‹ wrong time, right place ›

C'est vrai, gamin, laisse-toi aller. Qu'as-tu à perdre ?
La liberté, c'est ça : n'avoir plus rien à perdre. Mais tout à gagner. L'étalon tressaille. L'akhal fait un pas et les démons s'agitent, de nouveau. Certains se permettent même déjà de rire. De fêter leur future victoire. Ils ont déjà gagné. Comme croyant voir s'avancer Rowena, la vision du Lion se floute légèrement et il fronce les sourcils. Comment est-elle arrivée là, devant lui ? Sa veuve noire... « Que fais-tu ici ? » demande-t-il soudainement, l'air surpris qu'elle ait pu arriver aussi vite. Ah, la folie, mon grand.. Quelle chose douce et délicieuse.

Il trouve sa voix différente d'ordinaire, et éprouve comme un agaçant déjà-vu. Pourtant, le Lion ne se méfie pas. Ses démons l'empêchent brillamment de se rendre compte que son cerveau lui joue des tours. Qu'il est face au fils de sa veuve noire ; et non pas en face d'elle. Mais c'est sûrement pour ça qu'il le laisse approcher. Il observe ses courbes, les savoure, comme toujours. Il aura beau dire, il aura beau nier ; Rowena restera toujours son plus beau pêché. Il s'avance même d'un pas, à son tour, et un sourire aguicheur vient poindre sur ses lèvres. « Comment savais-tu que je serai ici ? » Comment son esprit peut-il être aussi cruellement imaginatif ? Aussi magnifiquement tordu ? Au point de ne pas se rendre compte des incohérences. Au point de, déjà, ne plus se souvenir du début de leur rencontre, ne plus se souvenir du tout de la présence d'Owberine.

Son encolure se tend naturellement vers lui. Comme attiré.
Il est toujours revenu à elle comme un ridicule bout de fer face à un puissant aimant. Il ne peut rien faire pour lutter, pour résister. Alors qu'elle se rapproche, il tend son nez vers elle pour effleurer son visage.
Comme s'il avait pris un électrochoc, Oroszlàn se recule d'un coup d'un bond. L'image de Rowena se remplace par celle, réelle, de son descendant. Ses oreilles se couchent brusquement contre sa nuque. « Dégage ! »

Non ? La colère grimpe encore d'un cran. Elle emplit les veines du Lion comme un poison. Un sentiment plus fort que tout, qui a toujours dominé tous les autres. La colère. Sa plus cruelle alliée. Son ennemie de toujours. La moins fiable et pourtant la plus fidèle de ses compagnons. Ses dents se serrent à lui faire mal – souvenir de cette vieille blessure avec Sweeney. Soudainement, le Serpent est là. Il est bien le fils de sa mère. Pourtant, si Oroszlàn se laisse amadouer si facilement par la Veuve Noire, la colère qui est en lui à cet instant empêche ses hallucinations de faire effet. Il y voit clair, à présent. Ou plutôt, il voit rouge.
Alors qu'Owberine est tout près de lui, l'ibérique ouvre sa mâchoire, direction son visage.

Le coup le sonne. Sa mâchoire semble se démanteler de nouveau. Ça lui rappelle de drôles de souvenir. Un drôle de combat. Une rage sans nom nait au creux des entrailles du Lion. Pourtant, pendant une ou deux secondes, il vacille légèrement. Heureusement, sa musculature et sa corpulence assez imposantes lui permettent de rester droit. Seule sa mâchoire craque et lui octroie une douleur fulgurante. Insupportable. Il aimerait serrer les dents de colère, mais la simple idée de cette réaction le menace déjà d'une douleur sensible. À la place de ça, il se met rapidement de dos, déjà détourné d'Owberine par son coup brutal. Ses antérieurs se plient et se détendent à vive allure en direction du visage de l'akhal, en espérant que celui-ci n'ait pas déjà eu le temps de s'esquiver.

Et la morsure pique soudainement son corps comme le dard d'une abeille. Ou d'une guêpe, qui mourra après son injection. Mais son adversaire n'est pas prêt de mourir, pourtant. Le Lion laisse échapper un grognement sourd et vibrant. Il sent les dents d'Owberine profondément accroché à sa rotule et sait qu'il gardera cette marque à vie.
Une de plus.
Un ennemi de plus. 
L'instinct le fait finalement bondir en avant pour s'arracher à la morsure, quitte à y laisser sa peau, au sens propre. Fou de rage, il fait volte face à une rapidité affolante. Le regard orageux, il se cabre contre l'akhal, s'écrasant contre son poitrail. Ses dents se lancent en avant, visant les yeux. Les mêmes que sa mère. Des yeux qu'il ne peut plus d'affronter et de voir dès le soleil couché, à l'intérieur même de sa tête.