☾ antidote

Et Draggan ne rompit pas le contact. Il n'en avait pas l'intention pour le moment. Comme si il avait besoin de combler ce temps d'absence par une proximité étroite. Pour renouer l'intimité qu'ils avaient toujours eu. Quand il était avec June, c'était comme si le reste du monde n'existait plus. Il souffla un air chaud contre la base de ses crins, la conservant contre lui, son encolure par-dessus la sienne. La chaleur était douce, réconfortante, véritablement agréable. « Aller, maintenant raconte-moi. C'était comment, ta petite escapade ? » s'enquit-il avec un petit sourire au bout des lèvres, s'imaginant la brune parcourir des terres à la fois étrangères et sublimes.

Son contact la rassurait d'un côté, une force naissait aux côtés du gris et elle ne savait pas pourquoi. June se sentait toute autre avec. Son escapade ? Ohh. Un sourire se dessina sur ses lèvres, contente de pouvoir lui raconter. Au départ, j'avais peur de la solitude mais... j'avais besoin de prendre une pause après la migration et toutes les histoires. J'ai vu des paysages incroyables puis ... j'ai vu des aurores boréales dans le Nord ! Elle marque une pause, repensant à ce moment magnifique qu'elle avait pu vivre. Dommage que Draggan n'ait pas pu voir ce spectacle dans le ciel. Ce voyage m'a permis de réfléchir et de revenir avec un esprit sain.. Son regard se détourne sur le côté, mordant légèrement sa lèvre inférieure. Même si j'ai.. tenté de faire partir Peeta, il est moins présent mais ... je sais qu'il est toujours là. Ce Peeta commençait à lui faire peur, ce n'était plus le même que celui qu'elle avait petite, il lui soufflait des paroles méchantes parfois.

Le gris écoutait, toujours contre elle, profitant de cette chaleur comme si c'était la première fois. Il se souvenait de la première fois qu'ils s'étaient rencontrés. Si maladroits, sans savoir s'y prendre en matière d'amitié avec les autres. Il avait longtemps cru que ça avait été Absinthe sa première amie, mais elle ne l'avait jamais été. Il l'avait toujours vu comme autre chose. Et June, elle, bien qu'il ne pouvait pas la ranger dans une simple case, avait été la première à percer son cœur, peu importe de quelle façon. Il écoutait la brune parler avec une concentration dévote, comme si il pouvait voir à travers ses yeux ce qu'elle décrivait. « Tu aurais du penser à m'inviter, alors. J'aurai ramené du pop-corn. » fit-il simplement, d'une voix posée, le ton quelques peu malicieux. Si ce voyage lui avait apporté une certaine forme de paix, alors il en était heureux. Bien que son absence ait pu le tourmenter durant de longues nuits, le plus important était que June était là, désormais. Il plissa légèrement les yeux, intrigué par ses derniers mots. « Pourquoi voulais-tu le faire partir ? »

June n'avait pas d'explication au fait qu'elle se soit autant attaché au gris, ça s'était fait au feeling. Il a été le seul à s'inquiéter d'elle, à la défendre auprès des autres à l'exception d'Aulia et de son père.  « Tu aurais du penser à m'inviter », elle y avait pensé, mais son voyage devait se faire avec elle-même pour se vider la tête, loin de tout. Son souffle chaud s'engouffra un peu plus dans la crinière de Draggan, provoqué par un sentiment de peur, et de jugement. Mais il n'était pas comme ça, il ne l'avait pas fait avant alors pourquoi le ferait-il maintenant ? Il... il commençait à devenir méchant. Ce n'est plus le même. La brune se colle un peu plus au corps de Draggan, cherchant à se rassurer, par une peur soudaine, peur qu'il ne soit qu'un fruit de son imagination pendant son sommeil en plein voyage.

