essaie de dégager les voies respiratoires. Elle est si occupée qu'elle n'a pas remarqué le corps plein de cicatrices de la jument. Elle masse vigoureusement le petit. Il bouge, bien. Ce qui l'inquiète, cependant, c'est sa couleur. Il est - ou plutôt sera, après un bon nettoyage - blanc comme neige, yeux bleus. Elle a déjà entendu dire que certains chevaux de ce genre sont plus faibles, beaucoup plus faible. Elle espère qu'il va bien.

Elle l'entend, ne l'écoute pas vraiment pourtant. Son esprit s'est perdu. Loin, très loin. Tu n'es rien, Lov. Tu n'as besoin de personne et personne n'a besoin de toi. Comme un électrochoc, elle tressaille violemment. Elle entend Phoenix, elle répète ses mots dans son crâne meurtri. Il a besoin de moi ? Personne n'a besoin de moi ! Personne n'aura jamais besoin d'elle, parce qu'elle n'est rien, parce qu'elle est vouée à rester dans l'ombre. Prise soudainement d'un fléau colérique, elle trouve la force – on ne sait où – de se redresser légèrement. Son encolure puissante essaie de déséquilibrer l'arabe rousse avec quelques coups et c'est oreilles couchées et dents dehors que Lov essaie d'atteindre, enfin, cet être ignoble.


(salem)
Il entend tout. Il ne voit pas. Pas trop. C'est flou, c'est trop clair, c'est aveuglant. Il n'entend pas de voix, il entend seulement les battements de son coeur. Rapides, trop rapides, comme s'il allait exploser, déjà. Il essaie de reprendre son souffle, il sent une peau chaude contre la sienne, s'y console un instant. L'enfant ferme ses yeux trop clairs et pose son nez rose sur le sol. C'est humide, doux et rocailleux à la fois. Ça fait bien et mal. Sans se douter de l'orage qui se joue autour de lui, il entend les battements de son coeur qui se calme, petit à petit.

Comment avait-elle pu croire que Lov allait en prendre soin? C'est peut-être elle qui ne méritait pas de vivre! Alors qu'une autre jument aurait pu voir en le petit poulain blanc une bénédiction, elle voulait le tuer? Effectivement déséquilibrée, surprise par l'agressivité de la silver, Phoenix tâcha de se relever le plus rapidement possible. elle était peut-être guérisseuse, mais elle pouvait en prendre plus et se défendre. Son sang ne fit qu'un tour quand elle la vit charger le nouveau né. L'arabe rousse chargea à son tour, mais en direction de Lövojka. Elle n'était peut-être pas aussi forte qu'elle, mais elle avait un corps fin, elle était agile. Elle se faufila entre la mère - si on pouvait l'appeler comme ça - et le fils. Les oreilles couchées, la gueule en évidence, elle ferait de son mieux pour défendre le jeune. «Dégage espèce de folle! Tu n'aurais même pas du être aidée par moi! Tu aurais du crever parce que tu n'aurais pas surmonté la mise bas! Va-t'en!», hurla-t-elle presque. Elle ne voulait pas qu'elle sente le besoin de lui donner quelque chose en échange de ses soins, mais elle ne s'attendait pas non plus qu'elle tente de la blesser.

Peut-être a-t-elle raison.
Peut-être que t'aurais dû mourir, Lov. Mourir seule. Mourir sans rien ni personne. Elle n'aurait jamais donné sa vie pour son rejeton. Elle ne la donnerait pour personne, en fait. Lorsque la rousse se met en travers de son chemin, elle ne cherche pas à continuer d'essayer de tuer le petit. Elle s'arrête net et son regard noir transperce Phoenix, jusqu'à son âme, si elle le peut. Elle grince des dents, qu'elle a gardé serrées après l'effort. Pourtant, elle se sent soulagée, comme plus légère, comme délivrée d'une malédiction. Malédiction... « Salem. » crache-t-elle avec mépris. Elle pose son regard sur cet être trop pâle, à la peau rose et humide, au poil laiteux, aux yeux bleus clair presque blancs. Il a quelque chose d'anormal. Avec une mère pareille et des ancêtres damnés, il ne pouvait qu'avoir un soucis, lui aussi. Ses oreilles sont restées couchées en arrière tandis qu'elle se relève en chancelant un peu. Elle est transpirante encore mais s'écarte du poulain et de la guérisseuse. « Il s'appellera Salem. » Et, sans rien d'autre, elle s'éclipse en claudiquant, retrouvant peu à peu ses forces, avant de disparaître totalement.


