La blessure cicatrisée, on oublie la douleur.

Deamon fit trois pas en avant, s'immobilisant près d'un topiaire en forme de coeur, particulièrement bien réussi. Cet endroit ne lui plaisait guère, mais il ne le détestait pas non plus. Ça lui importait peu. Il reprit la route, observant bien le paysage, mémorisant l'endroit, regardant tous les détails, aussi insignifiants ou minimes soient-ils.

Humant l'air, la brunette se délecta de tout les parfums qu'elle pouvait sentir : les jeunes pousses allaient bientôt sortirent de terre, mettant fin à l'hiver, cette saison froide qu'elle détestait tant. Même sans voir le ciel grisâtre, elle devinait qu'il allait pleuvoir : l'atmosphère était plutôt chaude et on avait l'impression que la terre entière retenait son souffle, attendant patiemment la pluie et les orages qui allaient avec.
Une odeur vint soudainement la déstabiliser : celle d'un étalon. Orientant ses yeux vers l'étalon - elle pouvait deviner dans quelle direction il était - elle le fixa, sans même le voir.

Je tourne la tête vers une petite jument, qui me fixait. Un regard dérangeant. Étrangement vide. Aucuns sentiments ne passaient à travers, aucunes lueurs. Cependant, je ne me laisse pas déstabiliser. Je ne voulais pas perdre mon étiquette. Elle m'allait tellement bien. Je souffle longuement, restant à l'arrêt pendant quelques minutes qui paraissaient une éternité, et je commence à faire un pas vers elle, attendant une réaction.

Ses oreilles pointées en avant - non pas en signe d'intérêt, juste pour mieux capter les sons -, elle eut un mouvement de recul lorsqu'elle entendit l'étalon faire un pas en sa direction, tendue à craquer, réagissant au moindre bruit suspect.
« Quand on est poli, on dit bonjour »
Souffla t-elle, s'attendant à un probable 'et quand on ne l'est pas ?' auquel elle soupirerait. Déjà blasée de cette rencontre pour le moins inattendue puisqu'elle n'était venue ici que pour se reposer, Myosotis secoua sa tête rapidement, sa crinière lui retombant négligemment le long des épaules. On dit que c'est quand on arrête de se regarder que l'on s'ennui, alors les aveugles seraient-ils condamnés à s'ennuyer toute leur vie ?

« Ce serait tellement banal. Et ça apporterait quoi, de dire bonjour ? »
J'haussais les épaules, puis les fit retomber avant de détendre mes muscles. Je dilatais mes naseaux, clairement intéressé par cette inconnue. Elle semblait tellement différente et ordinaire à la fois. Chose totalement impossible : de quelle catégorie elle faisait partie, alors ? Je fis quelques pas, très discrets, sur le côté, et reporta mon attention sur un autre topiaire en forme de rose.
« J'aime pas cet endroit, mais la déco est superbe. Tu trouves pas ? »
Je soufflais ces mots avec mon éternel ton ironique. Je ne savais pas dire autrement les mots.

« Ca montrerait que tu es un être civilisé. »
Cracha t-elle, nerveuse. Frissonnant lorsqu'une brise vint lui caresser tout son corps, Myosotis reporta son attention sur le bai. Il ne pouvait pas avoir deviner, n'est-ce pas ? Il disait ça au hasard, oui, c'était sûrement ça .. Enfin, elle l'espérait.
« Elle doit l'être encore plus au printemps »
Elle ne lui mentait même pas, puisqu'elle le pensait vraiment : elle sentait les fleurs qui avaient fanées pendant l'hiver, les arbres qui s'étaient, pour la plupart, dépourvus de leurs feuilles.
Toujours stoïque, elle dilata une nouvelle fois ses naseaux pour humer l'air - ce qu'elle faisait sans cesse, et c'était là que l'on pouvait deviner qu'elle ne voyait pas, encore fallait-il le remarquer.

