life over death | ECHANGE

Mais que le grand mâle alpha du camp adverse se rassure ! Faucon n'a rien contre lui. Il le fixe car il semble tenir les rênes de la situation. Il en est assurément le meneur ou, en tout cas, tout le désigne comme tel. Si son regard est insistant, cela est peut-être dû, en effet, au fait qu'il n'a qu'un oeil à braquer sur lui ou sur les autres. Faucon a toujours eu un regard particulier et a tendance à fixer sans ciller les individus, amis comme ennemis. Ce n'est pas aujourd'hui que cela va changer et il serait impressionné de savoir que cela puisse perturber un étalon qui a au moins trois fois son âge. D'ailleurs, Asmund ôte alors ce qui recouvre le visage de sa mère et Faucon reste d'un froid impassible. Son oeil s'est dirigée vers elle, lâchant le jaguar par la même occasion, comme on abandonne de sa ligne un poisson pour un plus gros, un plus intéressant. Son visage reste neutre, il détaille ses joues creusées, remonte jusqu'à son oeil droit manquant, absent, handicapant. Bon sang. Ils ont été jusqu'à lui arracher un oeil ?
Si tu savais, mon grand. Ils lui ont fait bien pire encore.

Il se met en marche en même temps qu'eux. Il ne laisse rien paraître. Son flanc gauche frôle celui d'Aulia dans un but de réconfort. Ils y sont presque. Ils se croisent enfin, Faucon sent le délicat parfum de sa mère, teinté de douleur, de sang, de peur ? Il ne grimace même pas. Il fixe droit devant lui le camp adverse, sans animosité. Il a envie d'accélérer le pas, il se remerciera plus tard de ne l'avoir pas fait.

Tout se passe trop vite. Il entend le craquement familier de l'avion qui râle, du métal qui se tord sous un poids étranger. Il se permet de tourner la tête, ne devinant qu'un éclair doré fondre sur le centre de leur échange. D'abord, il pense qu'elle leur arrive dessus, qu'elle vise Aulia. Décale-toi ! lui crie-t-il avant de carrément la pousser d'un coup massif d'épaule, la suivant dans le même mouvement désarticulé, jusqu'à être en retrait, juste là dans les fourrés.
L'étoile solaire a poursuivi sa route, pourtant. Il reconnait Tsunami. Forcément, c'est elle ! Le cri d'Hooker le conforte dans sa prédiction : elle est venue, encore une fois. Il se serait passé d'un affrontement, de nouveau, mais si elle vient pour se battre contre eux, il aura au moins le temps de rentrer avec sa mère, la mettre à l'abri. Mais quelque chose cloche. Quelque chose... ne va pas. Il ne s'est passé qu'une seconde, peut-être deux, pendant que Faucon analyse, émet une hypothèse qu'il voit brisée dans la seconde suivante.
Tsunami est sur le corps de Mygale, et il compte, lui aussi. Une fois, deux fois, trois fois. Sa tête cogne contre le sol de la jungle. Il ferme les yeux, serre la mâchoire. Il rouvre son iris glacé l'instant d'après. Quelques secondes. Tout va si vite. C'est là qu'il croise le regard de sa mère. Il l'entend comme si elle lui avait parlé. Ne la lâche pas. Sa tête se tourne, il rencontre le regard d'Aulia qu'il devine tendue, pleine d'incompréhension. Il l'attrape brusquement par la crinière, la faisant reculer avec lui de quelques pas, assez pour que les feuilles les recouvrent presque, de leurs grandes mains vertes. Leurs visages ne sont qu'à quelques centimètres, Faucon ancre son unique oeil dans celui de la jument. Tu restes avec moi. S'il te plait. J'ai besoin qu'ils pensent que tu es en danger si ma mère ne survit pas. Il chuchote, la fixant droit dans les yeux, priant pour que leur relation si spéciale pendant cette prise d'otage lui permette d'avoir confiance en lui. Mais peu importe l'issue, tu seras libre, Aulia. Je te le dis à toi. J'ai besoin qu'eux, pensent l'inverse. Je ne te trahirai pas, affirme-t-il durement, sincère, poignant. Il tend l'encolure pour apercevoir ce qu'il se passe. Il ne comprend pas ce qu'elle fait. Pourquoi l'avoir défendue l'autre fois et l'attaquer maintenant ? Il n'a de toute façon pas le temps de chercher des réponses. Sans doute n'en trouverait-il d'ailleurs pas. Son cerveau bouillonne, il essaie d'anticiper. Son plan semble avoir marché : un des Ergiens s'est mis en travers de Tsunami. Ce n'est pas le meneur, c'est Hooker, son frère. Faucon trouve cette séquence étrange, comme suspendue dans le temps. Sans le savoir peut-être, il défend sa plus lointaine ennemie. Bien sûr qu'il le fait sans doute dans le but de sauver la vie de sa fille. Mais à cet instant-là, l'oiseau de proie trouve cela enchanteur. Inespéré. Il se décale un peu, comptant sur Aulia pour ne pas faire de bêtise - même s'il ne pourra pas l'en empêcher à vie. Ses membres s'emmêlent dans quelque chose qui n'appartient pas à la Jungle qu'il connait. Ce n'est ni une liane, ni une ronce, ni un buisson. Encore moins une pierre. C'est mou. Ca gémit, quand il le bouscule. Le faisceau bleu du mâle rencontre alors deux billes noires. Innocentes, aspirant pourtant toutes les émotions diffusant autour comme un parfum d'ambiance.

