Into the darkness

Il a bien longtemps que la grande dorée n'avait pas mis les pieds près du Lagon Figé. En fait, la jument évitait cet endroit le plus possible, afin de ne pas se rappeler le douloureux fait d'être désormais orpheline. Certes, Maddison est adulte. Mais, son père partit et sa mère morte, que lui reste-t-il de ses piliers, de ces socles sur lesquels est censé reposer sa stabilité ? Elle se le demande.
Mais aujourd'hui, il est temps de faire face. À ses démons. À sa vie. À l'ouragan quit vit en elle et n'ayant de cesse de s'alimenter de ses tourments, de ses peurs et de sa souffrance. Plantée là, le regard rivé sur l'image que lui renvoie l'eau gelée, le colosse doit prendre une décision. Encore.

Elle n'est qu'à quelques mètres. Elle la voit sans être vue. Elle est là en étant transparente, comme une ombre, un fantôme, un simple reflet.
Le reflet des erreurs des autres. Le reflet des regrets amers, le reflet d'un enfant non-désiré. Anormal. Elle tressaille. L'être en face d'elle est solide comme un roc, bâti dans une pierre qui semble le curieux mélange entre l'or et le marbre. Pourtant, la jument à la peau lisse et brillante semble détruite. Une faille dans le miroir. Une blessure, sous la cotte de maille. Elle l'observe comme on voit un être surnaturel. Elle l'observe comme si rien n'existait réellement. Son corps sombre, ses crins clairs ; seuls ses yeux noirs rappellent ceux de Maddison. Et sa fine musculature qui se développe plus encore chaque jour et chaque semaine, qu'elle tient de ses parents. Elle est fascinée par la créature qu'elle voit ; et légèrement intimidée, sans l'avouer, ce qui la retient de signaler sa présence.
Elle est là, et elle est invisible.

Pas totalement sourde à son environnement, la dorée à entendu les pas de la petite. Elle ne la regarde pas, mais rien qu'à juger de sa démarche et de la légèreté dont elle a fait preuve il lui est facile de deviner qu'elle à affaire à une yearling. Et d'après l'odeur, une femelle. Retenant un soupir, Maddison cligne des yeux, avant de tourner son visage vers la gamine. C'est à ce moment que son regard azuré tombe en arrête avec le copié collé d'Oroszlàn. Sa mâchoire inférieure se décroche d'un coup dans un merde surpris, tandis que ses oreilles se plaquent de surprise.
Son père l'avait pourtant prévenue avant de partir. Il l'avait mise au courant de ses erreurs, de ce qu'il avait fait. Mais jamais au grand jamais Maddie ne s'était attendue à tomber sur son portrait craché. Bon ok, elle était celui de son aïeule, Septenrê. Mais cette gamine ... Renâclant d'un coup, le colosse d'or se fait violence pour reprendre la maîtrise d'elle même. Tu peux approcher, je ne vais pas te manger. Lâche-t-elle finalement, les yeux toujours rivés sur la petite.

Pourtant, Lov est encore plus le portrait craché de son grand-père paternel, Murphy. Mais il est vrai qu'elle lui ressemble, à lui, aussi. À ce géniteur inconnu auquel elle en veut tant. Elle voit rapidement la réaction mauvaise de la jument et, si ses muscles se raidissent, la yearling ne bouge pourtant pas. C'est bien la première fois qu'elle génère ce genre de réaction chez quelqu'un. Alors forcément, ça l'intrigue. Aux mots de la crème, elle ose un sourire effronté. « Je n'en avais pas peur, ne vous en faîtes pas. » Elle abandonne son sourire pour faire quelques pas vers elle, la saluant d'un geste de la tête.

Ce n'est encore qu'une gamine, mais une certaine force émane d'elle. Et lorsqu'elle lui répond, Maddison ne peux empêcher un sourire de s'échapper. Oh, et bien tu devrais te méfier .. Minaude-t-elle, en la surveillant du coin de l’œil. Je ne suis pas réputée pour être quelqu'un de stable. Psychologiquement parlant, évidemment. Mais le colosse ne cesse d'y travailler et les progrès commencent à se voir. Puis ... Quel est ton nom ? Pour ce qui est de l'appartenance au nord et de ce fait son droit de passage ici, on verra ensuite.

