are you death or paradise ? _A_

Les mauvais jours semblent s'enchaîner ces derniers temps. Lorsqu'elle est rentrée au camp, tard dans la matinée, Absinthe ne s'imaginait pas une seule seconde ce qui l'attendait. Apprendre la mort de Winterfell - ce gros relou de Winterfell - lui a fait beaucoup de mal. Elle ne s'était pas imaginé une seule seconde qu'elle aurait autant de peine en apprenant sa mort. Lui qu'elle avait tant aimé détester à travers les années. Ce gros relou de Winterfell...
Le clan tout entier s'est regroupé pour les derniers hommages. Sauf la petite palomino. Elle a préféré fuir la cérémonie. Fuir le plus loin que possible de cette odeur de mort insoutenable qui lui faisait réaliser à quel point la vie ne tient qu'à un fil. A quel point elle est précieuse. Et à quel point il est dommage de la gâcher pour des futilités.
Pour une fois, elle ne s'est pas réfugiée à la clairière d'Iris. Elle a prit le chemin de l'océan, sans vraiment en être consciente. Son galop s'est progressivement accéléré, jusqu'à ce que ses poumons s'enflamment. Jusqu'à ce qu'elle soit forcée de s'arrêter. Jusqu'à ce que la crise soit toute proche. La brise qu'elle rencontre lui fait du bien. Elle apaise ses voies respiratoires qui sont en feu et la reconnecte à la réalité. D'un pas lent et fatigué, elle contourne une dune pour rejoindre l'océan et se fige lorsqu'elle aperçoit Aulia face à la mer. La brise maritime lui apporte son odeur, l'enivre presque, menace de lui faire tourner la tête. Son cœur bat joyeusement dans son poitrail, contrastant de plus belle avec les émotions qu'elle avait ressenti ce matin même. Pourtant elle ne s'approche pas. Elle préfère encore l'admirer de loin plutôt que de tout gâcher avec des paroles qui ne serviront à rien.

Son cœur s'apaise lentement. Au bout de quelques minutes, il retrouve un rythme presque normal. Son souffle aussi revient à la normale même si ses poumons restent affreusement douloureux. Lorsque le vent se lève de nouveau elle prend une grande inspiration en fermant les yeux. Elle les rouvre juste après, pour les reposer sur la silhouette d'Aulia. Sa mâchoire se contracte jusqu'à ce qu'elle ait mal aux tempes. Pourquoi sa seule envie c'est de la rejoindre et de l'embrasser ? Pourquoi elle ne quitte jamais ses pensées ? Même lorsque le chaos le plus total y règne...
Sa raison se débat avec ses envies. Ne serait-ce pas dangereux que d'écouter un organe dysfonctionnel ? Pourquoi accorder de l'importance à un organe qui l'a tant trompée par le passé ? La réponse s'imprime sans trop de mal dans ses pensées ; la vie est bien trop courte pour la gâcher avec des futilités.
Absinthe rejoint Aulia en quelques foulées de trot. Elle s'arrête seulement lorsqu'elle arrive à sa hauteur, face à l'immensité bleue. Le regard rivé sur les vagues elle fait le vide dans ses pensées avant de glisser enfin son regard vers la rouquine.
- Aulia...

( Ahah Percy Jackson, c'est une bonne référence )

En parlant de chute... Les membres fragilisés par sa course effrénée, Absinthe ne résiste pas à l'assaut d'Aulia. Elle tombe à la renverse et l'entraîne avec elle dans sa chute. Les premières minutes elle peine à reprendre son souffle. C'était tellement inattendu... Et c'est une situation un peu inconfortable, il faut bien l'avouer. Elle a l'impression d'être Icare alors qu'Aulia est le soleil. C'est clairement un jeu dangereux, cette proximité.
- Mhh... Moi aussi je suis vraiment heureuse de revoir tes beaux yeux, souffle-t-elle avec un léger sourire.
Même si, pour le coup, elle a encore l'impression d'être le lot de consolation. Une petite peluche qu'elle aime étreindre lorsqu'elle se sent mal.

