~ Sleeping beauty

Complètement exténué (et soufflant comme un bœuf), je cherche désespérément un abris dans l’espoir de piquer un p’tit somme. La découverte des terres de GS, bien qu’extrêmement intéressante (vendu ! lèche-cul !), m’a drainé de toute énergie. Voilà que mon corps d’athlète crie défaite – ce bijou de la nature que j’entretiens régulièrement avec dévotion et délicatesse. (pauvre petite chose)

Repérant un coin d’ombre un peu plus loin, j’exige à mes jambes de me porter jusqu’à destination. Arrivé à bon port, je m’écroule sur le sol comme un malheureux. Mes paupières décident alors de se fermer, me poussant dans les méandres d’un sommeil sans rêve.

La jeune rouquine trottine rapidement. Elle zigzague entre les arbres. Ses pas sont domptés par l'urgence, mais son coeur, lui, est dompté par l'adrénaline. Ce qu'elle aime le plus au monde. Elle est traquée.
Suivie. Réduite à l'état de proie. Elle sait que c'est un loup, elle a vu ses yeux peu avant, dans l'obscurité des feuillages. Elle pourrait aller diablement plus vite, la fille du désert. Mais elle s'amuse. Elle s'amuse de cette chasse, dont elle veut inverser les rôles. Le danger la galvanise, la rend immortelle. Inconsciente aussi, surtout. Mais libre. Diablement libre.
Elle n'a pas remarqué que quelqu'un pique un somme non loin de là, et continue sa petite course de ses sabots délicats mais qui font du bruit au sol. C'est exagéré, c'est volontaire. Elle pourrait se faire discrète comme une plume. Mais elle veut que ça continue. Elle veut jouer. Jouer avec le loup.
Jouer avec la vie.

Hello demoiselle à la plume d'or tu m'impressionnes toujours autant.

Mes rêves, inexistants, sont des morceaux du néant. Un martèlement de sabots réveille mes sens subitement, et mes paupières suivent la danse. Où suis-je ? (dans une forêt où tu t'es endormi comme un débutant, idiot). Ma tête me fait un peu mal et mon corps abattu par les courbatures n'est plus que l'ombre de la douleur. Je n'ai pas envie de me lever, et pourtant je n'ai pas le choix. Quelqu'un s'amuse avec mon sommeil, et je refuse de le laisser gagner.

Tandis que mes membres soulèvent ma (grosse) carcasse, j'ai le regard rivé sur un point fixe en contre-bas. Il court, court, court. Il court à perdre haleine, il y prend du plaisir. Presque comme si c'était un art. Je l'observe longuement, un peu trop, en silence - un silence qui rêve de cacophonie. Voilà que je me perds dans cette contemplation, que mon point s'éloigne un peu plus, et que je m'élance vers lui, sans me soucier de ce qui arrive. Bien trop tête en l'air, je refuse d'écouter mes sens qui me hurlent le danger.

Et toi donc bonté divine Merci en tout cas  

Bientôt, d'autres cors se rajoutent à l'orchestre de ses sabots sur le sol. Un autre instrument est entré dans la danse. Du coin de l'oeil, elle localise un point doré qui file entre les arbres. Elle sourit. Elle ne prend le nouvel arrivant ni pour un rival ni pour un allié. Juste pour un autre participant. Aenor accélère un peu, prend de la distance sur l'animal qui la traque avec toujours plus d'aisance et de précision. Il se rapproche. Alors elle s'éloigne. Juste un peu. Distance de sécurité oblige. Puis soudainement, alors qu'elle effectue un virage en épingle derrière le tronc d'un arbre opposant, elle heurte de plein fouet l'inconnu. Vous savez, le participant supplémentaire.

Mes sabots s'activent et brassent de l'air, ce sont des ailes, des ailes qui me portent loin devant. Je vais si vite que les couleurs du paysage fondent sur la toile de mon horizon. Mon coeur bat à tout rompre dans ma poitrine et menace d'exploser sa cage de chair. Je ne veux plus m'arrêter, j'ai chaud, j'ai froid, je crois que je tremble. Suis-je encore en train de courir ? (la meilleure, tu ne sais même plus ce que tu fais)

Alors que mon corps me porte dans un virage terriblement serré, je heurte quelque chose de plein fouet. Un cri mêlé de stupeur et de douleur veut s'échapper de ma gorge mais se perd dans la noirceur de ma bouche, fermée à double tour. Boum. Ça s'est passé comme ça. J'ai bousculé une bombe (au sens propre ou au sens figuré ?) qui n'a pas voulu me laisser partir, tandis que le Danger rôde encore. Ses yeux sombres dévisagent les cyprès, quatre jambes le portent aussi vite que la lumière, et on aperçoit des fragments de terreur par-dessous ses babines retroussées. Les sens en alerte, il cherche. Il trouve. La Mort sourit à travers lui. Le voilà.

