◉ la mort des artistes

Socrate est là, immobile, fixant l'immensité du labyrinthe, appréciant chaque courbe de cette roche abrupte qui semble peser tout le poids du monde. Le mâle se demande quel dieu peut avoir posé ça là. Quelle idée lui est-il venu de cacher l'eau, ressource pourtant vitale à nous, pauvres petits êtres vivants, au fond d'une sorte de canyon dont la descente s'avère risquée voire dangereuse et dont la remontée requière tout autant voire plus de compétences. Ce sont dans ces moments d'égarement de sa pensée, que Socrate réalise un peu plus à chaque fois, que cet être astral qui les épie, n'est pas leur allié mais peut être leur tortionnaire, leur maître d'épreuve, leur capitaine de naufrage. Alors il sent sa gorge se serrer, comme si une main invisible venait le saisir pour l'étouffer. Mais il n'y a personne. Socrate est seul au fond de ce gouffre à ne pas bouger, juste à réfléchir et à attendre que pour une fois une réponse vienne à lui.

Nous ne sommes jamais seul. Elle suit le chemin dans lequel elle s'est aventurée, les sabots à l'eau. Elle se fie au hasard, à la constitution de cet endroit. Elle n'imagine pas une seule seconde tomber dans une impasse, il est impossible que de si belles allées s'arrêtent brusquement sur le néant. Non non non.

Le clapotis de l'eau fait pivoter Socrate avec une grande lenteur qu'on ne lui connaissait pas. Il voit apparaître au loin une petite silhouette et décide de rester sur son chemin. Aujourd'hui il n'a pas envie de laisser la place, de s'écarter pour d'autres. Ses pensées recommencent donc à couler langoureusement entre ses deux oreilles et il oublie presque qu'il ne va pas tarder à être rejoins.

Elle l'aperçoit également : la massive silhouette qui se dessine dans son champs de vision, dans son couloir, sur son territoire. La jument ne s'arrête pas, mais son allure ralentit inconsciemment. A mesure qu'elle s'approche, elle découvre lentement les traits de l'étalon ; et son odeur.

Un regard bleuté se pose sur lui et l'attire vers elle. Socrate s'extirpe de ses pensées une nouvelle fois, il aurait voulu grogner mais il n'a qu'à s'en prendre à lui-même. C'est à lui de travailler le contrôle de son esprit et non aux autres à veiller à ne pas le déranger. « Je ne suis pas certain qu'il y ait une issue » Prévient l'animal en désignant le couloir qui continue derrière lui pour permettre à l'inconnue de ne pas s'embêter à chercher plus loin et de pouvoir faire demi-tour sagement sans importuner Socrate.

Elle prends le temps de le détailler. De bas en haut, de haut en bas : elle ne se gêne pas. Plutôt imposante la bête. Elle remarque également que malgré l'endroit dans lequel il se tient actuellement, il n'est pas du Levant. Elle passe outre pour le moment. « Permet moi d'en avoir le cœur net. » A ces mots, elle reprends le pas et le dépasse en le frôlant. Elle avance de quelques mètres et s'arrête sans pour autant se retourner. Elle décide d'attendre quelques secondes, voir si l'étranger se permettra de l'accompagner ; ou non.

Pour une fois qu'il n'est pas déçu par une réponse, Socrate pivote immédiatement et commence à la suivre. Elle n'a qu'à attendre une demi seconde pour que l'animal soit à quelques mètres d'elle, dans la même direction, d'un pas déjà décidé. Le mâle ne saisit pas toujours - presque jamais - les intentions des autres et se retrouve souvent à agir selon un écho étrange. Il décide de ne rien dire, d'observer sans discrétion la curiosité de la jument.

Il ne se fait pas prier. A peine s'est t-elle arrêtée qu'une ombre se glisse à sa droite. Elle reprends la marche à une allure régulière. Le silence de l'étalon n'est étrangement pas pesant et elle en est presque ravie, car ici c'est chez elle alors c'est elle qui pose les questions. « Tu cherches quoi ici ? » Demande t-elle, parfaitement neutre.

Tant mieux, pour une fois, Socrate n'a rien à dire. La jument lui paraît fantomatique et elle ne lui inspire pas grande question. « J'explore, je me cache des humains » Pour autant il laisse glisser son oeil sur la robe sombre de la femelle et sur son oeil étrangement bleu. « J'empiète sur tes terres ? »

« En temps normal oui. » en toute franchise. Elle plonge ses yeux océans dans le regard ambré de l'étalon. « Mais vu les temps qui courent, tu n'es pas en tord. » L'orientale laisse son regard couler sur le reflet de sa silhouette juste devant elle.

Socrate hausse les épaules, il lui semble di drôle de constater cette solidarité qui savait naître entre les individus lorsqu'une menace plane au-dessus d'eux. Impuissants qu'ils sont seuls, les moutons se regroupent pour ne former qu'un et pouvoir se défendre contre vents et marées. « En temps normal, tu m'étriperais ? » Questionne-t-il avec une neutralité choquante tant sa voix ne s'hausse jamais quoi qu'il dise.

Tout comme lui, elle reste totalement de marbre. Impassible, insensible. Elle s'amuse souvent à s'adapter à son interlocuteur. « Je te ferai bouffer tes entrailles. » Son ton n'est pas celui de la rigolade, il semble que la jument soit actuellement parfaitement sérieuse.

Socrate hoche la tête. « Ça me semble peu réalisable si tu veux mon avis » Pas qu'il était de taille à l'en empêcher, après tout il ne savait que la théorie des affrontements et en rien la pratique, mais bien qu'il était difficile pour un animal éventré de déguster ses propres tripes. Néanmoins, loin de rester un niais petit intellectuel, Socrate comprend l'idée qu'on veut lui communiquer.

« Il n'est pas dit que tu le feras seul. » Si besoin elle était en mesure de lui prêter main forte en s'armant d'une petite cuillère, et en lui glissant chaque morceau dans le gosier. L'ami, ne t'as t-on pas dit que rien n'est impossible avec la démone qui te fait face ?

« C'est alors un bien triste châtiment que tu me réserves. Quelle chance j'ai que ces temps soient troublés alors » S'amuse le mâle qui continue à marcher aux côtés de la sauvageonne qui le menace. Les deux chevaux prennent un tournant et Socrate aperçoit de loin que les parois se rapprochent et que le passage va s'avérer compliqué.