‹ stars are only visible in darkness ›

OROSZLÀN.
Il l'observe depuis un moment. Cette valse de couleurs, timide, discrète, ingénue. Il ne connait pas ça, lui. Le Lion ne connait pas vraiment la séduction, encore moins l'amour. Qu'au travers des paroles des uns, des souvenirs des autres. Il sait que ça fait mal. Il sait que c'est dangereux si on ne le contrôle plus. Que c'est le sentiment le plus beau qu'il soit (dit-on) et le plus meurtrier (dit-on aussi).
Alors il observe le paon mâle essayer de séduire la femelle, avec une fascination indiscrète. Il l'observe, oui. Ignorer qu'il est en train de se détruire, déjà.

Le coeur lourd, les sabots légers, Aslaug parcourait les nouveaux territoires sans y prendre le moindre goût. Au détour d'une conversation, elle venait d'apprendre qu'elle allait devenir grand-mère, que sa lignée se continuait, que ses gênes du nord se transmettaient. Pourtant c'est les yeux perdus dans un vide qu'elle seule connaissait, qu'elle marchait pour noyer son esprit. Mais c'est la parade d'un paon qui l'arrêta, la stoppant net au milieu de ce champ jauni par l'automne. D'un geste vif et colérique, elle abattait un antérieur près des volatiles ; l'amour était mort de toute façon.

Il est surpris pas l'agitation, soudainement, d'un paon qui s'écarte dans un bruissement indiscret, et qui détale devant lui. Oroszlàn tourne alors la tête, et c'est là qu'il la voit.
Sauf qu'il ne l'a jamais vue ainsi. Aslaug est toujours aussi belle et princière, aussi nordique... et pourtant, c'est une saison bien plus froide que l'hiver qui s'est installée là dans son crâne, semble-t-il au Lion. Il l'observe de loin un moment, sans oser l'aborder.
Finalement, au bout d'une minute interminable, le doré s'approche silencieusement, ses yeux noirs rivés sur la blanche. « Aslaug... » murmure-t-il d'une voix plus grave qu'avant, plus affirmée, plus sonore et plus calme, aussi.

Aslaug montre les dents et finit de poursuivre un paon alors qu'une voix suave la retient de se jeter sur l'oiseau. À cet instant précis, elle croit entendre Murphy et son coeur s'arrache un peu plus de son poitrail. Mais lentement, elle relève son regard sombre vers celui qui a prononcé son nom.
« Oroszlàn.. » Elle soupire, non pas par déception, mais par honte qu'il l'ait vue. D'un geste bref, elle s'abaisse devant lui. Il est et restera son dominant.
Mais voilà que le silence s'installe et permet à Aslaug se détourer le corps du doré avec attention. Le voilà grand, adulte et aussi impressionnant que son fou de père. Et un sourire malicieux vient teinter ses jolies lèvres cramées.

Il perçoit sa honte, son malaise. Et ne sait pas comment la rassurer. Il est là pour ça aussi. Pour la relever lorsqu'elle aura envie de plier le genoux. Il s'approche doucement, d'une allure gracile, l'encolure courbée. Il hume son odeur, qui n'a pas changée. Il observe son corps longiligne et gracieux. Et s'arrête devant elle, le regard serein, mais toujours aussi noir, comme s'il n'avait pris que ce puits à démons de son père. Et de sa mère. Il faut dire que l'un et l'autre ont/avaient leurs folies propres. On lui dit de plus en plus qu'il ressemble à son père. « Raconte-moi. » demande-t-il, un peu surpris par son signe de respect – après tout, il n'est pas encore dominant, et il n'y a pas encore de territoires délimités.

Elle aimerait s'approcher de lui et s'y coller, il représente tant de réconfort à son esprit perdu. Mais elle n'en fait rien, se remémorant à chaque seconde qu'il n'est pas son père. Les gènes, ces fauteurs de trouble. Ces fichues familles. Ce fichu sang qui coule durant des décennies sans jamais se tuer.
« Ne grandis pas Oros.. » Elle rigole parce qu'il a déjà fait l'erreur de quitter l'enfance. « Quand on est grand, on connait des sentiments qui nous troublent. On souffre » Intérieurement elle voudrait que ses lèvres arrêtent de s'ouvrir et de débiter autant de bêtises: le Lion a vu son père mourir devant ses yeux, la souffrance lui est familière. Alors qu'elle a fait le deuil de son ancienne famille il y a bien longtemps. Arrivée sur GS, les choses devaient changer. Elle devait être heureuse, la nordique.

