le ballet des étoiles.

Invité

- Spectra, se présenta-t-elle.

Il fallait dire que la noiraude avait un nom qui lui correspondait bien. La vie faisait bien les choses. Parfois. Sa mère l'avait nommée de telle sorte à ce qu'elle se souvienne que cette enfant n'avait jamais été voulue. Elle n'était qu'une erreur, une chose bonne à jeter. Pour autant, elle avait survécu, pour elle ne savait trop quelle raison.

Oh, c'est original. J'aime bien. Se contenta-t-elle de répondre. Désormais, elle pouvait mettre un nom sur un visage, c'était déjà ça. Un visage qui semblait pris en otage par sa conscience, qui lui assurait qu'elle n'avait rien à faire sur Terre. Mine de rien, cela peinait Ana. Elle avait toujours eu ce côté… mère poule, voyez ? En tout cas, je suis ravie de faire ta connaissance, Spectra. Voilà, c'était dit. Il fallait absolument lui faire prendre conscience que sa présence n'était pas un fardeau.

Invité

C'était... agréable. En fait, Spectra ne connaissait pas vraiment ce genre de rencontre, celle dont on ne craignait rien, et qui était plutôt sympathique. Le fait de lui avoir dit qu'elle était ravie de faire sa connaissance faisait du bien à la corneille, sans qu'elle ne puisse réellement se l'admettre étant donné qu'elle ne connaissait pas grand-chose à ce genre de contact avec autrui.

- Tu as de la famille ? Lui demanda-t-elle avec lenteur, indécise.

Un large sourire vint illuminer son visage lorsqu'elle constata que la jument d'ébène s'exprimait enfin. Sourire qui disparut quelque peu lorsqu'elle prit soin de réfléchir à la question. Oh, j'en avais une. Mais mon fils est parti vivre sa vie de solitaire il y a quelques années déjà, et celui que j'aime part à la guerre. Un long soupir ponctua sa phrase. Elle regardait la jument d'un air entendu.

Invité

C'était une question bateau mais elle se devait de la poser. Qui n'avait pas de famille, si ce n'était elle-même ? Ce n'était pas une situation normale, ou tout du moins elle n'avait pas l'impression d'avoir déjà rencontré quelqu'un pour qui c'était la même chose. Son ancien conjoint était un peu dans cette situation, mais il avait eu la chance d'avoir une famille au début de sa vie, ou tout du moins c'était là ce qu'elle s'était imaginée devant son silence.

- Oh, tu as un fils, lui répondit la corneille.

Elle se demandait comment serait son poulinage, si elle aurait du mal à mettre au monde un enfant. Elle l'avait déjà fait par le passé mais c'était à peine si elle se souvenait de sa descendance.

Hochement de tête. En effet, il est grand maintenant… et loin. Son regard se perdit un instant dans l'horizon, avant de se refocaliser sur la corneille. Tu n'en as pas ? Quelque chose dans son comportement présageait le contraire - ou tout du moins, elle avait l'air d'avoir déjà pouliné. Ce genre de regard ne trompait pas.

Invité

- J'ai eu deux... ou trois enfants, je ne sais plus, lui répondit la corneille. A vrai dire, je ne me souviens pas de tout. Ce genre d'événement remonte à quelques années déjà.

C'était terrible de se dire qu'elle ne se souvenait pas de ses propres enfants, mais c'était le cas. Il lui semblait avoir eu une fille nommée Marilyn ainsi qu'un fils appelé Talion. Mais en ce qui concernait son troisième enfant, aucun souvenir.

Mais tu… on te les as enlevés ? Demanda-t-elle, surprise que la jument en parlait comme si c'était du passé, quelque chose de révolu dont elle se souvenait à peine. Cette annonce soulevait le cœur d'Ana, qui se sentait réellement triste pour la noiraude.

Invité

- Non, ils ont grandi, souffla-t-elle.

Spectra ne se souvenait quasiment pas des instants passés avec ses enfants. Avait-ce été quelque chose d'important dans sa vie ? Peut-être pas, finalement. Les avait-elle réellement désirés ou avait-elle laissé les choses se faire ? C'était là des questions qu'elle se posait de temps à autre.

Elle soupira. Ils finissent tous par grandir et partir, j'ai l'impression… Son ton n'était pas vraiment triste, il était plutôt résigné. Elle se contentait de pointer du doigt un constat. Tu te souviens d'autres événements de ta vie ? C'était bizarre, vraiment. Ana suspectait qu'elle souffrait d'un symptôme d'Alzheimer. Ça, ou bien elle avait vécu quelque chose d'assez traumatisant pour lui ôter tous ses souvenirs.

Invité

- Je me souviens de bien trop d'événements, lui répondit-elle.

La corneille aurait bien voulu en oublier davantage à vrai dire. Elle se souvenait d'à peu près tout, mais ses enfants ne constituaient qu'une tache sur la peinture de ses souvenirs. Autant dire que donner la vie ne l'avait pas grandement marquée.

Alors c'était donc le contraire ; un trop plein d'événements à en faire exploser la cervelle. La brune mourait d'envie d'en savoir plus, mais elle ne souhaitait pas brusquer Spectra pour autant. Elle était déjà ravie que la noiraude se confie au compte-gouttes, à sa vitesse. En tout cas, si tu as envie de me parler de quoi que ce soit un jour, concernant ton passé, ou même tes envies futures, peu importe… n'hésite pas. Se contenta-t-elle de dire pour amortir le sujet.

Invité

- Les enfants ne m'ont juste pas marquée, lui dit-elle par la suite.

C'était quelque chose de malheureux mais vrai. Le fait d'enfanter ne lui avait rien fait. Ou presque. Elle ne se souvenait même avoir été heureuse en devenant mère plusieurs fois.

C'était quelque chose qui échappait à la sagacité d'Ana, qui n'oubliera jamais l'image de son fils et le tragique événement de sa fausse couche… Elle secoua la tête pour chasser ces idées. Pourquoi n'as-tu pas peur de la mort ? Personnellement, elle m'effraye. C'était un changement de sujet drastique, mais nécessaire, elle n'avait plus envie de parler de progéniture car c'était visiblement un sujet sans fond, et la vision de la corneille sur la vie et la mort l'intriguait beaucoup. Elle souhaitait comprendre.

Invité

Spectra n'avait jamais été touchée par la vie, par ces choses futiles qui finissaient toutes par s'éteindre. Elle s'était rendue compte très tôt dans sa vie qu'avoir peur ne servait à rien, ou tout du moins s'il fallait ressentir la crainte, ce n'était certainement pas à propos de choses abstraites.

- Car à mes yeux, elle est rassurante, lui répondit la corneille.

En effet, qu'y avait-il de plus réconfortant qu'un repos éternel, sans plus de difficulté dans ce monde terrible ?

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