we'll drive ourselves insane.

Joueuse ? Chez elle, ça n'est même plus du jeu. Plutôt une obsession malsaine. Ses dents se découvrent en un sourire à double tranchant. À la fois provocateur et carnivore. Comme si soudain, le monstre avait faim. Elle redresse son encolure. Se grandit, un peu. Et détourne son regard, comme si l'étalon ne le méritait pas. Tant de détails dans son comportement qui, pour la plupart, sont insignifiants. Mais elle sait que ça ne sera pas son cas à lui. « Il ne voulait pas te rendre jaloux. » glisse-t-elle d'une voix légèrement transformée. Plus fluide, plus glissante. Comme une couleuvre. Plus douce et à la fois plus vicieuse, dans l'esprit. Tu veux jouer ? Alors, on va jouer.

Elle observe son jeu de comédie. Dis, bel inconnu, est-ce que toi aussi tu en es un ? Un espèce de comédien, comme moi, un magicien ? Ses yeux s'allument d'une lueur de plus en plus intriguée. Il lui arrive bien peu souvent de rencontrer quelqu'un digne d'intérêt. « Tu m'en vois réjouie. » Elle fait mine d'être ravie. Tout en lui laissant les indices, sur son visage et dans sa voix, pour lui montrer que ça n'est pas celle qu'elle est. Elle passe alors devant lui. Sans craintes aucune. S'il bouge, s'il tente un mouvement contre elle, elle le saura. Elle le verra. Elle a été formée à ça. Mais quelques fois, il lui est arrivée d'être surprise. Des erreurs, de petits échecs, des failles sous sa cotte de maille. Elle sort à l'air pur, sur le pont, respirant l'air marin.

L'astre balance d'un grand coup de pinceau une lueur orangée. Qui vire au rouge. Un rouge sang, un rouge brut. À la fois mélancolique. Elle laisse ses prunelles d'encre zoner sur la mer, qui se colore, elle aussi. Puis alors, elle tourne la tête vers l'étalon, qu'elle a entendu s'approcher. Ses yeux détaillent singulièrement sa robe, son corps, son encolure, avant d'arriver à son visage. Elle cherche son regard, sans se gêner pour le fixer, d'un air à la fois neutre et curieux.

Lorsqu'elle croise son regard, elle frémit. Mais ne le détourne pas. Elle étudie toutes les nuances qu'elle peut y trouver. Du bleu marin au gris acier en passant par l'azur d'un ciel d'été. Elles y sont toutes, certaines plus que d'autres, certaines en bandes, d'autres en étoiles. Toutes. Comme dans un miroir, elle voit son propre regard. Noir. Juste noir. Sans nuances ni demi-mesures. Noir, noir, noir. Il n'existe pas de noir clair ou de noir foncé. Elle le détourne alors, comme déstabilisée. « penses-tu que ce bateau pourrait naviguer de nouveau ? » demande-t-elle soudainement, de sa voix habituelle.

Elle sent ses lèvres sourire légèrement pendant quelques instants, comme si elle était réellement amusée par la réponse. Un soupçon de joie sur son visage sombre. Qui s'efface, bien vite, comme une comète qui n'a jamais existé. « il pourrait être réparé. » Depuis quand rêves-tu ainsi comme une enfant, Brooklyn ? Elle se reprend, secoue sa longue crinière noire, avant de faire quelques pas sur le pont.

Marinière ? Elle a de nouveau un drôle de sourire. Le sien, l'habituel. Le bancal, le sourire-de-travers. Elle incline la tête sur le côté, l'observant. « vraiment ? » demande-t-elle en faisant un pas vers lui.

Elle se plonge au fin fond de son regard. « ne le suis-je pas déjà ? » Sa voix n'est qu'un murmure, se calquant sur le même ton que celui de l'étalon.