« Pauvre de toi, t'es en face d'un étalon loin de l'être »
J'esquissais un sourire amusé, avant de reprendre le pas, avec cette discrétion extrême, cherchant à déceler ce qui différencier la bai. Je pointe mes oreilles vers elle, lui montrant que je m'intéresse à elle. Je m'arrête à nouveau, retenant mon souffle, parfaitement immobile, non loin d'elle.

« En effet, pauvre de moi »
Ironisa t-elle : elle aurait put lever les yeux au ciel mais étant aveugle, c'était plutôt difficile. Malgré les déplacements plutôt discrets du bai, elle réussissait tout de même à l'entendre, bien que très peu, ayant aiguisé ses sens depuis deux années déjà. Elle sentait son intérêt et, vexée, tapa son antérieur contre le sol sec, piétinant quelques brins d'herbe qui se trouvaient là.
« Je ne suis pas une bête de foire ! »

« Tu devrais être flattée que quelqu'un s'intéresse à toi »
Je jetais l'éponge. Je savais vraiment pas ce qui la faisait sortir du lot. Alors je pris un air ennuyé, plaquant mes oreilles sur ma nuque, les enfouissant dans ma crinière noire comme la nuit.
« Tu es tellement banale »
Je soupirais et m'éloigna d'elle, fouettant mes flancs de ma queue tandis que mon regard se posait sur de nombreux parterres de fleurs.

« Parce que me relooker est censé être flatteur ? Tu cherches quelque chose, non ? »
Demanda t-elle, loin d'être débile. Elle était certaine qu'il ne tarderait pas à découvrir sa cécité. Se voulant indifférente à cet étalon, elle ne l'était pourtant pas : elle fut même légèrement blessée qu'il lui dise qu'elle était banale.
« Tu juges souvent sans connaître les gens ? »
Elle ne chercha pas à le rattraper : elle n'en était pas dépendante ! Ronflant des naseaux, son antérieur piétina à nouveau le sol, comme à chaque fois qu'elle était agacée.

« Mes premières impressions ont toujours été bonnes »
Je mentais bien évidemment, je cherchais juste à ce qu'elle dise ce qu'elle avait. Je baisse la tête, mettant mes naseaux dans une fleur, s'imprégnant de son odeur. Peut-être ne pouvait-elle pas sentir ?
« C'est quel genre de fleur, ça ? »
A vrai dire, je ne savais pas non plus. Mais elle pouvait le savoir, elle. Enfin, si elle pouvait sentir l'odeur dégagée par ces dizaines de fleurs.

« C'est une orchidée »
Conclue t-elle après avoir humé l'air, ainsi que la fleur. Reculant, elle fixa l'étalon - enfin, lui fit face. - Il cherchait à la piéger, elle en était presque certaine. Son coeur fit un bond dans sa poitrine. Si il lui demandait ne serrait-ce que la couleur de cette fleur, elle était fichue. Fichuuue.
Lui tournant finalement le dos, elle s'éloigna de quelques pas, espérant mettre fin à la discussion.

« Joli. J'aime particulièrement la couleur. »
Bon, elle n'était pas sourde, et elle pouvait sentir les diverses odeurs qui les entouraient. Elle était peut-être malvoyante, ou aveugle. Ou peut-être elle était tout à fait banal. Elle ne semblait pas être aveugle, elle le fixait de temps en temps, il ne restait que malvoyante. Pourtant... Deamon mit ces réflexions de côtés, et entreprit de suivre la petite jument.
« Étrange. »

Elle sentait qu'il la suivait. Myosotis fit encore quelques pas, jusqu'à s'arrêter, se retournant vers le bai.
« Qu'est ce qui est étrange ? »
Claquant l'air de sa longue queue, elle renâcla doucement, presque paisible. Pourtant elle ne l'était jamais, et un seul geste trop brusque lui suffisait pour partir en plein galop.

« Tout. Ton comportement, ta voix, tes paroles. »
Il se mit à réfléchir, se torturant l'esprit pour savoir la vérité. Pourtant, il ne trouvait rien. Il s'arrêta quand elle se mit à l'arrêt, son flanc contre le sien. Deamon ne la regardait pas, il fixait un point invisible de l'horizon.