illusion.

L'étalon avait les sens en déroute. Il suivait une odeur qui lui paraissait familière, sans parvenir à trouver qui que ce soit. Ceci dit, la familiarité de cette odeur était absurde, puisque sa propriétaire était censée être morte.

(aenor)
Mais elle n'est pas morte. Et quelque part, elle ne mourra jamais.
Elle ne se laissera jamais abattre. La princesse ne l'a pas senti et trottine, contenant son énergie et son irrésistible envie de, comme toujours, se lancer dans une course folle. Une course contre la montre. Contre la mort.

Il voit une silhouette se détacher dans la brume, une ombre trottinante, flottante à l'aube du nouveau jour. Dans le doute, il pousse un hennissement qui, malgré les apparences, invite l'inconnue à se dévoiler.

Un hennissement tranche l'air brumeux. Aenor ralentit.
Son coeur se serre. Non, ça ne peut pas être vrai.
Est-ce que GS est donc le rendez-vous de toutes ses retrouvailles ? Bonnes ou mauvaises, d'ailleurs. Elle chasse tout ça de ses pensées. Parce que non. Ça ne peut pas être vrai. Elle secoue sa crinière et répond d'une voix cristalline et vive, ne discernant de l'inconnu que les contours qui percent le brouillard.

Une réponse lui est apporté. Il s'agit bien d'une jument, mais peut-être pas de celle à laquelle il pensait. Chaque soir. Avec un poids dans l'estomac. Il attend qu'elle s'approche, car c'était ce qu'elle faisait peut-être même sans s'en rendre compte. Lorsqu'il vit son visage se détailler plus finement à sa vue, son souffle se coupa. Ce n'est qu'au bout de quelques minutes à la regarder ainsi, sous le choc, qu'il reprend la parole. « J'ai crus t'avoir perdue, ce soir-là. » Sa voix était basse, plus grave, aussi.

Elle retient son souffle aussi. Le dévisage.
Elle ne peut pas se tromper. Il n'y en a pas deux comme lui. Elle croise son regard bleuté, avise sa robe unique. Elle ne parvient même pas à sourire tant elle est surprise. Elle ne pensait jamais le revoir. N'a jamais osé l'imaginer, en tout cas. « nox.. c'est pas possible.. » chuchote-t-elle, comme si élever la voix trop haut le ferait disparaître. Elle le détaille en s'approchant encore un peu. « c'est moi qui t'ai perdu ce soir-là. » avoue-t-elle, la gorge nouée. Après tout, c'est lui qui l'a sauvée de son chaos, pas l'inverse.
Elle se souvient de l'attaque, elle se souvient de la poussière, de la brume, de la nuit. De la douleur, un peu aussi. Puis son instinct de survie qui prend le relais. Elle se bat, sans relâche, mais finit à terre, quelque part. Quand elle a rouvert les yeux, elle a juste pensé à fuir. À courir, la chose qui la maintient envie et qu'elle sait le mieux faire.

Quand il l'entend, il ne peut s'empêcher de sourire. Comme jamais il n'a sourit. Ceci dit, son expression n'était pas une véritable explosion de joie. Il y avait de la nostalgie, de la joie bien évidemment, mais un brin de tristesse qui le fit voir comme jamais il ne s'était montré à l'alezane. En réalité, ils ne s'étaient pas énormément connu, mais ce qu'il avait tissé avec elle avait proliféré comme un virus dans son organisme, envahissant. Il brisa la courte distance qui les séparait, posant ses naseaux contre l'encolure de la princesse. Il avait besoin de la toucher pour se rendre compte qu'elle était bien là. Et parce que quelque part, sans qu'il ne veuille se l'avouer, son contact lui avait manqué. « Comment es-tu arrivée jusqu'ici ? » questionna-t-il d'une voix calme, laissant ses naseaux glisser jusqu'au dos de la jeune femelle. Il n'y avait rien de provoquant là-dedans. Noxium avait toujours été quelqu'un de tactile, et Aenor était l'une des rares juments dont il tolérait le contact autre que dans une optique sexuelle ou séductrice.

Et avec les épreuves endurées, Noxium est bien un des seuls dont elle supporte le contact physique aussi. Elle ferme les yeux, tressaille. La dernière fois qu'il a posé ses naseaux sur son ventre, elle était pleine. Engrossée par un monstre.
Ce n'est plus le cas. Elle n'y pense pas, profite seulement de cette aura de protection qu'elle ressent immense. Ses yeux se sont clos, elle se laisse bercer par le souffle régulier du pie. À sa question, elle lui sourit, rouvrant ses yeux noirs et brillants. « j'ai vécu et grandi ici, avant... » Avant le cauchemar. Avant la détention, la prison, la séquestration de Mind. Elle essuie un nouveau frisson et par instinct, son flanc se colle à celui du mâle. « quand on s'est perdus, j'ai su que je n'avais qu'un endroit où aller. où j'avais des attaches que j'avais décidé de quitter. où je pouvais être en sécurité. » Sa gorge se noue. Elle ne l'est pas. Ni ailleurs, ni ici. Elle se dit que c'est complètement dingue qu'elle le retrouve, ici.