Faucon réfléchit ; cela lui prend une fraction de seconde. Il attrape la petite créature par son encolure fine, autour de laquelle il verrouille sa mâchoire devenue puissante et assurée. Il serre pour la tenir, pas pour la brise. Il la traine, un mètre suffit pour qu'il soit hors des fourrés avec l'enfant. Quelques jours de vie, déjà au coeur du chaos. Mais la seule coupable restera sa mère. Il lâche le poulain au sol. Ne t'approche plus d'elle. Sa voix est forte, claire, assurée. Il ne manque ni de cran ni d'assurance. Ses sens sont connectés au monde extérieur, aux mouvements de chacun, aux battements de coeur de sa mère. Il devine Aulia dans son dos, dans les fourrés. S'il te plait. Fais-moi confiance. Il attend que Tsunami daigne se retourner pour le voir se tenir au-dessus de sa progéniture.

C'est le moment, Faucon s'avance accompagné de Aulia pour commencer l'échange. Même si pour l'instant le climat est assez paisible, la noiraude reste sur ses gardes et demeure impassible. Plus son ami s'éloigne, plus la jument se crispe. Si il se passe quelque chose, elle sera trop loin pour intervenir, elle le sait. Elle est taraudée entre son inquiétude et son devoir de respecter les ordres. La noiraude jette de temps à autres quelques œillades à Boréale, comme pour rechercher un soutien silencieux. La vieille carcasse de l'avion grince et l'échine de Foudre s'hérisse. Elle a toujours détesté ce grésillement de métal rouillé. Ce crissement déconcentre Foudre qui dresse les oreilles vers le ciel, en alerte. Elle aimerait se retourner pour s'assurer que ce n'est que le bruit du vent mais elle s'interdit de quitter la scène des yeux. Le bruit devient plus insistant, la noiraude sent l'angoisse monter, elle a l'intuition que quelque chose va se passer et se balance d'un pied sur l'autre comme pour calmer sa frustration. Ses naseaux se pincent et vrombissent légèrement laissant échapper quelques petits couinements imperceptibles. C'est à ce moment qu'un éclair doré jaillit du ciel et retombe devant elle dans un bruit de tonnerre. Trop abasourdie pour bouger, Foudre reste pétrifiée devant ce spectacle inattendu. Hekà, la panthère de la jungle qu'elle n'a pas revu depuis la dissolution des Shaans, vient de sauter du toit de l'avion pour atterrir sur les otages. Pensant à une embuscade, Foudre désobéit aux ordres et bondit en avant pour prêter main-forte à Faucon mais elle constate au dernier moment que Hékà ne cherchait pas à s'attaquer à lui... mais à Mygale ! Désorientée, Foudre freine des quatre pieds pour éviter de justesse un coup de sabot de Hooker. Faucon réagit aussitôt et oblige Aulia à reculer afin de l'emmener dans un repli stratégique dans les fourrés. La noiraude prend le temps d'analyser la situation. Faucon intime à Aulia de rester cacher mais cette dernière cède à l'appel de la liberté pour retrouver ses proches. Merde.. ils viennent de perdre leur monnaie d'échange. La rouanne s'empresse de proposer à son clan de rentrer à la pyramide. Si jamais ils décident de repartir avec Nyvéèn, alors ils auraient fait tout ça pour rien... Non, elle ne peut pas prendre le risque de les laisser faire. Profitant de la confusion générale et de sa proximité avec l'akhal, Foudre saisit sa chance en voyant que la voie est libre et se lance dans la mêlée. La jument évite de justesse le roulé boulé entre Hooker et Hékà, contourne Asmund qui semble pétrifié, et choppe Nyveèn par l'encolure. Pas le temps d'attendre qu'elle se relève, elle doit la déplacer au plus vite pour la ramener du coté Nayati. Asmund n'est pas loin, elle le sait, mais elle compte sur sa clémence pour les laisser repartir avec l'araignée. Après tout, ils ont récupéré Aulia, non ? Le marché à été respecté. Nyveèn est lourde, malgré sa fine ossature. Foudre la traîne dans la poussière avec difficulté. Elle remarque que son ventre semble bien arrondie malgré ses côtes apparentes. Foudre garde cette information dans un coin de son cerveau, se pourrait-il qu'elle soit... gestante ? Foudre essaye de ne pas y penser et se concentre à sa tâche. La force demandée pour tracter est intense, la jument prie intérieurement pour que Boréale et Météore viennent l'aider. Au loin, elle garde à l'oeil le comportement des Ergiens. Son regard se pose alternativement dans celui de Bryséis et Phoenix qui lui font face. Vont-elles intervenir pour l'arrêter ? La noiraude verrouille un peu plus fort sa mâchoire sur l'encolure de Mygale, comme un prédateur qui emprisonne sa proie et défie quiconque de tenter de lui reprendre. Une vrai louve qui défend son butin. Chaque secondes d'hésitation de leur part, lui font gagner de précieux centimètres et la rapproche de ses alliés.    