La yearling ne se laisse pas démonter. On ne peut nier son audace. Pour elle c'est du courage, pour d'autre peut-être de l'insolence. Elle se grandit comme elle le peut, rejetant son toupet blond en arrière. « Et moi, tu ignores quelle est ma réputation ! » fait-elle avec malice mais sans agressivité, plutôt un certain amusement. D'ailleurs, elle-même l'ignore.
Elle s'approche encore, curieuse. « Lövojka. Lov, si c'est trop compliqué pour vous. Et donc vous êtes..? »

Le colosse sourit, amusée. Cette petite semble pleine de ressources et bourrée de malice. Maddie penche la tête sur côté, tic qu'elle tient de sa mère, lorsqu'elle est en pleine réflexion, ou qu'elle tente de comprendre quelque chose. Tout le monde ici connais mon instabilité émotionnelle. Je suis même célèbre pour cela. Répond la dorée, sur le même ton, heureuse de pouvoir enfin penser à autre chose qu'à Elune et sa disparition. Cette injuste disparition qui la prive à jamais de l'un de ses piliers les plus importants.
Et enfin, la petite répond à la question. Lövojka. À entendre ce nom, on le croirait tout droit sortit de l'imagination de son père. Oroszlàn. Lövojka. Même origine. À nouveau, les oreilles dorées de la jument viennent se perdre dans son épaisse crinière brûlée. Maddison. Répond-t-elle, avant de reprendre. Mon père à un nom tout aussi compliqué que le tien, il ne me posera donc aucun problème ... La vérité est sur le point d'éclater. Et son myocarde qui ne cesse de bondir, de plus en plus fort, au creux de sa poitrine. Vient-elle de trouver l'un des enfants dont Oros' lui avait parlé ? Si c'est le cas, le colosse se trouve donc moins seule qu'elle ne le pense.
Et l'espoir resurgit. Fort et puissant. Sa famille ne semble pas totalement brisée, au final.

La petite lui offre un sourire carnassier. Elle, est pleinement maîtresse de ses émotions, qu'elle camoufle généralement en totale partie. « J'en prends note. » fait-elle avec un clin d'oeil malicieux. Lov n'a pas peur.
Elle n'aura jamais peur de rien. Elle veut en faire sa force.
Ses oreilles se dressent à la remarque de la colosse et elle lâche un rire sec. « Oui, le mien aussi. C'est d'ailleurs lui qui m'a donné ce nom. » La seule chose qu'il m'ait donné, en vérité. Avant de disparaître, comme s'il n'avait jamais existé. Elle n'imagine pas un seul instant que le père de la colosse et le sien ... est la même personne.

Elle l'observe. Elle lui ressemble tellement ... l'idée fait son chemin. Mais comment cela aurait-il pu être possible ? Il s'appelle Oroszlàn. Lâche-t-elle tout à coup, sans prendre de pincettes. Si son intuition est bonne, alors cette petite n'est autre que sa sœur. Et si c'est bien le cas, Maddison se demande comment elle va bien pouvoir gérer la situation. Car certainement Lov' déteste-t-elle leur père, pour être partit ainsi, sans prendre le temps de l'élever ? Ce que la dorée comprend. Mais refuse d'entendre. Elle porte un lourd fardeau. Mais bien moindre comparé à celui de son père. Rongé. Depuis sa naissance.
Alors, le colosse observe sa cadette, dans un long et lourd silence, prête à recevoir tout ce que la caramel a à lui proposer à cette annonce. Encaisser sans rien dire. Exploser comme elle ferait. Ou alors recevoir le froid glacial d'une indifférence blessante. À voir.

« Alors c'est de toi dont Red m'a parlé. » Il l'appelait Mad. Elle n'a pas tout de suite fait le rapprochement, trouvant certainement la beige trop prestigieuse ou trop éloignée physiquement du souvenir très flou qu'elle garde de lui. Une ombre d'or. Une contradiction. Ce qu'il a fait d'elle aujourd'hui. « Je suis sa fille aussi. Enfin, de ce que j'ai compris, tu as la chance d'avoir été désirée et d'avoir eu deux parents qui s'aimaient. Je fais partie de la nouvelle génération indésirée. » Et ingrate. Déjà salie, avant d'être née. Un inceste.
Elle détourne le regard. Ses mots n'avaient rien d'agressif, juste un vif pincement, comme l'ombre furtive d'une émotion.

