◙ L'ombre de soit même

Lorsqu’elle s’immobilise, il la remercie silencieusement de ne pas le forcer à continuer, dans tout les sens que ce terme pouvait s’employer. Un long râle s’échappe de sa gorge tandis qu’il se laisse échoir au sol, immaculant la neige pure de son sang. Il avait mis du temps à s’habituer au Nord, mais finalement, il n’était pas mécontent de mourir ici, dans ce froid qu’il avait appris à trouver réconfortant. Sept ne tarde pas à le rejoindre au sol, et bien que cela l’attriste de la voir soudainement dans le même piteux état que lui, il ne peut s’empêcher de sourire. De ce sourire mi malicieux mi insolent qu’il semblait avoir porté toute sa vie. Vie qui prenait fin aujourd’hui, aux côtés de sa vieille amie. Il regrette de ne pas revoir une dernière fois Aslaug, sa biche égarée devenue louve. Ainsi que leurs enfants. Il repense à Luce, qu’il n’a pas vu depuis si longtemps. A Ubbe, à Bailey, même à Keljös son fils adoptif. Puis son esprit s’achemine encore plus loin dans le passé. Il glisse un reggae interrogateur sur Sept. N’avaient ils pas eut un enfant ensemble ? Avait il vécu ? Il regrette aussi de ne pas l’avoir connu. Mais tout cela n’a plus la moindre importance aujourd’hui. Le sang de l’ibérique se joint à celui du mustang. Plus rien ne les sauverait à présent. Plus rien ne les séparerait non plus.
La douleur est telle qu’il se demande s’il était encore possible de souffrir plus, et lorsqu’elle énonce la sentence, cela sonne comme une délivrance à ses oreilles. Même elles se mettent à saigner à présent. Les organes lâchent les uns après les autres. C’est rapide, douloureux, affreusement douloureux, mais rapide.
Il s’était toujours imaginé mourir au combat, tué par un plus grand guerrier que lui. Il ne mourrait pas sur un champ de bataille certes, mais il était tout de même satisfait et honoré de mourir de la bouche de Sept.
Il profite une dernière fois, tant bien que mal, de la brise fraîche lui caressant le visage. Il sent le souffle de la jument venir chatouiller sa gorge, puis ses dents l’empoigner fermement. C’est la fin. Il ferme les yeux et dans un ultime effort murmure Merci. Puis la chair, les muscles, la trachée et l’artère s’arrachent brutalement de son corps. Il s’effondre, se vidant de son sang dans la neige. Sept ne tarda pas à s’écrouler à son tour. Et alors que la vie le quitte, le dernier souvenir qu’il en gardera à jamais, c’est l’odeur familière et rassurante de l’imposante perle de nacre lui chatouiller les naseaux.