Le choc est inévitable. Aenor trébuche et vacille un peu sur le côté. Elle semble si frêle, et pourtant si solide, là dans sa tête. Ses iris brillants se posent brièvement sur l'inconnu au poil d'or. L'or et le feu peuvent former un alliage étonnant. Elle n'a pas le temps de plus. L'urgence de la situation lui donne des ailes, mais surtout, lui retire le droit de prendre son temps à faire connaissance.
Le loup est là. Il fonce sur eux, sûr de lui. Il court vite, mais il s'essouffle déjà un peu. Ça fait longtemps qu'ils jouent, avec Aenor. Et elle l'a vu, ça. Rien ne lui échappe. « Vous à droite et moi à gauche ? » lance-t-elle à l'inconnu, les naseaux frémissants. « Il ne pourra pas partir sur les deux. » Fuir ? Hors de question ! Elle ne veut pas se battre. Juste lui jouer un tour.

J'ai encore les jambes flageolantes et le souffle court, mais il faut que je lui réponde. Elle me propose un tour de poker, un jeu malsain. C'est quitte ou double, tu gagnes ou tu perds (sauf que là, c'est avec la vie que t'amuses). L'urgence de la situation ne nous permet pas de faire plus ample connaissance, mais je prends tout de même le temps de l'observer, sans voir l'ombre de la peur obscurcir ses traits. Elle semble amusée, et je crois que ça me rassure. C'est absurde. "Je vais à droite !" hurlé-je, en prenant la direction indiquée. Tic, tac.

Promenons-nous dans les bois, pendant que le loup n'y est pas (...)

Si le loup y était, je le mangerai.

Elle hoche simplement la tête. Russian Roulette. Avec en prime, plus d'une chance sur six de se faire tuer. Mais peu importe. Plus il y a de risques, plus Aenor se sent vivante. Elle s'élance alors sur la gauche. Son flanc frôle le loup, qui gardait son attention rivée sur l'équidé à sa droite. Elle sent qu'il lance un coup de griffes près d'elle; mais elle ne sentira que le courant d'air que cela provoque.
Elle est déjà repartie. Lancée à toute allure, cette fois. Elle voit, du coin de l'oeil, la silhouette dorée de son compagnon de jeu. Mais elle ne ralentit pas. Elle ne s'arrête pas. Grisée par l'adrénaline, la petite princesse va même jusqu'à fermer les yeux.
Elle slalome entre les arbres comme si elle les avait toujours connu. Ce qui n'est pas le cas. Comme si elle connaissait la place de chacun d'eux. Ce qui n'est pas le cas non plus. Comme si rien ne pouvait lui arriver. Ce qui, pour elle, dans sa tête, est le cas.

Loup y es-tu ? Entends-tu ? Que fais-tu ?

Dans ce jeu mortel, l'innocence est un péché. À mesure que mes pas talonnent la terre, je prends conscience du danger, qui m'enlace et m'étouffe du bout de ses doigts meurtriers. La rousse se perd dans les profondeurs de la forêt tandis que le Monstre la suit de près. Ses griffes tentent de transpercer sa chair, de la goutter avidement, d'y anéantir toute forme d'existence. Je ne la connais pas. Non, je ne la connais pas et pourtant je fais diversion. Je m'arrête brutalement et balance un sabot dans un vieux chêne afin d'attirer l'attention. La partie bascule. La mort me voit, et si elle se dirige à mon adresse je n'ai pas perdu pour autant. J'ai simplement donné au joueur 2 une longueur d'avance, un souffle de vie. Pour combien de temps ?

Les dés sont jetés. J'ai le coeur essoufflé et la tête qui part en vrille. Cours Arsène, cours.

( Je trouve ça trop beau, la façon dont tu décris ça )

Coup de théâtre, coup du sort. Les mises font diversions, les prévisions foutent le camp. Elle entend un grand bruit et elle pile net. Le souffle court, les sens en alerte, elle balaie le paysage de ses yeux vifs. Elle comprend vite. La tour adverse a joué son coup. L'échiquier change de sens, la course s'inverse. Tour de maître, on frôle l'échec (et mat).
Parce que la seconde d'après, elle ne court plus devant le prédateur.
Elle lui court après.

