le grand retour

Ses ténèbres plaisent à beaucoup. Pourtant, peu osent s'y frotter réellement, entrevoyant sans peine comme elles peuvent noyer, dévorer, et faire disparaître. Ceux qui s'y essayent malgré tout n'en ressortent jamais indemnes. Ses démons ne restent jamais dans l'ombre bien longtemps.
Elle esquisse un sourire au coin de ses lèvres grises, ses yeux s'allumant d'un brasier vif, attisé par le jeu, par ces choses qu'elle aime tant. Elle fait un dernier pas, presque violemment, et leurs poitrails se heurtent alors. Elle a l'impression d'avoir Red en face d'elle et, aussi taboue qu'elle est, cette idée lui plait plus encore. Elle se l'imagine. Être aussi proche de son frère, son plus grand pilier. Dans son esprit détraqué, elle ne voit pas les signes qui feraient comprendre à n'importe qui qu'il est condamné. Elle a dû se noyer un jour et, depuis, n'est plus jamais remontée à la surface, vivant dans des abysses colorées qui lui font penser qu'il s'agit de la réalité. Elle s'empare de nouveau des lèvres du doré sans un mot, pour un baiser brusque et tout aussi brûlant que le précédent qu'il lui a donné. Elle veut l'attiser, lui aussi. Elle veut lui appartenir. Elle veut qu'il lui appartienne.

Elle ne parle pas - en même temps, il ne lui en laisse aucunement le temps ou la possibilité. Ses lèvres sont ses otages sans même une pause décente. Mais Lov n'a jamais été décente, me direz-vous. Choisissant d'inverser les rôles, elle s'arrache brusquement de sa bouche pour poser ses lèvres sur son encolure, là où ses crins ont chauffé sa peau rendue moite, le mordillant même pas moment. Elle allonge son encolure, allant jusqu'à son garrot, prenant toujours soin d'appuyer férocement son poitrail au sien.

Elle non plus ne veut pas s'arrêter. On la connait bien, cette furie insensible, lancée à corps perdu dans un jeu qu'elle ne maîtrise pas contrairement à ce qu'elle croit. Elle s'en aperçoit toujours trop tard, parfois pas du tout. Peu importe. Cette adrénaline, elle ne l'abandonnerait pour rien au monde. Et aujourd'hui, comme un désir lointain, comme quelque chose qui aurait dû se produire il y a longtemps déjà, voilà Sueño à cette place contradictoire. À la fois chanceux et maudit. Les baisers de la lionne ne sont pas des bénédictions. Elle sent sa fougue et son envie, ce qui décuple plus encore la sienne. Elle se décale alors, détachant son poitrail du sien, remontant sa tête près de son visage pour murmurer à son oreille : J'ai bien cru que jamais nous n'y arriverions.. Sa voix est vibrante, si basse qu'elle est tremblante. D'un désir assassin, qui la tue chaque fois un peu plus. Pour se revigorer, elle se nourrit de ses partenaires. Elle glisse alors ses naseaux brûlants sur le dos du mâle, dessinant ses courbes musclées. Elle l'a toujours trouvé attirant ; jamais autant qu'aujourd'hui pourtant. Elle glisse alors ses lèvres sur la peau tendue de son ventre, étudiant ses réactions.

Elle le sent. Si volontaire que ça en serait touchant. Si volontaire à se noyer. En elle. Parce qu'elle n'est qu'un poisson des bas-fonds, ceux-là même qui n'ont jamais connu la lumière. Ceux qui se nourrissent de la vase et des carcasses qui tombent depuis la surface. Ceux qui parfois, dans une bénédiction, deviennent sirènes, remontent un instant pour entraîner avec eux les marins intrépides et courageux.
Sueño est intrépide et courageux. Et c'est précisément ce qui le fera sombrer. Elle l'entraîne avec elle, sirène devenu requin blanc. Elle ne montre pour satisfaction que quelques soupirs épars et désorganisés, l'envie lui brouillant totalement les sens, le désir remplissant tout son être si bien qu'elle ne peut réfléchir à rien d'autre que lui. Son corps, contre le sien, ses naseaux la parcourant, la faisant vibrer. De mèche avec lui, comme calquée sur les gestes du doré, elle descend entre ses cuisses, s'y attardant tout particulièrement, enivrée. La sorcière du Nord soupire contre sa peau au même rythme des caresses qu'il lui prodigue aussi. Ah, Red, tu ferais ça si bien, toi aussi.. Elle confond. L'odeur de Sueño se change même en celle de son propre frère. Sans discerner l'attirance de l'inceste, elle ferme les yeux, continuant de plus belle jusqu'à-ce qu'il soit à bout. Jusqu'à-ce qu'il n'ait plus qu'une envie en tête. Jusqu'à le faire craquer.