Il sourit, lui aussi. Parce que oui, il a déjà grandi. Qu'il aurait aimé, pourtant, rester ce poulain innocent entre les jambes de sa mère et de son père. Avant qu'il ne meurt. Avant qu'il ne grandisse, peut-être trop vite ? Des épaules trop frêles pour assumer déjà tant de responsabilité. De droits, d'honneurs, d'héritage. Mais aussi de honte, de malaise, d'indécence. Un bâtard, petit. Il cligne des yeux. Il laisse une seconde de silence tomber, avec la légèreté d'une plume qui virevolte. Lorsqu'elle touche le sol, dans un souffle muet, il la brise d'une seule question : « L'amour ? »

Elle voudrait le remercier de la laisser en silence quelques instants pour qu'elle recadre son esprit, qu'elle arrête de fabuler.
« En un sens oui » Fait-elle en un souffle, en un sourire comme s'il était naïf et qu'elle appréciait ça. « Mon fils a offert son coeur » Elle s'arrête à nouveau, comme si c'était compliqué pour elle de continuer. Son souffle se coupe de toute façon et elle fixe le Lion pour pouvoir poursuivre. « Il va être brisé.. » Brisé comme la voix de la nordique qui s'éteint à la fin de sa phrase, fermant les yeux.

Il lui laisse le temps qu'il faut pour finir sa phrase. Il ne la presse pas. À la place, il tend un peu l'encolure, effleure ses naseaux des siens dans un contact léger, infime, furtif. Comme les ailes d'un papillon. Il a l'impression d'avoir le vécu et les relations de son père. De vivre à travers ça. « Est-ce que quelqu'un t'a brisé le coeur, à toi ? » chuchote-t-il presque, doucement, pour ne pas la brusquer. Mais le Lion devine bien que tout a commencé à ce moment-là.

« Bien sûr.. » Elle lui offre un maigre sourire tant il respire à présent la sagesse. Elle l'avait connu enfant et innocent, le voilà adulte et responsable. Murphy pouvait être fier.
« Et toi ? N'as-tu jamais connu le désespoir amoureux ? » Au fond d'elle, elle priait pour que ce ne soit pas le cas, qu'il conserve un minimum de cette innocence qu'elle aimait tant voir sur son visage.

Bien sûr. Comme si c'était une évidence, que c'était inévitable. Qu'on passerait tous par là. Ça l'effraie un peu, lui. « Non. » Peut-être pas encore, petit prince ? Il baisse les yeux, hausse les épaules. Se confie, d'une voix plus basse. « J'ai vu mon père se détruire dans une folie causée par l'amour. Si ça ne m'arrive jamais, je m'en porterai bien mieux. » Pourtant, il est épris d'une contradiction. Il aimerait bien connaître les battements affolés du coeur, reconnaître l'odeur d'une personne entre mille, voir tous ses gestes dictés par quelqu'un d'autre, vouloir tout donner. Ça doit être si beau.
Et la chute si violente.

Aslaug est surprise, elle pensait que l’héritier du nord aurait été plus courtisé que cela. Elle se demande même s’il n’est pas trop naïf et qu’il ne s’est pas rendu compte des parades amoureuses qu’on lui a faites. Finalement, même si ce qu’il avance correspond le mieux à la situation actuelle de la grisette, elle ne peut s’empêcher d’avoir le coeur noué.
« C’est vrai que ça peut rendre fou.. » Douce pensée à Murphy, comme toujours.
« Je ne t’apprends rien en revanche en te disant que ça peut être fantastique.. avec une personne de confiance » Et elle se racle la gorge comme si c’était justement ce dernier point qui était inaccessible.

Peut-être se ferme-t-il déjà trop à tout cela, peut-être a-t-il même déjà fuit des avances, des parades, des jeux. « Une personne de confiance... » répète-t-il, sceptique. Le Lion secoue sa crinière argentée. « Toi, tu es une personne de confiance. » murmure-t-il doucement, le regard sur elle, sans ciller.

Pourtant Aslaug cille, elle. Cassant sa structure pourtant inébranlable d'habitude, la blanche retient un souffle et hoche lentement la tête, détaillant les traits du visage du Lion. Murphy prend sa place si souvent qu'elle a du mal à les différencier. Elle ne peut s'empêcher de l'imaginer toujours en vie, qu'il n'est pas mort et se cache sous cette apparence enfantine.
« C'est certain.. » Murmure-t-elle en référence à son allégeance certaine pour le Nord. « Et pourtant je suis brisée.. » Fait-elle comme pour clarifier les choses pour elle-même.