Oooh, j’adore ce topic, j’adore ta façon d’écrire, j’adore ton perso, j’adore quoi. On joue dans un film !    

La chasse à la mort a débuté. Je m’élance à vive allure vers l’horizon, étire mes muscles jusqu’à ce que la douleur m’engourdisse et slalome habilement entre les arbres. Le clown qui gît habituellement en moi a fait place au joueur chevronné qui ne sait pas faire face à son addiction. Il ne cesse de miser et refuse de se coucher. J’ai beau le tempérer, il décide de faire tapis quand sa coéquipière fait demi-tour et poursuit le loup, sans passer par la case départ. Les enchères sont fermées, le jeu est prêt à se dénouer. Première carte, un valet. Je joue donc en gentleman, pivotant sur mes membres pour faire volte-face et semer la confusion dans l’esprit du tueur, qui nous regarde à tour de rôle, ne sachant qui attaquer en premier. Mon regard, étincelant comme jamais, se plante dans celui de la dame, la priant de fuir. Si sa main est mauvaise, elle sera prise au piège à jamais.

PAREIL ! Et ooooh, merci Je kiffe trop

Mais la dame n'a jamais une mauvaise main. Puisque dans sa tête, l'innocente, elle a toujours l'important : l'as. Au pire, elle misera sur un joker. Au pire, elle ira au bluff. Puisque le loup ne verra jamais son jeu. Puisque l'adversaire ne la verra jamais poser sa main sur table. Ils sont immobiles.
Il y a les deux coéquipiers, et l'adversaire. Il y a les uns, et l'autre.
Aenor a toujours gagné seule. Elle a toujours fait route à part. Elle a toujours coupé en travers des sentiers battus. Elle n'a jamais misé sur l'esprit d'équipe, ne s'est jamais permise d'être affaiblie si son complice change de camp. Parce qu'on n'est jamais à l'abri. Mais dans cette scène de dame nature, les rôles ne s'échangeront pas. Il a les armes, eux la fuite.
Elle pose un regard profond sur l'isabelle. C'est un inconnu. Elle ne le connaît pas (ne le connaîtra peut-être jamais, s'il ne s'en sort pas, ou si c'est elle qui défaille). Mais pourtant, une drôle de confiance s'installe en elle. Elle a confiance en lui. Et surtout en elle. Toujours. Alors, elle décide de tenter l'impossible : elle veut inverser les rôles. Il a posé la première carte, mais elle va balancer son jeu sur le tapis. Elle va tout coucher. As, roi, dame, valet. Sauf qu'aujourd'hui, dans son équipe, il y a un roi. Elle a l'espoir fou de l'inconscient comme as, et l'audace comme joker. Le valet est fini. Le valet ne vaut plus rien. Elle ferme les yeux. Elle s'en remet au hasard. Au bluff, une fois de plus. Mais un bluff bien joué. Une comédie pour expérimentés. Et, les yeux clos, la princesse charge droit dans la gueule.. du loup. Il croit avoir construit un château. Mais ça n'est qu'un château de carte, pour elle. Et elle se change en tornade.

La tornade fait trembler les corps et murs d’écorce qui nous emprisonnent. Elle anéantit tout sur son passage et fonce droit vers sa propre destruction. Elle veut jouer avec le feu, mais là de là où je suis les flammes me brûlent. Si elle continue, elle va mourir. Je pourrais fuir – la fuite sauve n’importe qui. On vous a menti, ce n’est pas l’espoir qui fait vivre, c’est la survie. Survivre, c’est fuir, mais je ne suis pas un lâche. Je me sens étrangement lié à cette âme qui vient de sauter à pieds joints dans la gueule du loup. Un filon invisible tissé avec des brins de confiance nous relie. J’ai le cœur noirci par la peur mais une dose de courage au bout des doigts, et je saute. Ange gardien qui défait ses ailes et survole le danger, je m’élance droit devant et atterrit sur le monstre, au moment même où elle le heurte de plein fouet. Le château de cartes s’écroule. Mon poids affaisse cette bête immonde qui remue la gueule vers le ciel, dents dehors. Je talonne de toutes mes forces tandis qu’une douleur aiguë m’assaille - si violente que les hurlements restent enfouis en mon sein. Elle atteint son point culminant et tandis qu’elle implose dans un bruit sourd, je ne sens plus rien. Mon champ de vision est envahi de lucioles noires que j’essaye de chasser en secouant la tête, mais c’est trop tard. Un liquide chaud s’écoule au niveau de mes flancs, et des roses sanguinolentes, de la même teinte que celles du Pays des Merveilles, fleurissent sur mon corps. Quelqu’un a peint les roses blanches en rouge. Qu’on lui coupe la tête.