Ils arrivent. Aulia ! Elle va bien; Bry n'en a jamais douté. Son soulagement suit tout de même celui des siens. On ne peut pas en dire autant de Boréale. Les stigmates de son corps sont encore partiellement visibles après tout ce temps. Et son regard, surtout, trahit les blessures les moins visibles. Se contenter d'imaginer ce qu'il s'est réellement passé est pire que de savoir. Bry la regarde un moment, espérant croiser son regard. Croiser celui de Noomi -Foudre- lui serre le cœur. La voir dans les rangs d'en face sera toujours une lame dans son cœur. Et Météore… Elle voudrait échanger avec lui aussi en silence. Qu'il voit son ventre rond, et soit fier de son sang qui grandit en elle. Et se rappelle à la paix. Mais sa mine est sombre. Bry comprend à demi, et, déçue, surveille l'échange.

La berserk ne s'inquiète aucunement des réactions pour l'œil manquant de l'akhal. Elle voit pas le pb Ça va c just un œil keskiya

Et puis, Hêka fait son entrée. Bryséis regarde, fascinée. Ses 2 ennemies qui se détruisent. Une flamme réjouie enfle en elle, et un sourire invisible commence à gagner ses lèvres, dans l'ombre. Elle le perd vite. Hooker, non ! Aulia est déjà sauve, elle est là, elle ne risque plus rien.
Ou si ? Faucon croit avoir encore son emprise sur elle. Trop tard, maintenant qu'elle a effleuré sa famille de si près. On ne la laisse pas repartir.

Bryséis est tellement impassible depuis le début que peut-être Faucon l'a-t-il oubliée. Bry s'élance sans une micro-seconde d'hésitation sur le fils de Nyvéèn, avec l'objectif de dégager aussitôt Aulia de son emprise. Déjà qu'elle ne comprend pas pourquoi sa vaillante nièce ne l'a pas fait plus tôt. Le ravisseur change rapidement d'otage. Bry grogne d'outrage en reconnaissant la forme d'un poulain. Comment ose-t-il !!! L'andalouse ne fait pas tout de suite le lien avec Hêka. Peu importe de qui ce petit est le fils. On ne s'attaque pas aux enfants ! En rage de cet affront, la berserk ne ralentit en rien et percute le brun avec toute sa force pour l'envoyer valser le plus loin possible du poulain. Qu'il vole, trébuche, s'effondre, dans la honte d'avoir menacé une vie si jeune.
La Tsöldur atterrit les 4 pieds écartés autour du noireau, le protégeant de toute sa masse, fulminante comme une machine de guerre.
-HONTE SUR TOI ! s'enrage-t-elle.

