mirror rorrim

Un endroit qu'il lui correspondait parfaitement. Clair-obscur. Contraste. Blanc et noir. Il erre comme un spectre parmi les ténèbres.

Ohana se promène, naseaux au vent. La jeune jument tout juste sortie de l'adolescence s'est un peu éloignée du troupeau des Wiha. Malgré les récentes disparitions, cela ne suffit pas a effrayer la jeune pie. Au petit trot, la jument apprécie le claquements des galets sous ses pieds.

Et qu'est-ce qu'elle en faisait du tintamarre. Cela attira l'attention du grand blanc qui l'examina d'abord silencieusement, prenant un fin plaisir à savourer les formes de l'étrangère. Cette fois-ci, il ne cherche pas à se camoufler. Il reste tel un prince sur son trône en plein milieu de la plage, visible de tous.

Mais qu'il soit visible ou pas. Cela importe peu pour Ohana qui se laisse guider par bien d'autres sens tel que l'odorat ou l'ouïe. Elle trottine d'un pas agile, vent de dos et ne perçoit pas les effluves du mâle qui lui fait face quelques mètres plus loin. D'humeur joueuse, elle se cabre à demi et fait un saut de mouton pour envoyer valdinguer une multitude de galets autour d'elle. La jument pousse de petits hennissements frivoles.

Mais tel un prédateur, il ne la quitte pas des yeux. Il l'observe, l'analyse en silence. Elle a l'air insouciante, pleine de vie, jeune. Le vent qui ronge le ciel bouscule par à coups l'être fantomatique. La distance qui les sépare ne sera bientôt plus qu'un piège. Elle ne pourra plus s'échapper. Il s'agrippera à elle comme une sangsue.

Ohana prend le galop sur les galets, un peu maladroite et étourdie, mais rien ne pourrait entâcher sa bonne humeur. Elle couvre la distance en quelques fractions de secondes puis le vent change subitement et lui apporte l'odeur d'un individu qu'elle ne connait pas. Son parfum boisé lui est complètement inconnu, il ne provient pas d'un des clans de Luanera. La jeune jument s'immobilise et sonde autour d'elle avec ses oreilles. Comme une biche aux abois qui décèle le danger. Elle reste sur ses gardes, prête à déguerpir.

Pourtant il appartient à Luanera. Plus qu'elle. Les temps sont durs ; la tribu et ces immigrés doivent discuter et trouver une entente plus ou moins cordiale. Il la voit ralentir et s'arrêter. Se méfierait-elle ? Il hennit à son encontre, l'invitant chaleureusement à le rejoindre.

Ohana reste immobile quelques instants, taraudée entre son instinct qui lui dicte la fuite, et sa naïveté naturelle qui lui dit de faire confiance à son prochain. Lorsque celui-ci hennit, elle pointe ses oreilles vers l'avant, dirigées directement vers l'individu qu'elle localise approximativement. Devant elle, à environ une vingtaine de mètres. Etait-ce un piège ? Ohana n'arrive pas à s'y résoudre. Quelqu'un qui voudrait lui tendre un piège aurait plutôt tendance à faire une embuscade, plutôt qu'a signaler sa position. De plus, sa voix à l'air vraiment chaleureuse. Confiance retrouvée, la jeune jument s'avance queue panachée et répondant à l'étranger d'un hennissement timide.

Ohana s'approche doucement, un fin sourire s'empare de ses lèvres lorsque l'étalon lui promet une " superbe vue ". A priori sa cécité ne semblait pas si visible que ça. La bicolore s'y habituait de mieux en mieux chaque jours. Elle vient se placer aux cotés de l'étalon, à une distance respectable. " Ohana.. " dit elle timidement pour se présenter en glissant un regard doux en direction du mâle.

"Quartz." Sa réponse était aussi simple que la présentation de la femelle. Il l'accueillit à ses côtés avec intérêt, laissant son bout du nez parcourir le front de cette parfaite inconnue. Elle sentait bon. "Vous voyez, je ne vous avais pas menti." Sa voix se perdit au fur et à mesure que son visage se décrochait d'elle. Il observa l'immensité devant eux, écoutant délicieusement le remous des vagues.

Ohana frissonne lorsque l'étalon vient effleurer son front du bout des naseaux. Elle n'a pas l'habitude qu'on la touche, mais finalement ce n'est pas si désagréable. Elle se laisse faire, laissant émaner son parfum de fleurs fraîches. Elle reste à ses cotés, le regard figé droit devant elle. " A vrai dire... je ne vois pas. Je suis aveugle. " dit elle d'une voix fluette. Au dessus d'elle, le soleil commençait à percer à travers les nuages, l'aurore était là. " Mais j'imagine très bien les vagues venant lécher les galets ronds sur le rivage. Et dans le ciel, sans doute un dégradé d'orange et de rose à travers les nuages cotonneux. "" Elle décrit tel qu'elle l'imagine. Peut-être était elle éloignée de la réalité ? Mais ça lui importait peu. Grace à sa cécité, elle était libre d'imaginer le monde comme elle le souhaitait. C'était une chance finalement.

Devant cette révélation, Quartz comprit pourquoi elle ne l'avait pas vu alors qu'il siégeait en plein milieu de la plage. Il trouvait cela plutôt dangereux de vivre sans pouvoir voir. Les prédateurs d'une part, mais aussi la tribu qui s'était montrée tellement sournoise et agressive. Il ne comprenait pas bien comment elle avait survécu depuis tout ce temps. "Vous avez un garde du corps, ou quelque chose comme ça ?" demanda-t-il, très sérieux. Il le chercha d'ailleurs du regard mais n'aperçut personne dans les environs. Il semblait qu'ils n'étaient qu'à deux. "Ce ne sont pas des galets." Il étouffa un petit rire moqueur. "Ce sont des quartz. Des pierres blanches et presque translucides."

Ohana laisse échapper un rire léger lorsque l'individu lui parle de "garde du corps". " Non je n'en ai pas. Je me suis toujours très bien débrouillée toute seule. " s'exclame t elle, souriante. Jusqu'à présent, sa cécité ne lui avait pas engendré beaucoup d'ennuis, mais peut-être était-ce car elle ne se rendait pas compte des dangers qui l'entouraient. " Des Quartz ? " répéta t elle, d'une voix chantante. " C'est pour ça que vous aimez venir ici ? " minaude t elle en lui glissant un regard espiègle. Elle se met à gratter le sol de l'antérieur, remuant les galets pour tenter de s'approprier leur forme, leur odeur, et ainsi les reconnaître plus tard.

"On ne sait jamais avec cette tribu qui hante les lieux, vous pourriez avoir besoin d'un garde du corps. Quelqu'un qui pourrait veiller sur vous." Il lui souffla de l'air chaud dans sa crinière. "Je pourrais le devenir si vous voulez." Ils étaient de parfaits inconnus mais Quartz n'avait pas froid aux yeux. Il eut un rire amusé qu'il éteint rapidement aussitôt qu'il prit la parole. "En grande partie, oui. J'ai l'impression que ces petits cailloux sont mes frères et sœurs." Il l'observa un instant, curieux de voir comment elle réagirait.