The other side

Séléné s'extirpe avec difficulté d'un buisson à l'épais feuillage. Les branches lui griffent le corps et lui emmêlent la crinière. Elle trouve ça douloureux sur l'instant mais décide de ne pas y prêter attention. La douleur physique est éphémère, autant l'oublier directement sur l'instant. Son regard analyse rapidement les environs et puisqu'il n'y a personne dans le coin, elle décide de quitter pour de bon le couvert des arbres. Elle s'aventure un peu plus sur l'île, curieuse et intriguée. Ces terres n'ont absolument rien à voir avec celles de Luanera. Elle se demande déjà quel endroit elle va découvrir en prenant la direction de l'Est. Une source d'eau se dessine sur sa gauche et attire son attention. Elle s'en approche sans aucune once de méfiance ; Séléné adore l'eau. Elle s'arrête tout près. Des étranges plantes poussent sur la rive, mais ce n'est pas ces dernières qui attirent réellement la jeune jument. Son regard dépareillé s'est posé sur autre chose d'autrement plus intéressant ; la dépouille d'un rapace. Loin d'être dégoûtée par le corps abîmé du pauvre animal, Séléné s'en approche et entreprend de l'inspecter sous toutes les coutures. Faut croire que son goût pour les choses morbides ne l'a toujours pas quittée.

Ses naseaux glissent sur le plumage brun de l'oiseau. Ses plumes sont douces et Séléné apprécie tout particulièrement leur caresse sur le bout de son nez. L'une de ses ailes semble d'ailleurs cassée. Est-il mort de faim, à cause de cette terrible blessure ? Non, certainement pas, vu l'angle curieux qu'adopte sa nuque. Ces questions sans réponses donne le champ libre à son imagination. Elle ne cherche même pas à la freiner mais d'autres pensées plus réalistes finissent par la faire revenir à elle. Délicatement, elle attrape l'une des plumes entre ses dents et tire d'un coup sec pour la décrocher. Elle vient aussitôt et puisqu'elle trouve ça drôle, elle répète ce geste plusieurs fois. Une zone entière apparaît parfaitement déplumée alors Séléné l'effleure du bout de son nez. Elle est d'ailleurs tellement concentrée sur sa découverte qu'elle n'entends ni ne sent Horus qui s'approche. Elle sursaute légèrement lorsqu'il se glisse contre elle. Sans même lui jeter un coup d'œil, elle sait que c'est lui. Elle est contente de croiser sa route une nouvelle fois. Il s'en était passé du temps avant que leurs routes ne se recroisent enfin. La noiraude redresse finalement son encolure pour poser sa tête contre l'encolure du bai dans un geste tendre.
- Un oiseau, réplique-t-elle simplement.
Un oiseau mort. Un oiseau mort qui porte l'odeur d'Horus. Si elle y avait fait davantage attention, elle l'aurait remarqué.

Séléné se contente d'afficher un léger sourire lorsqu'elle sent une pression un peu plus forte contre son flanc. Est-ce qu'il fait ça pour affirmer sa présence à ses côtés ? C'est un peu ridicule, elle le sait bien qu'il est là, contre elle.
- Non, il était déjà mort quand je suis arrivée, répond-elle en glissant enfin son regard vers lui.
L'idée de lui mentir l'a effleurée. Elle aurait bien aimé lui faire croire qu'elle avait tué l'animal mais à quoi bon ? Qu'est-ce que ce mensonge pourrait bien lui apporter ? Pas grand chose d'intéressant à son avis alors autant dire la vérité.
Elle ne relève pas sa première confidence. Elle n'a jamais réellement prêté attention à ce critère qu'on appelle "beauté". Peut-être parce qu'elle est capable de voir la beauté un peu partout. On dit bien que la beauté est dans les yeux de celui qui regarde. Malgré tout, elle respecte son avis. Il a le droit de la trouver jolie, même si c'est le premier à le lui dire. C'est tout de même flatteur. C'est pour cette raison qu'elle le remercie avec politesse. Son second aveu l'intrigue. Elle ne comprend pas trop où il veut en venir. La beauté n'est pas une mauvaise chose pour elle.
- Pourquoi ? Ose-t-elle finalement lui demander, sa curiosité l'emportant sur le reste.
Quant à cet étrange regard qu'il pose sur son corps de jeune adulte, elle n'y prête même pas attention. Elle ne trouve pas ça bizarre. Juste différent.

Son regard glisse à son tour sur le cadavre. Si Horus n'était pas arrivé si vite, elle aurait certainement continué à le deplumer. Malheureusement pour elle, cette option ne semblait plus tellement d'actualité. Son regard revient alors sur Horus qui vient de se placer face à elle comme s'il désirait revenir au centre de son attention.
- Me vouloir pour eux ? S'étonne-t-elle avec innocence.
Elle ignore de quoi il parle, on ne lui a jamais dit qu'on voulait d'elle. Et elle réfléchit toujours comme une enfant, si bien que certaines choses qui peuvent paraître évidentes pour les autres ne le sont pas forcément pour elle.

