♠ Un grain de poussière au combat.

Vas-y fais-toi plaisir

Le premier attaque.
Il bondit, se jette à l'encolure du Lion, qui avait prévu le coup. D'un simple coup de tête sur le côté, il l'envoie valser contre un rocher. Mais à peine s'est-il retourné qu'un second, puis un autre, se jettent sur lui. Un Lion n'a pas à envier aux loups leur lâcheté, ça c'est clair !
La première morsure fait vriller l'héritier, dont le regard s'assombrit plus encore. Les muscles tendus, il charge. Il s'infiltre directement au centre de la meute, un loup sur le dos qui lui lacère la colonne. Mais il charge et rien ne l'arrête. Sauf peut-être ce rocher contre lequel il s'assomme un peu. Le loup, pris entre le corps massif et la pierre, qu'il a ramené depuis le centre du cercle, dégringole, inconscient ou mort, Oroszlàn n'en sait rien.
C'est lorsqu'il entend le premier cri de la jument que son cerveau se connecte de nouveau au monde réel. Il tourne la tête. Il l'a entendue, mais il n'est pas le seul. Le premier loup, l'Alpha sûrement, se dirige lentement vers elle. Il serre les dents et, de nouveau, le dominant devient prédateur. Devient cette bête acharnée, sauvage et inconnue, qui grandit en lui. Il file au travers des loups. Ils sont quatre, six, huit peut-être, il ne sait pas. Ils hurlent, jappent, grognent sur son passage mais l'éclair doré est déjà près de celui qui veut s'en prendre à celle qu'il défend. Fou de colère, le Lion plante ses dents dans la peau du dos du loup, qui se retourne vivement, lui décochant un coup de griffe près de l'oeil. Son sang perle, doucement, goutte à goutte, mais l'aveugle rapidement. Le blond raffermit sa prise et l'envoie valser loin sur le côté.

Elle réussit à ouvrir les yeux, à observer sous ce voile, la scène qui se déroule. La fièvre brouille tout, la tétanise et la fait se sentir dépendante. Ce sentiment désagréable qui fait trembler ses lèvres mais aucun son ne se prononce.
Runaway se demande pourquoi il lui apporte une telle aide. Il risque sa vie. Pour elle ? Malgré le flou dans son esprit et le mal qui se propage dans son corps, la noiraude se relève sur ses quatre membres aussi fragiles que lors de ses premiers pas. Elle sait que son service sera écourté vu que sa force est quasi-absente.

Il y a un moment de flottement. Deux secondes, peut-être trois, ou rien ne se passe. Le Lion prend plusieurs goulées d'air, mais chacune d'elle est douloureuse. Il respire fort, d'un souffle rauque. Le sang goutte encore dans ses yeux et il cligne plusieurs fois pour essayer de l'évacuer. Il retourne se mettre devant la noire, remarquant qu'elle est débout. « Si tu as assez de forces pour fuir, fais-le maintenant, et je te suivrai. Je n'en viendrai pas à bout. » Le Lion le sait. Alors prononce-t-il sa volonté de mourir, là, de finir sous les crocs et griffes d'une meute entière pour... pour quoi, au juste ? Si elle ne peut fuir, elle mourra, comme lui. Il n'est pas débile, il sait qu'il ne peut pas vaincre à lui seul de telles bêtes, de tels chasseurs. Il n'est pas comme eux. Malgré toute sa volonté d'en venir à bout, il reste la proie dans leur cercle vicieux. Mais il ne peut se résoudre à fuir. À la condamner ici, quand bien même est-ce une vie ou bien deux qui sont déjà prises d'office. Il la regarde, échange un long regard avec elle, avant de se secouer, envoyant quelques gouttes sanglantes sur le sol et sur la neige, autour de lui. La scène de la bataille est déjà trop tâchée. Un loup ne s'est pas relevé, mais il en reste encore cinq, et il est conscient qu'il ne pourra pas en mettre encore autant hors-jeu. L'adrénaline qui court dans ses veines l'empêche de ressentir une douleur quelconque, mais ça viendra bientôt. Ses forces, elles, s'amenuisent au fur et à mesure que son sang s'échappe de son corps.
Le sablier est retourné, et le temps est à présent compté.
Pourtant, en attendant sa réponse, il retourne se jeter au combat.