Et c'est le froid qu'elle se doit d'accueillir. Ce froid, qui cache une souffrance. Même si elle la rejette. Tu as donc déjà croisé Red'. J'espère qu'il va bien ? Il lui manque, aussi. Leur dernière rencontre n'a pas été très joyeuse. Il l'a quasiment reniée. Ou totalement ? Allez savoir. Chance ou pas, appelle cela comme tu veux. Ne rejette pas tout sur toi même, ou cela va finir par te bouffer. Comment expliquée à cette enfant que certes, elle n'était pas forcément désirée, mais pas moins aimée ? Moi aussi, il vient de m'abandonner en partant. Que je sois adulte n'y change rien. Il est partit et il nous a laissés derrière lui. Nous, ses enfants. Que ce soit clair : Maddison aussi n'accepte pas le départ d'Oros'. Maddison aussi en souffre.
Un ronflement de naseaux lui échappe. Mais avant de partir, il t'a confiée à nous, tes aînés. Que tu sois non désirée n'a rien à voir avec le fait qu'il t'aime ou ne t'aime pas Lovojka. Le colosse parle beaucoup. Mais c'est qu'elle a beaucoup à dire. À tenter de lui faire comprendre. Parce qu'elle, elle l'aime déjà, sa petite sœur.

Mais Lov ne comprend pas. Un père n'abandonne pas sa fille.
Elle, elle n'aura jamais d'enfant. Pour ne jamais avoir à les abandonner si elle veut partir, justement. En même se mélange la colère et la tristesse, se transformant en un torrent de boue sale qui coule dans sa tête. Elle ne répond rien, l'écoute en paraissant totalement absente. Elle entend tout, pourtant. Elle vit, même si elle semble déjà avoir quitté la terre.
Enfin, elle sort de sa stupeur. « Il a pu te montrer qu'il t'aimait. J'imagine qu'il l'a fait. »
Elle tourne vers sa nouvelle grande soeur un regard sombre, le même que le Lion, chargé d'une émotion féroce et sauvage. Quelque chose de bien trop profond pour une enfant. « Il m'a murmurée mon nom. M'a murmurée d'aller au Nord. Puis il a disparu. Je ne peux affirmer s'il m'aime ou ne m'aime pas. À moi, il ne m'a rien montré du tout. Seulement son absence. Seulement sa fuite. » Sa voix est calme. Elle comprend que Red et Maddison le défende. Mais peuvent-ils comprendre, eux aussi, l'amertume et la rancoeur qu'elle porte en elle face à cet abandon ? « Parlons d'autre chose que de lui. »

Oui, il a fuit. Oui, il est partit. Et non, je ne l'accepte pas non plus. Car contrairement à ce que tu peux penser, je n'ai passé que très peu de temps avec lui. Et j'ai été foutue de le gâcher. Reprend le colosse, tout en essayant de calmer l'ouragan qui vient de reprendre, plus fort, plus puissant et plus violent qu'avant. Lovojka ne semble pas comprendre à quel point son aînée peu souffrir, au moins autant qu'elle. Combien elle en veux au Lion d'être partit. Comme ça. Mais c'était soit ça, soit une version de lui dont tout le monde aurait peur. Qui aurait totalement évincé la personne qu'il était. Sache, Lov', que notre famille porte un lourd fardeau. Composés de démons, d'obscurité. C'est à cause d'eux qu'il est partit. Mais elle va encore le traiter de lâche. Alors qu'elle ne le connait même pas. Peut-être n'est pas encore prête à entendre la vérité. D'ailleurs, la yearling veux déjà changer de sujet, ce qui pousse le colosse à soupirer. Patiente, patiente, Maddison. Tout vient à point à qui sait attendre.
Soit. Mais garde seulement dans un coin de ton esprit que ces quelques gestes envers toi montrent à quel point il t'aime. Et c'est une affirmation. Tout comme Redjim avant toi. Red, né d'une union maudite. Red, qui a été aimé comme pas permis. Red, qui est toujours autant aimé. Red, qui lui manque cruellement, là, maintenant. Puis elle lui jette un coup d'oeil, furtif. Puis de sourire. Quand tu sera plus grande, tu comprendra. Car cette petite semble loin d'être stupide. Et, contrairement à Oros', Maddison ne compte pas lui cacher les part sombres d'elle même, ni celle qui la guêtreront à mesure qu'elle grandira. De quoi veux-tu parler ?

