il était une fois la vie.

La journée qui venait de dérouler son fil avait été d'une chaleur accablante. La brune en avait beaucoup souffert, et une douleur lancinante prenait désormais possession de son crâne, tenu fermement en otage.

Tandis que la nuit commençait à tomber, elle en profita pour s'éloigner un peu du groupe. S'allonger dans un coin d'ombre, contre les pierres froides, fut sa première initiative. Une fois le corps collé aux roches fraiches, elle s'attendit à ressentir un quelconque soulagement ; mais il n'en fut rien. Au contraire, une nouvelle douleur plus aiguë fit son apparition au niveau du bas ventre. Elle crispa les traits sous la souffrance soudaine. Oh non… déjà ? Le souffle haletant, elle serra les dents. Elle était seule, plus seule que jamais, et son enfant semblait vouloir sortir. Était-elle prête pour ça ? Abattue par un flot de sentiments de peur, d'appréhension, de solitude, de désespoir, le tout mélangé à une bonne grosse dose d'hormones, elle sentit les larmes lui monter aux yeux et fut prise de sanglots incontrôlables. Oh Sydän… je n'y arriverai pas sans toi… Sa voix tremblait sous l'émotion, ses mots étaient à peine audibles. Elle pleurait à chaudes larmes tandis que les contractions se rapprochaient et que la douleur montait en grade.

Enja & Draggan se retrouvaient au même endroit, au même moment. La brune avait pris l'habitude de garder un oeil sur les femelles gestantes, même si elles n'étaient pas de son clan. Elle ne souhaitait pas qu'elles se retrouvent en difficulté lors de la mise bas, et il s'avérait qu'elle croisait la route d'une femelle qui était sur le point d'accoucher. « Vous allez bien ? » lança-t-elle avec bienveillance, lui tendant un léger sourire plein de compassion. « Je suis Enja, guérisseuse. »

Le petit Draggan, lui, était plus en retrait, assistant à l'échange sans s'approcher.

La douleur se faisait de plus en plus lancinante, elle résonnait dans son corps comme le glas d'une église. Dents serrés, paupières closes, visage sillonné de larmes chaudes, Ana respirait bruyamment. Elle tentait de se souvenir de ces fois où elle avait donné la vie. Les contractions étaient espacées de plusieurs minutes, elles ne frappaient jamais au même moment. Il fallait qu'elle compte. 1, 2, 3… Compter purifiait son cerveau. Elle se concentrait sur autre chose que la souffrance qui la frappait de plein fouet. 4, 5, 6… Une voix douce se fit entendre. Je suis Enja, guérisseuse. Elle crut rêver. Était-ce Sydän qui lui envoyait du renfort de là-haut, caché quelque part dans les nuages ? La voyait-il ? Elle ouvrit les yeux dans un geste laborieux. Oh je… je crois que c'est pour maintenant. Elle ne comptait pas si bien dire, car un liquide chaud s'écoulait désormais le long de ses cuisses. Elle venait de perdre les eaux.

La brunette acquiesça doucement, espérant que la mise bas se passe correctement, car elle ne savait pas vraiment quoi faire si c'était le cas. Elle s'était approchée de la future maman, apposant une feuille de menthe contre sa tempe, pour lui donner une sensation de froid. La menthe n'était pas une plante rare et encore moins difficile à trouver. Elle pouvait ainsi se permettre d'aider cette jument même si elle n'était pas de son clan. « Ça va aller, ça va aller... Parlez-moi en attendant. Comment vous appelez-vous ? »

Elle soufflait fort et des perles de sueur apparaissaient déjà sur son corps brûlant. Je m'appelle Anastasia. M…m…erci Enja. Les paroles étaient difficiles à prononcer, malgré la sensation de fraîcheur qui envahissait soudainement la zone de son chanfrein. La brune venait de lui appliquer quelque chose de frais sur les tempes. Elle soupira doucement face à ce réconfort bien venu, mais de courte durée. C'était une lumière perdue au sein des ténèbres d'une douleur sans précédent. Très vite, un déchirement aigu lui lacéra le bas ventre, comme un coup de poignard. Elle s'écroula au sol sous le poids de la souffrance. Elle tremblait de tout son long, parcourue par des vagues de chaud-froid particulièrement désagréables. Que lui arrivait-elle ? Elle n'avait jamais ressenti de pareils élancements lors de ses précédentes mises bas. Quelque chose clochait…

Elle lui adressa un léger sourire, peinant à cacher son inquiétude grandissante. « Anastasia, continuez de me parler. » fit-elle calmement, observant toujours la future maman. Elle avait l'air en grande souffrance, mais Enja ne voulait pas risquer de lui administrer un antidouleur car cela pouvait l'empêcher d'être connectée à son corps. Pinçant les lèvres, elle se dirigea vers l'arrière-train de la femelle. « Allez-y, je vois le bout de ses sabots ! »

Continuer de parler… que pouvait-elle bien dire ? Elle n'arrivait plus à penser correctement, ses idées s'abattaient sur son crâne dans un ordre sans queue ni tête. Elle soufflait de plus en plus fort, générant désormais un son rauque et saccadé à la limite du râle. Allez-y, je vois le bout de ses sabots ! À cet instant, elle poussa de toutes ses forces, de tout son être. Comme si elle essayait de pousser des montagnes par la seule force de son cerveau. Elle courait à contre vent contre une tornade, mais le jeu en valait la chandelle. La douleur était si intense qu'elle ne la sentait presque plus, ses membres avaient déclaré forfait et elle n'était plus en mesure de les bouger. Ou, peut-être les bougeait-elle, mais elle ne sentait strictement rien. Même la souffrance avait un seuil au-dessus duquel vous ne pouviez plus lutter. Des larmes continuaient de sillonner le long de sa ganache tandis qu'elle poussait, poussait, poussait, et l'effort lui arrachait quelques gémissements de douleur.

Enja demeurait impuissante face à la douleur d'Anastasia. Elle se sentait impuissante et était donc frustrée d'une telle sensation. Elle voudrait pouvoir l'aider, pouvoir lui extraire une partie de ses douleurs fulgurantes. Mais elle ne pouvait qu'attendre et veiller à ce que son pronostic vital ne s'engage pas, ni à elle ni celui du poulain.

Ana poussait sans relâche, tellement fort qu'elle s'en mordait l'intérieur des joues. Ce faisant, elle pensait à Sydän, il envahissait toute sa tête, les moindres de ses pensées. Ça lui permettait de garder des forces, de puiser des seaux de courage dans le puits de sa conscience. Quelque part, il était là, avec elle. Et cet enfant à naître.

Après 2 ou 3 poussées plutôt laborieuses, elle réussit à dire quelques mots à celle qui prenait soin d'elle. Elle lui devait une fière chandelle. Sans sa présence, elle ne serait sans doute pas en plein travail. Vous… voyez quelque… chose ? Outre la douleur fulgurante qu'elle ressentait depuis le début, elle discernait des espèces de mouvements circulaires dans le bas ventre.