Il n'y a qu'une seule solution. Puiser ses dernières forces pour fuir. Le résultat est déjà annoncé. Ils ne survivront pas face aux loups. Ils sont des proies, eux des prédateurs. Les lupins les ont ciblés, ils ne lâcheront pas l'affaire. Alors l'instinct de fuite s'alerte et raccourcit ainsi la perte.
Anarchiste et sourde sur les conseils du lion, cela signera son arrêt. Mourir bêtement ? Ce n'est pas votre heure. L'écho de cette phrase s'installe et la confusion s'amorce dans sa conscience. Le sable déferle du sablier. Il est temps de le retourner.
La cible devient mobile et fuit ses agresseurs. Elle ne connaît pas les terres nordiques, mais elle s'éloigne des loups.

Le Lion est retourné au combat. Il ne peut pas se permettre d'attendre bêtement la décision de la jument noire. Les prochaines secondes seront décisives. Si elle est têtue, elle les condamnera peut-être tous les deux.
Lancé dans la poussière de neige, il sent une morsure douloureuse sur sa croupe. L'un des loups lui a bondit dessus. Oroszlàn n'a pas d'autres choix que de se jeter volontairement au sol, se roulant dans la poudreuse. Le froid apaise ses blessures, mais ça n'est pas assez – et il le sait. Sous son poids colossal, il entend nettement le craquement des os de la bestiole. Plus que quatre. Mais quand Oroszlàn se relève, malgré son allure prestigieuse et cette prestance princière qu'il dégage à cet instant, son corps plein de neige et de sang et son regard féroce, il sait qu'il n'y arrivera pas. Pas même un de plus. Il chancèle un peu, sa vision se trouble. La douleur commence à devenir réelle. Le sang lui coule dans les yeux, l'aveugle. Mais derrière-lui, il entend enfin un bruit de fuite et n'hésite alors pas plus longtemps : il fait demi-tour et part à son tour, sur les traces de l'akhal noire.
La course sera courte, il l'espère. Au moindre faux pas, ils seront dévorés, à la merci de la meute qui les prenne en chasse. Mais il ne suffirait que de tenir quelques minutes, courtes, pour les semer. Le Lion tente d'accélérer. Tout son champ de vision se confond, tout le paysage devient blanc. Il cligne des yeux, essaie de conserver un minimum de conscience, mais doit tout miser sur son instinct. Restant à peine en retrait de la jument, il lui donne un coup de tête contre la croupe pour lui intimer de prendre sur la droite.

Runaway n'a pas besoin de se retourner pour savoir qu'elle est suivie par le lion. Seule la survie l'importe. Ses membres fatiguent, mais elle essaie de tenir jusqu'au dernier souffle. Elle n'a pas peur de mourir, néanmoins elle ne veut pas mourir.
Les minutes sont longues, rendant la fuite pénible. Les maux la tiraillent mais pourtant elle traîne son corps douloureux à travers les sentiers blancs des terres nordiques.

« Ne t'arrête pas. » murmure-t-il contre son flanc.
Alors qu'il ralentit. Il ralentit pour que les loups retrouvent sa trace. Il la sauve sans vraiment savoir pourquoi. Le sang dégouline dans son oeil droit, il ne voit plus vraiment bien. Mais dès qu'il les aperçoit de nouveau, il repart en changeant de direction, s'éloignant de la jument noire, disparaissant dans la forêt blanche aux traces ensanglantées, la meute à ses trousses. Il sait qu'il les sèmera.
(out )