Mais qui peut savoir ce qu'elle ressent pour lui, pour les autres ? Sueño ne peut pas, puisqu'elle ne le sait pas elle-même. Complètement attisée, charmée et charmeuse, la princesse des glaces le laisse la contourner. Enfin. Le moment est venu, et même si l'attente était douloureusement délicieuse, elle a terriblement hâte de conclure. Elle tressaille toute entière lorsqu'il effleure l'intérieur de ses cuisses et, comme une réponse à sa question muette, elle panache sa queue, lui laissant le champ libre. Malgré tout ce qu'on pourrait croire, elle n'a pas eu tant de relation que ça. Et chacune d'elle l'a assassinée un peu plus, pour en faire ce qu'elle est aujourd'hui. Elle recule un peu, appuyant sa croupe contre le poitrail de Sueño. Sa tête se tourne, ses yeux se rivent sur l'étalon d'or. Sauvage et inaccessible, son regard est rempli de ce feu qu'il a allumé. Ce feu qui la tuera un jour, ce feu qui témoigne de son envie réelle et cuisante, qui la dévore. Elle reste muette, mais ses iris parlent. Appartiens-moi. Ou est-ce elle qui va lui appartenir ? Elle a appris que dans ce jeu, quand celui-ci est sincère et puissant comme maintenant, les rôles sont indéfinis. Tour à tour et en même temps, ils sont prédateur et proie.

Mais Lov ignore qu'il existe parmi eux des pansements. Elle n'a toujours connu que les mâchoires insatiables. Celles qui laissent morsures sur morsures. Elle en a toujours redemandé, me direz-vous. Sans même se poser de questions, elle le sent grimper sur son dos. Elle pousse un léger râle, d'impatience plus que d'inconvenance. Bâtie comme elle est, elle est rarement gênée par le poids de ses conquêtes. Conquêtes pas forcément abondantes, d'ailleurs. Peu osent se frotter à elle de si près. Beaucoup la détestent trop pour cela. Elle ferme les yeux, sent sa crinière retenue par les dents du doré. Alors que son travail commence, elle pousse un long soupir. La dernière fois qu'elle s'est prêtée à ce jeu avec autant d'envie, a résulté une chute cruelle et assassine. Pour le moment, elle ne ressent que cette adrénaline délicieuse. Elle voudrait continuer des heures durant.

Elle a les yeux fermés lorsque la fin approche. Elle le sent, par la hargne du mâle sur son dos, par ses propres membres qui commencent à trembler. Elle avait presque oublié. Comme c'était bon. Le grognement de l'isabelle se mêle à un long râle de sa part, et c'est essoufflée et le coeur au bord des lèvres qu'elle le sent la contourner pour se mettre face à elle. Elle garde le silence, juste le temps de permettre à son souffle de retrouver un rythme plus sain. Son regard noir, lui, est fiché dans le sien comme une ancre au fond des abysses. Férocement accroché à ses iris. Elle finit par souffler un air toujours aussi brûlant sur le visage de Sueño, un fin sourire s'invitant au coin de ses lèvres grises. Depuis quand en avais-tu envie ? demande-t-elle de sa voix grave, comme pour essayer de se conforter à l'idée que, visiblement, elle n'avait pas été la seule à y penser depuis tout ce temps. Non, sinon, il n'y aurait pas eu cette alchimie aussi forte. Ce désir, elle ne l'avait pas inventé.