don't hurt

Cette nuit, Hirondelle l'a passée loin de la pâture et du corral. Cette nuit, sa vie a basculée. Dans les abysses, peut-être. Toute la nuit, un indien a veillé sur elle et sur ses blessures. Et aujourd'hui, le soleil à peine levé, il la raccompagne à la pâture. Le pas d'Hirondelle est lent et son allure résignée. Elle boite d'un postérieur. La douleur lui semble insurmontable maintenant qu'elle s'est éveillée. Son mental est autant brisé que son corps si bien qu'elle entre dans la pâture sans opposer la moindre résistance. Elle pleure encore la mort de sa mère. Si bien qu'à côté, tout le reste lui semble insignifiant. Y compris cet étalon qui semble s'agacer tout seul, quelques mètres plus loin.

La porte se referme derrière elle sans qu'elle ne réagisse. Elle n'a plus envie de rien. Pas même de s'enfuir. Elle se sent épuisée, à bout de force. C'est comme si le soleil ne s'était pas levé aujourd'hui. Comme si la nuit l'avait engloutie pour toujours.
Son regard tombe finalement sur l'étalon qui s'approche lentement. Ses oreilles se redressent pour pointer dans sa direction.
- Qu'est-ce que tu veux ? Demande-t-elle d'une voix éraillée.
Il veut forcément quelque chose... Non ?

Elle n'aime pas être dans cet état de faiblesse. Ca ne lui ressemble pas. Vraiment pas. Elle qui a toujours fait preuve de caractère - parfois même un peu trop - cette fois ci elle semble calme. Trop calme.
- Non, répond-elle simplement.
Ses mâchoires se serrent, jusqu'à ce qu'elle ait mal dans les tempes. Les indiens ne lui ont fait aucun mal. Ses blessures, elle ne les doit qu'à elle même.
- Ils m'ont soignée.
Elle est la première surprise d'ailleurs. Elle qui pensait qu'ils étaient méchants. Finalement, ça ne semble pas être le cas.

Il semble perplexe mais elle n'en a clairement rien à foutre. Il lui pose une question ; elle répond. Elle ne peut pas faire mieux. Lentement, son regard quitte l'horizon pour revenir sur le mâle. Il faut absolument qu'elle se reprenne avant de paraitre vraiment faible.
- Et moi c'est Hirondelle.
Elle jette un rapide coup d'œil à leur enclos et réalise qu'il n'y a qu'eux deux ici, contrairement à l'ancienne pâture dans laquelle elle se trouvait avec plusieurs autres chevaux et ce jusque la nuit dernière. Elle remarque que les barrières sont plus hautes et semblent plus solides que celles des autres enclos. Hirondelle comprend vite... Les enfoirés !
- J'imagine que si tu es ici c'est parce que tu as déjà essayé de te sauver lorsque tu étais dans l'autre pâture... N'est-ce pas ? Souffle-t-elle, dans l'idée de valider - ou non - sa théorie. Et dans ce cas là, elle est franchement dans la merde pour essayer de s'enfuir d'ici.

Le regard d'Hirondelle glisse une énième fois le long des barrières de l'enclos et son cœur se comprime. Dehors, il y a son père et sa petite sœur. Et ici, il n'y a plus que Foudre et quelques traces de sang. Sur elle, mais surtout dans le sable blanc du corral. Le souvenir des derniers instants de Boréale nourrit sa colère. Elle n'est pas loin de perdre le contrôle, elle le sait. Elle s'échappera. C'est certain. Quitte à se briser un peu plus le corps. De toutes manières, il renferme une âme déjà brisée.
Maïkan doit me penser capable de le faire. Et il a raison.
Son regard, jusqu'alors éteint, se rallume brusquement. Hirondelle est née d'une étincelle. Un jour, elle sera le plus grand brasier que le monde connaitra.
- Je n'en sais rien. Mais je vais me battre pour ma liberté.
Quitte à y laisser quelques plumes.

Le cerveau d'Hirondelle tourne à plein régime. Elle songe à toutes les possibilités qui s'offrent à elle. Elle essaie d'écarter les options trop dangereuses ou potentiellement infructueuses. Elle finira bien par trouver. Elle est intelligente. Et rusée.
- Je ne sais pas encore, souffle-t-elle.
Et même si elle savait, elle ne partagerait pas son idée avec lui. Sauf si, évidemment, elle venait à avoir besoin de lui. Qui sait... Peut-être que ses muscles pourraient être utiles.
- Cet enclos est plus sécurisé que l'autre. Essayer de s'échapper d'ici c'est quasi impossible.
C'est cadeau. Elle lui offre au moins une info intéressante. Histoire de se le mettre un peu dans la poche en lui donnant envie de lui faire confiance.

Son regard a cessé de parcourir l'horizon. A quoi bon de toutes façons ? Elle sait pertinemment qu'il n'existe aucune brèche dans cet enclos. Les humains sont des animaux intelligents. Finalement, elle plante son regard mi feu mi glace sur lui.
- Ce n'est pas en essayant de détruire la barrière que je me suis blessée, finit-elle par lâcher abruptement.
Elle n'aurait pas été si naïve. Depuis le début elle sait qu'elle n'est pas assez puissante pour faire céder le bois. Et Hirondelle est assez rationnelle pour ne pas se lancer dans une bataille perdue d'avance qui ne lui apporterait rien de bon.
- Je l'ai traversée.
Hirondelle n'entre pas dans les détails. Elle n'en a pas envie, tout est beaucoup trop frais dans son esprit.
- Tu veux dire qu'il faudrait accepter d'être leur esclave ? S'indigne-t-elle en couchant ses oreilles contre sa nuque.
Elle n'aime pas cette idée. Mais a-t-elle le choix ?
- Je pense qu'il faudrait les bousculer lorsqu'ils ouvrent la porte de l'enclos. Les prendre par surprise, souffle-t-elle à son tour.
Comme ça, ils évitent d'être harnachés. Parce qu'autrement... Comment se débarrasser de tout ça ?