Au début, Séléné se demande si elle a bien entendu. Pour lui seul ? Est-ce seulement possible ? Elle ne l'a pas non plus quitté du regard et cette fois ci, elle a tâché de faire attention aux petits détails. Mais elle n'a rien vu de particulier, pas même dans son regard si étrange. Que doit-elle répondre à ça ? Quelle réponse aimerait-il entendre ? Tellement de questions défilent dans son crâne, elle ne peut plus les retenir bien longtemps.
- Pourquoi tu me veux pour toi seul ? Et pourquoi tu penses que les autres me veulent aussi ? Ils me veulent pourquoi ? Et ça veut dire quoi "être à quelqu'un" ? Est-ce que c'est comme être à un clan ?
Sur l'instant, elle se sent un peu bête de lui poser autant de questions mais elle ne supporte pas d'être dans le flou et de ne pas comprendre alors que toutes les personnes qu'elle croise semblent déjà tout connaître de la vie.

Séléné se sent soulagée lorsqu'elle remarque qu'il ne semble pas agacé par son manque de savoir et qu'il prend même la peine de lui donner des réponses. Elle ne le quitte pas des yeux et l'écoute avec attention. Lui, la couvre toujours de ce regard tendre et protecteur qu'il a toujours eu avec elle. Elle trouve ça rassurant.
Sa peau s'embrase là où il a posé ses lèvres. C'est la première fois qu'il s'autorise un tel contact avec elle. Ce geste est pourtant éphémère, il ne dure qu'une poignée de secondes. Et surtout, il contraste énormément avec la sordidité de ses paroles qui suivent.
- Tu as déjà rencontré des personnes comme ça ? Demande-t-elle.
Elle ne sait pas d'où lui vient ces idées. De son côté, elle n'a jamais croisé de tels personnages. Du moins, pas à sa connaissance, et si toutefois elle en avait déjà croisés, c'est qu'elle ne les avait pas intéressés.
- Si tu me protège, est-ce qu'ils te tueront ? S'inquiète-t-elle.
Il avait bien dit qu'ils tueront tous ceux qui s'approcheront de trop près après tout. Et si c'est le cas, Séléné n'est pas certaine de vouloir de sa protection. Parce qu'une part d'elle n'a pas envie de le voir mourir, surtout si c'est de sa faute.

Cette infime once d'inquiétude qui s'est éveillée en elle refuse de partir, même lorsqu'il lui répond qu'ils ne le tueront pas. Elle se représente déjà la robe baie d'Horus souillée par le sang d'autres individus. Elle ne voit plus que ça. Sa belle face rougie par l'hémoglobine. S'il est capable de tuer x ou y personne, ne serait-il pas capable de la tuer elle ? En plus de ça, elle repense aux paroles de la jument-lune. Et Artémis et Hécate profitent déjà de son trouble pour s'éveiller et se faire une place dans un coin de son crâne. Séléné les laisse faire. De toutes manières, plus elle grandit et moins elle n'a de contrôle sur ces deux petites pestes. Elle préfère se concentrer sur Horus et son sourire rassurant pour essayer d'amoindrir le brouhaha qui règne dans ses pensées. D'ailleurs, cette fois-ci, elle ne sent qu'à peine la brûlure qui glisse sur sa peau, au nouvel endroit que colonisent les lèvres d'Horus.

Un long frisson émane directement de la zone qu'il vient de toucher avec ses naseaux. Dans le fond, elle ne trouve pas cette sensation réellement désagréable mais elle ne l'a comprend pas non plus. Naturellement, elle arque légèrement son encolure.
- Mais tu n'es pas toujours là... Réplique-t-elle d'une petite voix.
Elle ne sait même pas pourquoi elle a dit ça. Elle n'a pas peur d'être seule. Elle n'a même pas peur qu'on lui fasse du mal. Personne ne lui veut du mal. Toutes les personnes qu'elle connait l'apprécie. Et puis Snow veille sur elle, même s'il est moins présent ces derniers temps.
La jeunette est un peu perdue. Il semble totalement absorbé par sa tâche et si Séléné apprécie énormément ce genre de contact, elle ne sait pas trop quoi en penser. Surtout qu'elle n'avait pas le souvenir qu'Horus soit aussi tactile lorsqu'ils étaient plus jeunes - puisque c'était même plutôt elle qui lui quémandait des papouilles. Elle se demande aussi si c'est un peu du même genre que le bisou de Gryffon mais elle n'ose pas lui poser la question.