Mais il était bien là, bien vivant. Cette chaleur n'était pas qu'une illusion, tout comme l'étreinte qu'il resserra contre elle au même titre. Pour la rassurer, pour qu'elle sente qu'il était bien réel. Et qu'il ne comptait pas se détacher d'elle de si tôt. Cela dit, les paroles de la brune lui provoquèrent une multitudes de sentiments différents. Au-delà d'une colère sourde qui s'élevait en lui, contre cette entité qui était devenue hostile à son hôte, il avait un profond sentiment d'impuissance. Imaginer que quiconque puisse faire du mal à la brune, que ce soit physiquement ou mentalement, le mettait hors de lui. Lui faisait littéralement perdre ses moyens. Cela dit, la seule chose qui l'empêchait d'exploser, lui qui peinait tant à contenir ses émotions, c'était de se dire qu'il ne pouvait pas détruire quelque chose qu'il ne voyait pas. Qui n'existait pas concrètement pour lui. Et de se dire qu'il pouvait potentiellement haïr quelque chose qui faisait partie de June le repoussait, le rendait perplexe, l'effarait. Comment lutter contre quelque chose d'aussi abstrait ? Était-ce l'esprit de June qui avait connu un tel changement que ce Peeta était l'expression d'une violence refoulée ? Draggan était concrètement perdu, et vint ensuite une grande inquiétude pour la brune. L'envie de ne plus la quitter, de toujours veiller sur elle, à défaut de pouvoir effacer la menace lui-même. Lui, qui depuis enfant avait pris pour objectif de devenir puissant pour protéger les siens, voilà que sa puissance était inutile.  « Je suis là. Je serai là. Je serai toujours là putain. » Prochain sentiment : l'injustice. Il aurait souhaité que ce genre de chose n'arrive qu'aux autres, à ceux qu'il ne connaissait pas, qu'il n'appréciait pas spécialement ; des gens dont il n'avait rien à faire. Mais là, c'était elle, c'était June. Une peur, profonde et obsessionnelle empoisonna son esprit : celle de la perdre.

Manque de chance effectivement, le hasard avait décidé de donner ce problème à une enfant déjà perdue dans les histoires de famille, une enfant arrachée secrètement de sa mère dès sa naissance et vivant dans un mensonge camouflé par son père. L'autorité de son père a été dure pour June mais elle a appris à vivre avec, ne comprenant pas tellement pourquoi certaines personnes la regardaient avec un air de jugement, peu importe ou en mal. Et c'est là qu'il est apparu, un ami idéal que chaque enfant aurait aimé avoir dans sa vie. Mais dans le cas de June, c'était son seul ami, si puis-je dire même sa force ? C'est comme un démon camouflé, il vous fait ressentir des sentiments incroyables qui vous sauvent du regard des autres, qui vous fait sentir plus fort tout en profitant de votre naïveté jusqu'au jour où vous grandissez et que vous preniez conscience qu'il est irréel. C'est là qu'il se montre sous son vrai visage, à chuchoter des mots difficiles et méchants. June tente depuis son escapade à s'en débarrasser mais son combat dure toujours, mais pas à ce moment, pas avec Draggan, il dégage une aura de bienfaisance. Peut-être que son petit démon n'aime pas et cesse de la contrôler en sa présence ?
Peu importe. La brune entend les paroles de Draggan, il est comme une aile qui manque à June pour qu'elle puisse s'envoler loin de ce démon qui la hante. Sa tête se permet alors de se camoufler un peu plus dans les crins du gris, silencieuse.

♥

Draggan aurait presque pu sentir les larmes lui monter. Il luttait contre les tambours de guerre qui résonnaient dans ses tripes. Ce grondement qui montait en lui mais qui restait bloqué dans sa gorge. La tension battait son plein dans ses tempes. Un afflux de sang incontrôlable, une sensation de brasier qui envahissait son cœur. Cette même sensation qui s'accompagnait de souffrance. Il se sentait à la fois comblé, par la présence de June, et vide, par l'ombre de ce Peeta. De cette entité qui était passée d'allié à parasite indestructible. Toutes les inquiétudes du monde le rongeait pendant ce temps, alors qu'il se délectait de la présence de June, de son abandon contre lui. Dans son cœur, l'orage et l'incendie se livraient une joute meurtrière. « Promets-moi, June... » Sa voix était calme, mais il savait qu'elle saura décrypter cette émotion qui perçait. Cette foutue émotion que d'ordinaire, il cachait si bien. Parce que la plus solide des pierres n'est crédible que lorsqu'elle est entière, n'est-ce pas ? La solidité ne peut être remise en question que par un vide qui l'habiterait. « Promets-moi que tu ne te perdras pas. Que je ne te perdrais pas, toi. » Et soudain, il se dit qu'il était peut-être paranoïaque. Peut-être qu'il avait tout faux, que son esprit allait trop loin, biaisé par la chaleur du Brasier. Et en même temps, il n'arrivait plus à réfléchir, comme paralysé par la foudre de cet Orage.