Le sort de Nyvéèn ne lui importe plus. Elle a déjà fait une croix dessus, alors que Foudre l'emporte. Sa grossesse lui fait peu à peu oublier tout désir de vengeance. Peut-être que l'araignée a suffisamment payé, peut-être qu'ils vont tous pouvoir passer à autre chose. Son instinct maternel, par contre, gonfle monstrueusement de jour en jour. On n'attaque pas un enfant.

Bry jette un coup d'œil à ses frères. Son cœur bat avec les mots d'Aulia, d'accord et de fierté. Elle a sa force, le courage de Hooker, et la sagesse d'Asmund. Oui, qu'ils rentrent… Puis elle baisse les yeux sur l'enfant. Qu'est-ce que… Qur fait-il là, au fait ? Surveillant toujours Faucon du coin de l'œil, elle baisse le nez entre ses antérieurs pour le renifler.

Tout s'enchaîne. Bryséis l'envoie valser dans les buissons mais Faucon se relève d'un bond, fier et amusé de la voir ainsi. Comme s'il allait toucher à un enfant... Elle est pathétique d'y avoir cru. Elle mort à l'hameçon mieux que tout le reste. Dans son dos, il sent Aulia s'esquiver. Et Faucon sourit. Parce qu'il est fier d'elle. Parce qu'il est fier qu'elle ne l'ait pas écouté, fier qu'elle soit toujours vaillante - et elle le restera, il le sait. Comme à la réussite d'un test, son hypothèse s'est révélée juste. Discret, il suit de son unique oeil la furie Tsunami se jeter sur Bryséis. Puis le grand appaloosa, Asmund, qui s'interpose.
Et soudain, ils s'entretuent.
Faucon observe un moment - quelques secondes, pas plus, mais cela lui semble durer des heures. Il observe avec fascination le sang qui s'extraie des chairs, ses oreilles s'inclinent vers l'avant en entendant le craquement des os, des vertèbres, des membres. Une cacophonie remarquable. Son oeil bleu se reconnecte à la réalité et l'entier sort de son immobilisation. Il contourne de loin les deux tueurs emmêlés, sans que l'on puisse dire qui a le dessus sur qui, sans que l'on puisse dire qui s'en sortira ou non. Faucon ne s'en préoccupe pas, il est déjà au-dessus de tout ça. Il s'en fiche, lui. Qu'ils meurent tous les deux. Cela ne l'atteint en rien.

Il rejoint Foudre qui traine péniblement sa mère et l'aide en attrapant la crinière de l'araignée, malgré son cri déchirant qui lui transperce le coeur - là, tout au fond. Il faut y aller, murmure-t-il à sa mère. Il plonge son oeil dans le sien - encore un détail qui les rassemblera encore plus. Même famille, même espèce. Il viendra chercher le corps de l'isabelle, si elle le souhaite. Mais maintenant, il faut déguerpir. Ils n'ont plus rien à faire ici. Ils sont venus reprendre ce qui leur appartenait - même si Nyveèn n'appartiendra jamais à rien ni personne. L'Erg comprendra peut-être qu'à vouloir se venger, on ne sort jamais indemne. Ils auraient pu vivre le deuil d'une soeur, seulement. Mais ils sont sonné à la porte de la vengeresse et c'est un deuxième frère aujourd'hui qu'ils pleureront. Punition. Mais Faucon se demande si même avec ça, ils comprendront. S'escrimeront-ils jusqu'à-ce que les deux derniers de la fratrie perdent la vie, eux aussi ?
Lentement, ils ont rejoint ceux qui sont venus avec eux. Faucon hoche la tête vers Météore et pose un regard profond sur Allie. On y va, leur souffle-t-il, reprenant le corps de sa mère avec l'aide de Foudre. Peut-être ne pourra-t-elle pas marcher, avec tout ça. Peu importe.
Il la porterait jusqu'en enfer s'il le fallait.