we'll drive ourselves insane.

Elle ne bouge pourtant pas, ses dents claquant légèrement parfois dans l'air vide, autour. Finalement, c'est elle qui se met en mouvement à son tour, pour venir face à lui, à quelques centimètres seulement. Elle pose sur lui ses grandes abysses qui lui servent d'yeux. « en quoi t'est-il important ? »

Elle aime sa réponse. Mais elle ne doit pas le lui montrer. Alors, un sourire sincère se camoufle derrière son sourire habituel. Le bancal, le tordu, le on-ne-sait-pas-trop-quoi ni même comment elle le fait. « c'est peut-être toi qui t'enfuiras le premier. » fait-elle innocemment en haussant les épaules, sans lâcher les deux étoiles bleues droit devant elle. « brooklyn. » murmure-t-elle pourtant d'une voix à peine audible, comme si elle ne pouvait pas le lui refuser, à lui et ses deux prunelles océaniques.

Le blanc de ses yeux (n'existant pas beaucoup pourtant) s'agrandit, s'étire dans ses pupilles qui se dilatent. Son corps entier se tend. Elle n'a peur d'aucune violence. A connu la famine imposée, les coups, le viol, et pourtant, c'est un coeur de cristal face à la moindre tendresse. Sa respiration est devenue irrégulière, et elle sait qu'au moindre faux mouvement, elle pourra lancer les dents. Pourtant, une partie d'elle, tout au fond, n'en a aucune envie. Comme si c'était une partie enfouie par son apprentissage de trappeuse, comme si elle se réveillait. Mais Brooklyn n'en a aucune envie. De cette partie qui rend faible tous les êtres vivants. Et elle n'a pas le droit d'être faible. Elle courbe pourtant seulement son encolure, jusqu'à laisser son menton toucher son poitrail, sentant les naseaux frémissants de l'étalon sur sa peau.

Elle frissonne, avant de se reprendre. Ses yeux noirs affrontent les deux océans de l'étalon. Elle plonge en eux, comme si elle allait trouver au fond la lumière d'un phare qui la protègerait de l'égarement. « qui es-tu ? » murmure-t-elle tout bas sans détourner le regard du celui du pie. Une aura différente et étrange règne autour d'eux, les englobant comme d'une bulle les coupant du monde.

Son animosité s'est envolée. Comme si elle l'avait enterrée quelque part très loin d'ici. Loin d'elle en tout cas. Elle se rapproche d'un pas, comme aimantée. « moi aussi j'ai besoin de ton nom quand il ne me restera que ça de notre rencontre. » chuchote-t-elle, comme si elle craignait qu'un espion ne l'entende. Elle l'observe de ses grands yeux qui semblent s'être adoucis.

D'habitude, elle n'apprécie pas la proximité. Mais là, comme ailleurs, comme si son esprit était à des lieux d'ici et que seule son enveloppe corporelle flânait encore près de l'étalon, elle ne bouge pas. Elle sent quelques frissons secouer ses poils, de par les frôlement de leurs poitrails. Pourtant, ses yeux restent amourachés des cieux de l'étalon. Elle frémit en sentant son souffle à son oreille. Ne se reconnait plus, tandis qu'elle ne bouge toujours pas. « budapest. » Elle trouve, curieusement, que ça lui va bien. Surtout, que ça ressemble au sien. Ne sait pas vraiment pourquoi. Ses lèvres s'étirent en un sourire discret, et pourtant démuni du cynisme qu'on lui trouve parfois. Juste un sourire, fait de quelques étoiles aux branches cassées, mais qui savent encore un peu briller.

Il met de la distance entre eux, et elle l'accepte, silencieuse, fixant seulement toujours l'océan de ses yeux. Elle reste stoïque, même si une drôle de pulsion lui donne l'envie démesurée d'aller à lui. Elle se force à rester immobile. Ne comprend pas ce qui lui prend. « du nord. de très loin d'ici, au nord. là où il n'y a rien d'autre que la glace. » murmure-t-elle dans un souffle, emporté par l'air marin qui se mêle à leurs souffles. « et toi, budapest ? » Elle aime bien prononcer son prénom. Comme si ça lui donnait l'impression d'avoir un minimum de contrôle sur lui, alors qu'elle sent bien que c'est l'inverse, même s'il n'en est sûrement pas conscient.

Elle hoche la tête à son tour, avec un fin sourire au coin des lèvres également. « quel âge as-tu ? » demande-t-elle, profitant de cette brèche dans la bulle comme si c'était là le seul moment où ils avaient le droit de se questionner. Comme s'ils devaient se dépêcher avant que tout ne s'effondre. Un vent chaud vient caresser sa peau, et la noire ferme les yeux un instant, savourant ce moment simple de la vie, elle qui ne se satisfait habituellement que des compliqués.