Elle sentait la tension près d'elle, dans le corps de Draggan. Mais ce n'était pas son but, elle ne voulait pas le voir ainsi et elle s'en voulait un peu plus, pourquoi lui avoir répondu sincèrement ? En évitant tout ça ? C'était impossible, elle ne pouvait compter que sur lui, finalement. Alors c'est d'un recul léger, qu'elle ose quitter la chaleur réconfortante du gris, de rompre tout contact avant d'en reprendre un nouveau, que son visage se retrouve à quelques centimètres du gris, son regard croise le sien quelques instants avant de poser son front contre le sien tout en fermant les yeux, se voulant être réconfortante. Je le ferai pour toi, je t'en fais... la promesse.    Oui, une pointe d'hésitation dans ses paroles mais elle se reprit, sincère. Les histoires de promesses ont toujours été présentes entre elle et son père, c'était quelque chose d'important qui unissait deux personnes pour une chose. Mais à part son père, la brune n'en avait jamais fait. Une première fois dans sa vie, ça n'allait pas être si différent. Avec Draggan, elle se sentait capable de tout faire, d'être immunisé contre tout mais au cas contraire, une descente aux enfers. Je ne partirai plus sans te prévenir. Lui murmure-t-elle d'une voix tremblante avant de se mordre de nouveau la lèvre inférieure, commençant à ressentir un sentiment de culpabilité au fond d'elle de l'avoir laissé ici, sans l'avoir prévenu, sans un mot même.

Il était cependant loin de lui en vouloir d'être partie sans lui. A vrai dire, cela ne lui avait même pas frôlé l'esprit. Pour lui, rien ne serait assez valable pour en vouloir à June de quoi que ce soit. Étrangement, la seule personne à qui il en voulait, c'était à lui-même. Injustement, il s'accusait. De ne rien pouvoir faire pour elle, car aucun remède, aucune parole, aucune étreinte ne saurait lui retirer ce qui l'habite et l'abîme. Il ne se sentait pas assez fort, trop peu puissant pour lui venir en aide. Et ce manque le rongeait, au plus profond de lui. Sûrement était-il trop dur avec lui-même, beaucoup trop même. Mais il se devait de trouver un coupable, quelqu'un ou quelque chose vers qui tourner ce sentiment d'injustice. Lorsqu'elle se détache, une vague de froid l'envahit, comme si sa peau la réclamait au plus près de lui. Il ferma les yeux quelques instants, lorsque leurs chanfreins de touchèrent. Si peu de choses pouvaient atténuer son inquiétude en ce moment même, sa promesse lui fit du bien. Draggan avait besoin d'entendre ces mots qu'elle venait de prononcer. Il s'y accrocha comme si cela allait tout résoudre, mettre un terme à cette guérilla interne. Il inspira profondément l'air frais, y trouvant l'odeur de la brune, qui l'envahit. Lorsqu'il rouvrit les yeux, ils luisaient faiblement, indescriptibles. « Tu as envie de faire quelque chose ? » Quelque chose qui le fera sortir de ce cercle vicieux dans lequel son esprit avait entamé une chorégraphie répétitive et entêtante.

June, c'est ce petit mélange qu'est la joie et la tristesse, on ne sait jamais ce que donnera le résultat à part toujours obtenir un sourire rempli de bonté et d'innocence qui lui reste un peu au fond d'elle. Mais son regard aperçoit dans les yeux de Draggan quelque chose qui le brûlait de l'intérieur, quelque chose qui le rongeait au fond. Alors elle s'approche, se colle à lui, flanc à flanc, peu importe si ça paraissait un peu pot de colle mais elle en avait besoin, de ressentir sa chaleur réconfortante et d'un côté, de le rassurer. Ses naseaux parcourant l'encolure de celui-ci avant de terminer son chemin près des oreilles du gris. Raconte moi les dernières nouvelles ? Me faire visiter cette terre ? Ce que tu veux. Peut-être que des choses s'étaient passé ou même avaient commencé à se faire ? June n'avait pas rencontré grand monde depuis son retour pour lui raconter les potins, ou ni même être tenu au courant.

