living on a prayer

La lionne s'est levée dans un jour sans soleil. Une nuit éternelle. Il lui semble être plongée dans un coma léthargique. Ses membres répondent à peine à ses mouvements, son cerveau s'inflige une lenteur exaspérante. Elle ignore où elle est et comment elle est arrivée ici. Autour d'elle, les murs semblent encore chauds, les vitres brisées dessinent des ombres écourtées et écorchées sur le sol embarrassé de l'église. Tout lui semble être fantôme, ici. Elle compris.

Et elle erre. Comme un cristal échoué, une pierre brute, quelque chose d'inconvenant. De pas à sa place. Elle n'a jamais été à sa place, sinon au Nord. Elle ferme les yeux. Il lui semble sentir un vent glacial mais sûrement l'imagine-t-elle. Quand elle rouvre les yeux, il se tient contre un mur, droit devant elle. La lionne se crispe, immédiatement. Est-ce encore son esprit qui lui joue des tours ? Quand elle a attaqué Noomi, il était là, aussi. Est-ce qu'elle va encore avoir un excès de rage ? Un déferlement noir et sombre ? Une perte de contrôle ? Est-ce que c'est ce qu'il vient lui annoncer ? Hésitante, elle s'approche pourtant, comme happée par une force bien plus forte que sa propre raison. Red ?

Son souffle est réel, son contact aussi. Dès l'instant où il la touche, elle se colle à lui. Il a la même odeur que dans son souvenir, le même parfum, les mêmes courbes. Sûrement est-ce ce genre de détail qui aurait dû l'alerter, mais au contraire, cela la conforte dans son illusion chimérique. Elle rigole un peu, le bonheur qui l'a inondé la rendant un peu enfantine, comme si elle était projetée des années en arrière. Quand elle n'était encore qu'une enfant et qu'il était toute sa vie. Son pilier, toutes ses fondations. Je me fiche de cette oreille. C'est toi, qui m'as manqué. Elle se décolle de lui pour pouvoir plonger dans ses grands yeux noirs, comme les siens. Où étais-tu pendant tout ce temps ? Comment m'as-tu retrouvée ?

Ses paroles l'emplissent d'un sentiment de sérénité absolue. À cet instant-là, toutes ses craintes s'effacent. Il est là, il ne pourra jamais plus lui arriver de mal. Jamais plus. Elle respire son odeur comme une drogue. Mais ses mots fanent son sourire inconscient et elle le transperce d'un regard sombre. Sombre et hanté. Hanté par les absences, tous ses frères ont déserté, disparus, envolés. L'absence de ses parents, aussi. L'absence tout court. L'absence de l'absence. C'est ma cinquième grossesse, Red. J'ai toujours besoin de toi. Elle s'avance, frôle son poitrail du sien. Sa voix est caverneuse, ancrée au plus profond d'elle et de son âme. Toujours.

Mais elle ne le sera jamais. La paix ne s'offre jamais aux monstres. Choquée par son rejet - elle prend son écart comme tel - elle ne bouge plus, le fixant durement. Douloureusement, aussi, parce que ses mots la touchent. Là, où lui seul sait ce qu'on trouve. Là, où une énorme muraille s'est érigée au fil des années et d'où il a la clé depuis toujours. Xander est mon fils, siffle-t-elle, venimeuse. Il est normal que je l'aime. Non, pas vraiment. Pas comme ça. Elle le sait, et Red semble aussi le savoir. Et cette tâche dans le tableau l'effraie. Tu as aimé, toi aussi. Elle ravance d'un pas, comme si son argument lui donnait la force d'une attaque. Car oui, elle l'attaque. Par pure défense, pour se protéger. Et j'étais toujours là, pourtant. Toi, tu es parti. Toi, tu m'as laissée. Je suis tombée au plus bas et tu n'étais pas là ! Elle a crié, c'est plus fort qu'elle. Ses sentiments et ses émotions semblent tellement contenus habituellement qu'ils se décuplent, se déforment. Les démons lui font confondre bien et mal. Amour et haine. Tu avais promis que tu reviendrais... Ce n'est plus qu'un murmure, elle fixe le vide. Elle vient de comprendre. Et tu ne l'as jamais fait. Ses yeux sont d'un noir absolu. Tu n'es pas là, Red. Tu ne pourras plus revenir parce que tu n'es jamais revenu. Elle semble l'avoir compris à l'instant. Comprendre les chimères de son cerveau déjanté, foutu, hanté. Hanté par les remords, les regrets, les absences.

j'avoue elle est trop belle

La colère la fait presque trembler. Avec lui, elle n'a jamais eu peur de se montrer sous son vrai jour, de laisser ses émotions destructrices prendre contrôle d'elle. Je n'ai jamais aimé Ghanan ! Pas plus que l'amour d'une soeur à son frère, siffle-t-elle, blessée qu'il l'attaque là-dessus. Sur son union malsaine avec son demi-frère. Il la serre contre lui, elle a l'impression d'étouffer. Elle ne peut plus vivre de chimères. Elle ne peut plus vivre dans son ombre. Alors, elle se met à le frapper. Dans le poitrail, sans vraiment vouloir lui faire mal, plus pour se défouler, pour extérioriser sa douleur de ne l'avoir jamais revu. Tu m'as laissée toute seule... ! répète-elle plusieurs fois en boucle, le regard aveuglé de larmes qu'elle ne laissera pourtant pas couler.
Elle ne quitte pas son étreinte pourtant.
Comme si elle allait mourir s'il la lâchait.