Les vaguelettes qui s'échouent sur la plage commencent à lui lécher le bas du dos, ce qui la fait frissonner. Un léger soupir d'aise lui échappe d'ailleurs lorsque la rouanne se laisse tomber à ses côtés. Son regard se pose sur le ciel bleu parsemé de petites boules cotonneuses. Ça faisait bien longtemps qu'elle n'avait pas osé s'accorder plus de cinq minutes de répit.
- Je sais, répond-elle d'une voix absente.
Ses pensées dérivent au fil des souvenirs qui remontent dans son esprit. Elle se laisse happer par certaines images, certaines paroles prononcées par diverses personnes. Et elle finit par revenir à elle, lorsqu'une nouvelle vague lui frappe la croupe. Son regard glisse lentement sur Aulia et de nouveau, un sourire prend place sur ses lèvres.
- Je vais bien, souffle-t-elle. Et toi ? Tu es de nouveau libre, n'est-ce pas ?
Elle s'en est convaincue. De toutes façons, elle n'a pas envie d'attirer la lumière sur elle et ses problèmes. Comment pourrait-elle lui raconter tout ce qu'elle avait vécu ces dernières semaines ? C'est à peine croyable toutes ces merdes qui se sont accumulées en si peu de temps. Le viol qu'a subit sa mère, l'arrivée du demi-frère de Njörd et son projet hallucinant concernant la destruction de sa famille, son aventure avec Fléau, sa gestation éphémère qui s'est soldée par une fausse couche, la découverte de la mort de son père et de l'existence de son demi-frère Narval et pour finir la découverte du meurtre de Winterfell... Non sérieux, comment pourrait-elle lui dire tout ça alors que de base, c'était sensé être elle qui n'allait pas bien ? L'amertume lui brûle la gorge. Elle se sent dépassée par les événements.

Après l'avoir observée un petit moment, Absinthe se remet à contempler le ciel. Elle ne se laisse pourtant pas envahir par les souvenirs cette fois ci. Et même si elle ne la regarde plus, elle reste attentive à Aulia. Sa réponse la fait sourire.
- Je veux bien te croire, répond finalement la palomino.
Absinthe ne peut pas vraiment la comprendre ; elle ne sait pas ce que ça fait d'être prisonnière. Tout ce qu'elle peut faire, c'est se montrer compatissante envers elle.
- J'ai l'impression que le monde s'est mit en marche rapide, finit-elle par avouer avec amertume.

C'est peut-être bien le cas. Peut-être que Aulia a du retard sur tout. On dirait qu'elles n'ont pas évolué dans le même espace temps, c'est assez déstabilisant. Absinthe ne sait même pas ce qu'elle peut lui confier et ce qu'elle ferait mieux de taire. Elle finit par basculer pour être sur le flanc, tournée vers elle. Et elle se redresse légèrement pour ne plus être étendue de tout son long.
- Beaucoup trop de choses. J'aimerai bien te dire que des futilités mais ce n'est pas vraiment le cas, répond-elle avec lassitude.
Elle ne peut pas lui cacher tout ça, c'est impossible. Elle choisit alors d'y aller crescendo. Ou presque.
- Mon père est mort. Je l'ai rencontré à l'arbre aux âmes et il m'a apprit que j'avais un petit frère qui se baladait dans la nature. J'ai donc fait la connaissance de Narval qui est membre de la tribu puisqu'il a été adopté par cette saloperie d'araignée, soupire-t-elle en levant les yeux au ciel.
Et encore, ce qu'elle lui raconte là, ce n'est que la partie immergée de l'iceberg.

Elle aurait probablement dû pleurer toutes les larmes de son corps en parlant de la mort de son père mais elle ne pouvait pas. Elle ne pouvait plus. Trop de larmes lui avait déjà échappé. Elle n'était plus capable de s'émouvoir pour la perte d'un être cher parce que c'était quelque chose de bien trop récurrent dans sa vie. Sa vie toute entière était faite d'arrivées et de départs. Surtout de départ d'ailleurs. Alors elle avait finit par s'y faire et désormais elle ne s'attachait plus aux nouvelles personnes qu'elle rencontrait. Puisque, de toutes manières, elles étaient vouées à disparaître un jour. A l'abandonner, comme les personnes les ayant précédées.
- Je suis désolée moi aussi, souffle-t-elle avec neutralité.
Elle ne se sent même pas triste. Elle ne connait pas bien la famille d'Aulia alors cette nouvelle ne la touche pas. Son cœur n'est plus en mesure d'assurer un quelconque sentiment de compassion. Par contre, son cœur s'éveille à l'annonce d'un autre nom. Faucon. Winterfell avait donc vu juste. Et ça ne l'avait pourtant pas empêchée de retomber dans ses filets, même en sachant ce qu'il avait potentiellement fait à Aulia. Et si son père avait raison ? Et si elle commençait à se détacher de la rouanne ? Et si Faucon était son pansement, en quelques sortes ? Absinthe dissimule sans trop de peine sa surprise.
- Oui. Par Nyveèn en personne, affirme-t-elle.