La petite écoute, sans rien répondre. Elle est lasse de chercher à faire comprendre à cette soeur qu'elle ne connait pas son point de vue à elle. Parce qu'elle ne l'a pas connu, elle n'a donc pas le droit de lui en vouloir ?
Elle laisse sa langue claquer contre son palais, le regard détourné. Elle observe les reflets de quelques oiseaux qui dansent sur la surface rigide du lac endormi. Un sourire carnassier apparait sur ses lèvres. « Tu crois que j'ignore à quel héritage j'ai eu droit ? » Son ton n'est ni sec ni agressif, juste plat mais enflammé. Elle ne la regarde toujours pas, même si elle sent le regard de la beige sur elle. Elle lui parle trop sèchement, comme si elle pouvait se permettre de lui donner une leçon parce qu'elles partagent du sang en commun. Lov ne la connait pas, le sang ne fait pas automatiquement d'elle sa soeur du jour au lendemain. Elle aurait aimé qu'elle lui dise qu'elle la comprend. Qu'il reviendra. Qu'elle pourra le rencontrer. Qu'elle est là pour elle si elle aimerait en parler, plus tard. Pas lui faire la morale comme si elle n'était qu'une gamine effrontée. Lov n'a jamais été une enfant. Puisqu'elle n'a jamais eu de parents.

Le silence s'installe. Long, pesant, aussi épais que la glace sur laquelle elles se tiennent. La yearling tient toujours son regard loin de celui de Maddison, sans vraiment savoir ce qui la pousse à refuser ce contact visuel. Elle méprise ce « quand tu seras plus grande, tu comprendras », comme tous ceux qui la prenaient à la rigolade avant, quand elle était haute comme trois pommes. Un jour, ils le regretteront. Comprendront qu'elle était déjà bien plus réfléchie qu'eux. « Je ne sais pas. » répond la silver dapple, d'une voix calme et trainante, sans aucune animosité. Bien qu'elle soit déçue de cette scène de ménage fraternelle, Lov sait très bien que sa colère n'est pas dirigée vers l'être qu'elle a en face d'elle. Elle sait que Red et Maddison souffrent du départ de leur géniteur.
Mais eux, au moins, ont eu la chance de l'avoir pour père avant qu'il ne disparaisse comme un fantôme. Elle, pas.

Grimace. Dents serrée. Ouragan qui reprend, de plus belle. Ou plutôt qui continue, mais de plus en plus fort. Je n'ai jamais dit que tu ignorais. Reprend le colosse, tout en se faisant violence pour ne pas exploser - pour rien. Chacun de nous à un fardeau différent à porter. Le mien est fait de violence, de sentiments décuplés. Et principalement de colère. Explique finalement Maddison, bien conscience que son laïus a eu l'effet inverse de celui recherché. Certainement a-t-elle agit comme Red. Stupidement. Comme d'habitude. Alors, un soupir lui échappe. La jument d'or doit bien l'admettre : elle a fait une erreur. Encore. Excuse moi. Ce n'est certainement pas ainsi que tu aurais aimé entendre parler de ton père, n'est-ce pas ? Et elle darde sur elle son regard azur, observant la moindre de ses actions, la moindre expression. Le moindre changement sur son visage mais surtout, dans son regard. On vois beaucoup de choses en lisant un regard.

C'est maintenant que tu veux savoir et comprendre. Petit sourire. Si Lovojka savait ... si elle savait à quel point elles se ressemblent. À quel point Maddison, elle aussi, à souffert de cette condition d'enfant, qu'elle n'a jamais eue l'impression d'être. Alors on va faire ainsi : pose moi toutes les questions que tu voudra et j'y répondrais. Tout ce que tu veux savoir. Sans aucun mensonge.