Il en apprit un peu plus sur son histoire, inspirant son odeur, à laquelle il s'était si rapidement habitué autrefois. Il comprenait parfaitement son comportement. Il savait aussi qu'il ne pourra pas la protéger de tout, tout le temps. Il n'était pas du genre à rester au joug de quelqu'un très longtemps, n'aimant pas les attaches non plus, bien qu'elles le surprennent souvent sans son amont. Décidant de détendre un peu l'atmosphère - en tout cas c'était dans son intention -, il reprit d'une voix plus piquante, plus taquine : « Et as-tu trouvé le prince dont tu ne voulais pas déjà, à l'époque ? »

Un sourire traverse les lèvres et le regard de la rouquine, comme un fugitif, comme si elle aurait dû se retenir. Elle détourne le regard, un peu gênée de sa question, sans savoir pourquoi cela la gêne, aujourd'hui, d'en parler avec lui. « oui, je l'ai retrouvé. il est resté ici. »
Elle ne s'étend pas trop sur le sujet. Elle fait un pas vers lui, cale son encolure contre la sienne pour fuir son regard. Sa voix se fait plus basse. Plus brisée, aussi. « mais lui aussi m'a retrouvée. »

Certains questions lui brûlaient les lèvres, mais il préféra les faire taire d'une morsure contre ces dernières. Peut-être que Aenor n'était pas encore prête pour ce genre d'interrogations, et il ne souhaitait pas tenter. « Un vrai conte de fée. » commenta-t-il, cachant admirablement la goutte d'amertume qui lui rongeait le dessous de la langue. « Dis-moi. Dis-moi tout ce que j'ai manqué. »

Elle ne répond pas. Parce que son histoire n'a plus rien d'un conte de fées. Parce que les retrouvailles ont été belles, mais amères. Qu'il a été doux, mais que ça sera dur quand même. Qu'il n'était pas là quand on lui a fait du mal. Et qu'on lui a en fait quand même. Elle ferme les yeux, se laisse aller doucement contre Noxium. « r-rien, il est ici, dans les parages, c'est tout. » Elle ne veut pas parler de ça non plus. Elle espère qu'il ne lui en veut pas.

Mais elle n'a pas besoin d'en rajouter, car son souffle à lui se coupa de nouveau. Que faisait-il ici ? Cela lui semblait tellement surréaliste. Comment pouvaient-ils être - presque - tous au même endroit ? Noxium savait que Mind avait été le moins tendre avec Aenor, durant la période où elle est restée avec eux. A l'époque, il était celui qui l'avait le moins touchée, faisant souvent croire que c'était le cas. Il avait souvent parlé d'elle d'une mauvaise manière, devant les autres. Devant elle. Il se protégeait. Mais il la protégeait surtout elle. Car si Mind avait sut qu'il ne l'avait pas prise, lui, il s'en serait probablement débarrassé plus tôt que prévu. Finalement, il l'avait doublé.
Mind ne le lui pardonnera jamais.
« Il ne te touchera plus. » Ou si, justement. Peut-être qu'être venu ici - même sans le vouloir -, peut-être qu'avoir retrouvé Aenor, c'était synonyme de nouvelles souffrances pour elle, si il l'apprenait. Peut-être qu'il allait provoquer tout ce qu'il avait voulu éviter jusque là.

Pour Aenor, elle ne peut rien endurer de pire que ce qu'elle a déjà vécu avec Mind, avec eux. La souffrance, perpétuelle, intenable, cruelle et sans raison. L'emprise psychologique, l'attache de force, la force des autres plus grande que la sienne. Elle était tombée de haut. Elle qui s'était toujours bâtie un empire de cristal, il s'était révélé d'ombres et de lumières. De lumières parfois sales, parfois dérangeantes, parfois ignorées. Elle ferme les yeux, se laisse aller contre lui en respirant son odeur. Comment en est-elle arrivée là ? Je te promets, Papa, je ne pleurerai jamais, ni toi, ni maman, ni tous ceux que je vais perdre. Je ne perdrai jamais du temps de ma vie à être triste.

Il la conserva contre elle, sans savoir si il parviendra à la laisser filer de nouveau, à l'avenir. Leur séparation n'était pas prévue, mais leurs retrouvailles non plus. Finalement, l'alezane avait toujours eu le don de la surprendre. C'était une capacité inconsciente qu'il appréciait véridiquement chez elle. Il la laisse évacuer son tourment contre lui, ses naseaux enfouis contre ses crins, inspirant son odeur. Dans son esprit défilaient mille et unes images en nuances de gris.

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