Mais quelque chose a foiré.
Elle qui croyait foncer seule vers sa survie (ou sa mort ?), un autre obstacle s'est immiscé. Et cet obstacle, c'est son allié. Elle est en colère contre lui, quelque part ! Il a ruiné son plan ! Il s'est interposé. Pourtant, au fond d'elle, des heures plus tard, elle saura que c'était pour son bien. Mais pour l'instant, elle ne voit que les roses rouges sur le corps entièrement recouvert d'or. Elle n'a presque rien, elle. Quelques éclaboussures, tout au plus. Quelques griffures d'acier qui martèlent ses flancs. Mais rien d'autre. Elle s'écarte en un bond. Et elle voit la scène de loin, comme une spectatrice.

Le loup, là, penché sur lui, comme la mort avec sa faux. Et son complice, son allié (un traître en quelques sortes), là étendu, comme abandonné, comme offert. Mais on ne s'offre pas à la mort. Elle refuse ça. N'oublie jamais qui tu es, Aenor. Elle n'oubliera jamais. C'est promis, Papa. Elle revient alors à la charge. Cette fois, nulle barrière pour l'empêcher d'atteindre sa cible qui est trop occupée avec la chair fraiche qui lui est proposée. Elle le percute de plein fouet, et c'est si violent qu'elle vacille un peu. Elle a la tête qui tourne à cause du choc. Il a les griffes et les crocs, mais elle a plus de forces. Plus de poids, quand bien même est-ce que la princesse est fine et frêle. Alors il a vacillé aussi. Il est quelques mètres plus loin, en train d'éternuer dans la poussière. Le danger est là, il leur tourne autour façon vautour. Mais elle ne le voit pas. Elle ne l'écoute pas. Avec un sourire presque innocent, les crins emmêlés de terre et de sang, elle revient vers lui. « Maintenant, il faut y aller, petit prince. » murmure-t-elle en le pressant d'un coup de nez sur l'épaule.

Me suis-je évanoui ? Sous mes paupières, la lumière des phares danse dans le noir. Je crois que c’est le soleil, filtrant à travers les feuillages. Je la suis du regard, ébloui, tandis que je me noie dans l’océan de mon propre anéantissement. Je suis perdu dans une nuit d’encre sans étoiles qui tapisse mon monde du sol au plafond, mais ça m’est égal. Je n’ouvrirai pas les yeux. La douleur a disparu, maintenant. Il n’y a que le bruit des rugissements et des coups de dents, au-dehors, qui me rappelle que je ne suis pas encore parti. Pas tout à fait.
Je ne veux plus lutter. Je ne veux plus, et pourtant une force herculéenne me tire des méandres dans lesquels je suis emmêlé. Je remonte peu à peu les couches d’une conscience que je croyais avoir perdu. Un tintement de clochettes résonne dans mes oreilles, c’est apaisant. J’aime tellement ce son que je crois être en train de sourire – si je n’en ai pas la force, j’en ai au moins l’envie. Petit prince. Ce n’est pas un carillon mais un doux murmure. Je sens quelque chose me frôler l’épaule. Saisi, je sursaute. En ouvrant les yeux, je suis perdu dans une spirale incontrôlable de couleurs et de lumière. Mes paupières clignent violemment tandis que la douleur revient. Je serre les dents, j’essaye de traîner un poids mort hors d’ici. Je me souviens soudainement qu’il faut fuir. Le Loup se relève difficilement, la gueule grande ouverte, du sang sur les pattes. « Prends de l’avance, princesse. Je risque de te retarder. » dis-je dans un souffle, la voix emportée par le vent. « Et je t’en prie, ne me dis pas que tu peux gérer ça. Ne me dis pas que ce n’est pas grave, parce que ça l’est. Cours, maintenant. Cours. Je ne serai pas loin. Va-t’en d’ici. » la respiration saccadée, je ronfle des naseaux et tente tant bien que mal de me hisser sur mes membres qui gigotent déjà pour prendre la fuite.