Alors, le gris s'efforça de se concentrer sur quelque chose qui répondait aux propositions de la brune. Cela allait certainement l'aider à contenir ces rugissements fauves en lui, qui menaçaient de le mettre sur la pente glissante. C'était la première fois qu'il se sentait aussi fébrile quant à son self-control. Peut-être aussi parce que c'était la première fois qu'il tenait à ne pas se laisser faire, tout simplement. « Et si on faisait les deux en même temps ? » proposa-t-il avec l'esquisse d'un sourire. Il invita la brune d'un léger mouvement de tête, ses pas s'accordant sur ceux de sa camarade. Toujours son flanc collé contre le sien, il avançait calmement, comme si le voile de ses inquiétudes s'était changé en un épais rideaux. Mais voilà, il aurait suffit de le pousser pour retrouver ces tumultes. Alors le gris s'efforça de cloisonner cette partie de sa tête, pour l'instant. « Les clans n'ont pas bougé, bien qu'il semble y avoir du changement chez les Orosymal depuis la disparition de leur chef. Un certain Ghanan je crois. » Il marqua une courte pause, prenant le temps d'observer le paysage, de s'attarder sur des détails certes insignifiants, mais qui occuperont son esprit. Et surtout, sur la chaleur que dégageait la peau de June contre la sienne. « Mais ça fait plusieurs semaines qu'il y a quelque chose de bizarre ici, sur Luanera. Comme si on était.. observés ? » Il leva les yeux vers le ciel. « Ça peut paraître complètement con. Comme si ils étaient tous devenus parano en même temps. Des rumeurs circulent comme quoi on serait pas seuls. »

Même si ça ne se voyait pas tellement, June observe discrètement les différentes réactions de Draggan, s'en voulant toujours pour l'avoir rendu ainsi. Mais le quitter maintenant était mission impossible, son corps réclame la chaleur du sien comme une drogue mais il faudra le quitter dans quelques jours mais elle n'y pensa pas. J'ai entendu ça pendant le bal, il n'est toujours pas revenu alors... Lui répond-t-elle tout en pensant que ça allait peut-être être la compagne de Ghanan qui allait prendre les rênes. Mais d'un côté, elle est rassurée que son clan n'ait pas de soucis, son cœur s'apaise un peu, son père devait être lui aussi sur Luanera alors. Bien. Mais à l'annonce de la rumeur, son cœur rate presque un battement, pourquoi le malheur s'acharnait-il sur eux ? Il est vrai qu'à la découverte des nouvelles terres, l'idée que celles-ci soient habitées n'avait pas effleurée certains mais peu importe, ils s'y sont installés. Peut-être des habitants bien avant nous qui habitaient ici ? Mais si c'est ça, pourquoi ne se montrent-ils pas ? Cette idée lui semblait étrange, ou peut-être bien que les Gsiens étaient devenus un peu parano sur les bords depuis la migration.

Le gris écoutait les paroles de June, son cerveau analysant automatiquement chaque intonations, comme pour lire en elle. Comme depuis toujours, parce qu'ils se connaissaient tellement bien, au final. « Je n'ai aucune inquiétude quant au futur leader des Orosymal. Je pense qu'ils sont assez pacifiques, après tout aucun clan n'a jamais posé de problème jusque là. » fit-il simplement, quelques peu absorbé par ses pensées. Le situation que le peuple entier vivait sur Luanera ne semblait pas si simple que cela. Et le fait que ces inconnus - s'ils existaient -, pouvait l'inquiéter fortement, vis-à-vis de leurs intentions et de la menace qu'ils pourraient représenter pour autrui. Et surtout, sur les gens à qui il tenait. « Personne ne le sait. En tout cas, aucune rumeur ne parle de ça. Je pense qu'il y a deux hypothèses : soit ce sont des individus timides qui cherchent comment parer notre venue, car nous sommes assez nombreux pour bouleverser leur fonctionnement quotidien. Soit ils préparent une attaque. » Ses naseaux se pincèrent à cette pensée, et ses oreilles frémirent. Qu'ils attaquent, tiens ! Il fera front, même s'ils étaient bien plus forts. C'était son côté tête de lard qui disait ça. « Je vais redoubler mes entraînements, par sécurité. »

Ca va faire combien de temps que les Gsiens n'ont pas connu un moment de repos, de paix ? June et sa génération n'ont pas eu la chance de connaître ça, du moins pour certains, puisqu'ils sont nés pratiquement tous au moment de la migration. Elle aimerait bien connaître ce sentiment de repos, et de sentir les siens être protégés. L'histoire des clans tenait toujours le fil alors, quoique quelques équidés aient quitté les clans pour redevenir solitaire. Aucune tension ne régnait entre les deux, tant mieux alors. Je pense que je vais faire de même, je veux pas être faible. Lui avoue-t-elle avec une certaine pointe de détermination au fond de sa voix.

Il ne savait pas vraiment comment prendre sa résolution. Imaginer June souffrir, peu importe la raison, le rendait malade. Mais il ne pouvait pas se permettre de l'enfermer dans une cage dorée, sous prétexte de vouloir la préserver. Pour ne pas laisser son imagination courir trop vite, il pensa à quelque chose. Quelque chose qui fit poindre sur ses lèvres un léger sourire. « On peut faire ça ensemble si tu veux. »