∞ le squelette laboureur

Socrate est frustré de sa réponse. Non pas qu'il aurait aimé une déclaration de sensations, de sentiments mais bien un recul conscient sur ce qu'elle venait de faire. Il marmonne puis éloigne ses naseaux de ceux de la blanche, de peur qu'elle recommence, n'ayant pas apprécié perdre ainsi le contrôle de son propre esprit. « Jamais » Déclara-t-il sans une once de honte ou de malaise. Alors que d'autres pouvaient faire la course à la sexualité, à l'amour, Socrate restait très en marge de ce genre de choses. Pourtant au fond, ça lui avait certainement plu. « Tu as l'habitude d'embrasser ? » Demande l'animal, réellement intéressé de savoir si elle savait comparer ces expériences entre elles, curieux du recul qu'elle pouvait apporter à ça une fois sa pudeur mise de côté.

Socrate l'écoute avec attention, se demandant s'il ne devait pas suivre ses traces et aller embrasser ceux qu'ils rencontrent pour révéler en eux certaines choses. « Et moi ? C'était intéressant ? » Continue-t-il de questionner, passant sa langue sur ses lèvres, prélevant les derniers parfums que l'inconnue y avait laissé.

Socrate grogne, l'inconnue ne sait rien ! « Arrête de mentir. Tu sais dire ce que ça t'a fait » Sa voix est forte, il reste déstabilisé par cette expérience et par la présence de la jument. « Faut-il que je recommence pour que tu me donnes une réponse ? » Menace l'animal en se postant devant elle, imposant son être à toute sa vue.

Ses poumons continuent de ronronner, laissant un grondement s'échapper par intermittence de sa gorge. « Je veux toujours tout savoir » Lance-t-il avec un tel aplomb qu'il paraît si prétentieux, si omnipotent. Les lèvres de la blanche se colorent d'une insolence qui laisse les pupilles du mâle se vriller sur elles. Son regard ne s'adoucit pas, focalisé sur les traits de l'inconnue. Les mots qu'elles prononcent tirent sur des cordes sensibles qui résonnent en lui comme la vieille Madelaine de Proust. La douceur dans la douleur. « Je pense surtout que tu n'as pas ton mot à dire » Sa voix est plus douce, plus rassurante alors que ses mots sont durs et infiniment prédateurs. Jamais Socrate n'avait été ainsi. Aujourd'hui l'animal se dévoile.

Le contact est dur pourtant il n'a rien de froid, les yeux de Socrate s'accrochent à ceux de la jument, les cherchant. Il est naïf, il est jeune. Il expérimente. « Je ne suis jamais contre une nouvelle expérience » Lâche-t-il d'une voix qui se veut plus dure, plus pénétrante. L'animal se laisse pousser avec douceur, sans forcer sur le corps de la blanche. Puis elle s'écarte et c'est à lui de s'avancer à nouveau, collant son chanfrein contre le sien, leurs naseaux côte à côte. « Mais pour toi ça n'a rien de nouveau, hein ? » Balance-t-il sans prévoir ses mots, entraîné par son excitation de mettre un pied en terre inconnue, seulement guidé par cette sirène qui voudrait certainement sa perte. Perdre le contrôle, voilà quelque chose que Socrate n'a jamais connu.

Il pourrait certainement être flatté mais Socrate le sait déjà. Il est persuadé d'être unique, teinté d'une couleur inconnue aux autres. « Parce que je suis inexpérimenté ? » Demande l'animal qui descend sa tête contre celle de la jument, sentant son souffle chaud chatouiller son chanfrein. Etrangement il ne veut pas quitter son contact, elle l'aimante.

« Délie ta langue » Lui intime-t-il alors que sa bouche saute des naseaux de la jument à son encolure pour remonter avec douceur jusqu'à sa jugulaire. Et pour appuyer ses mots, il embrasse ladite gorge de ses dents sans forcer, en signifiant seulement leurs présences.

Le coeur de Socrate s'emballe, elle éveille en lui ce sentiment qui le fait se sentir hors de lui, hors du temps, hors de ses connaissances. Elle le fait aller en terre inconnue, perdre pied. Il resserre doucement ses dents contre sa jugulaire pour les enlever, passant sa langue sur le bord de ses ganaches. « Sinon tu n'en auras plus » Sa menace est si petite, si impossible, Socrate ne pourrait jamais lui ôter sa langue, même pas l'arracher. Pourtant il aime lui dire ces choses là.