we'll drive ourselves insane.

(je m'excuse aussi. )  Non, leurs retrouvailles ne seraient jamais identiques à cet instant. Brooklyn en est consciente. C'est pour cela qu'elle essaie de creuser, en lui comme en elle, comme s'il avait ouvert une brèche dans le gouffre. Et qu'elle se refermerait une fois qu'il serait parti, pour ne jamais se rouvrir. Trois ans. C'est à la fois énorme et rien du tout. Une poussière de vie, mais déjà tant de souvenirs, n'est-ce pas ? Elle a soudainement presque honte de son âge, se sent vieille, sale, déjà usée. « plus que le triple. » fait-elle simplement à demi-voix, en le fixant toujours. L'obscurité pour le ciel bleu.

Elle n'aime pas le contact. Ne l'a jamais vraiment aimé. L'a toujours à la fois redouté et attendu avec un plaisir malsain et désorienté. Là, elle ne s'y attend pas. Son corps entier se fige. Devient un roc puissant, une statue taillée dans la glace la plus dure. Elle frissonne, comme si elle se retrouvait là d'où elle vient. Dans le Nord. Le Grand Nord. Elle ne sait pas comment réagir. Mais pourtant, elle réussit à se détendre. Son corps abandonne son habit des neiges qui fond doucement, et se réchauffe au contact du mâle. Elle s'abandonne, l'espace d'un instant. Contre lui, elle l'entoure de son encolure puissante. Ferme ses grands yeux noirs au monde. Comme si l'espace d'un instant, ils pouvaient changer de couleur. Peut-être est-elle née avec les yeux bruns, ou gris, ou verts, ou même bleus. Peu importe. Elle a appris à marcher en même temps qu'on a noircit son âme.

Elle n'est plus vraiment elle-même. Le monstre a cédé la place à la coquille vide, celle au coeur arraché à vif. Elle frissonne contre lui, comme soumise à une véritable tempête. Tempête intérieure. Mais curieusement, elle se blottit encore plus contre lui. Comme si elle cherchait sa protection dans son inconfort. Ses naseaux viennent s'enterrer sous sa crinière, et elle ferme les yeux. Elle s'abandonne. Laisse de côté son apprentissage. Pour une fois, elle se met à nu. Là, il pourrait faire n'importe quoi d'elle. Y compris l'anéantir, pour toujours.

Elle lâche prise, elle aussi. Puis, lorsqu'il rompt lentement le contact, elle semble retrouver vie à son tour. Elle se recule d'un pas, se demande ce qu'elle a fait, comment ils ont pu en arriver là. Que faisaient-ils avant ça ? Il lui semble avoir passé des années à s'étreindre ainsi en silence. Il lui semble n'avoir rien fait d'autre avec lui que partager cette proximité à la fois douce et ambiguë. À la fois aux yeux de tous et terriblement intime. Ses grands yeux noirs fuient les deux cieux bleus qui les cherchent pourtant. « Si je m'en vais, tu sais que je ne reviendrai jamais. » Elle ne parle pas d'elle. Mais de celle qu'il a vue, lui. Qu'il a fait ressortir. Celle qu'elle-même ne connaissait pas. Son coeur bat à un rythme étrange – à la fois trop lentement et trop vite – et Brooklyn plonge de nouveau son regard redevenu neutre et distant dans celui, si clair et si beau, de l'étalon pie.

Je te retrouverai. Vraiment ? En fera-t-il seulement l'effort ? En aura-t-il seulement envie ? Elle ferme les yeux quelques secondes, septiques. Ce n'est pas en lui qu'elle n'a pas confiance. Mais en elle. « Alors, on se reverra peut-être. » Elle se détache de la proximité qui les retenait tout près l'un de l'autre, et de l'emprise qu'il a sur elle. Elle frémit, faisant quelques pas, comme ayant du mal à s'en aller.