Il regarde autour de lui, un peu perdu. Il n'a pas compris. Les mots, le danger, les risques. Il comprendra plus tard, peut-être. Le nouveau-né lève vers la seule personne encore présente un regard innocent et radieux, comme si la lumière du soleil elle-même inondait ses iris et que c'était à cause de ça qu'ils semblaient si pâles.

Ses paroles semblaient avoir ébranlées un peu la jument à la robe brûlée. Phoenix sait qu'elle risque gros pour sauver ce poulain qui n'est même pas le sien, que si Lov le voulait, elle pourrait lui faire du mal, voire la tuer. Mais elle reste là, devant le nouveau-né, les oreilles couchées et les dents toutes dehors. Le regard que lui lance la mauvaise mère, la maudite, aurait pu en terrifier plusieurs, mais pas elle. Phoe a comme une barrière qui empêche se regard de la transpercer. Soudain, l'autre s'arrête. Elle n'essaie plus de lui faire du mal, de leur faire du mal. Elle lui crache son nom. Salem. La guérisseuse aurait voulu lui hurler qu'elle n'était pas digne de le nommer, que si elle ne voulait pas de lui, elle ne pouvait pas lui donner un nom. Cependant, elle n'en dit rien. Ça ne ferait que la provoquer, la pousser à tenter autre chose contre eux. Le coeur battant, l'alezane regarda la lionne partir, la laissant seule avec le poulain. Elle ferma les yeux et soupira, comme pour remercier l'ange gardien qui lui est venu en aide. C'est alors qu'elle se retourne vers lui. Ses yeux si pâles sont ouverts vers elle. Il est albinos. Elle espère qu'il est en bonne santé, qui n'a pas une quelconque maladie. Phoenix tente un petit sourire rassurant. Au fond d'elle, elle espère qu'il n'a pas compris la tentative de meurtre, il est si jeune, cela briserait son innocence de poulain. Elle ne veut pas non plus de ce poulain, elle n'est pas sa mère et n'a pas d'instinct maternel. Peut-être se trompait-elle, car elle se pencha, jusqu'à se coucher près du jeune et se mit à le nettoyer délicatement. Elle l'aidera.

Alors qu'il y a avait deux personnes près de lui, voilà qu'il n'en reste qu'une. Il n'a pas compris ce qu'il s'est passé avant, il n'a assimilé qu'une chose. Salem. Un nom. Son nom.
Il regarde de ses grands yeux bleus la personne qu'il reste et peu à peu, son cerveau commence à se mettre en marche. Il cligne plusieurs fois des cils avant de répondre, par instinct sûrement, au sourire chaleureux de l'alezane. Il apprécie la chaleur qu'elle lui apporte et se laisse faire, encore silencieux.

Elle continue de le nettoyer et de le réchauffer. Elle commence à angoisser. Que devra-t-elle faire du poulain. Elle n'est pas sa mère et ne peut en prendre soin bien longtemps. Lui trouver une mère adoptive? C'est un peu compliqué et les juments rejettent parfois un poulain qui n'est pas le sien. Sera-t-il assez fort pour survivre seul? Soudain, elle remarque que Salem l'observe et lui sourit. Elle lui renvoie son sourire, mais moins chaleureusement. Pas qu'elle lui en veut, mais parce qu'elle fait face à de l'indécision. Alors elle se dit qu'elle trouvera ses réponses plus tard. Pour l'instant elle se contente d'arrêter de le lécher et elle le regarde.

Salem s'en fiche, Salem ne comprend pas. Qu'il est seul et désarmé, qu'il ne survivra sans doute pas. Qu'il a un problème, ou plusieurs. Qu'il n'est pas normal ou qu'il va bien. Il ne comprend pas, alors il s'en fiche. Ça n'a pas d'importance, n'est-ce pas ? Il se racle la gorge, un peu malmené par toutes les sensations extérieures qu'il commence à percevoir. Le vent sur son corps humide, les rayons du soleil sur sa peau rose, les odeurs qui viennent de partout. Sans attendre, il détourne son attention de la rouquine pour se mettre debout. Mais déjà, sous l'effort, il chute et reste de longues secondes par terre, à essayer de calmer son coeur qui s'est emballé, qui tambourine fort, trop fort.
Finalement, au bout de plusieurs essais, il y parvient et lance un regard fier autour de lui – et surtout à Phoenix.