La mécanique du cœur

C'est sans réelle surprise qu'il entre dans mon jeu. En même temps, c'était si facile, pourquoi ne pas le faire ? J'arque légèrement mon encolure et mes iris bleus ne le quitte pas une seule seconde. Le voilà qui se rapproche, roulant des mécaniques, séducteur. A vrai dire, il n'a pas vraiment besoin de ça, il est beau sans en jouer et évidemment qu'il ne me laisse pas indifférente. C'est purement physique et c'est comme ça, on ne peut rien y faire. Et s'il me dévore des yeux, je ne fais rien pour l'en dissuader. Est-ce qu'il oserait tenter plus ? Et moi, est-ce que j'accepterai ?

Je le laisse comprendre ce qu'il veut comprendre. Je me contente de l'observer silencieusement, l'analysant. Je n'ai pas spécialement envie de prendre les devants et le fait qu'il mène la danse ne me dérange pas. J'ai toujours préféré laisser les autres mener. A travers ses gestes et sa façon de se comporter je pouvais sentir le désir qu'il avait pour moi. Et je me surprenais à ne pas ressentir autant de désir que lui. Il n'était ni Aulia, ni Draggan. Il n'avait pourtant rien à leur envier, il était magnifique. Mais il n'avait pas ce petit plus, cette petite étincelle qui m'électrisait et menaçait de mettre le feu à mon corps. Je ne refuse pourtant pas ses contacts. Peut-être pourra t'il effacer le gris et la rouanne de mes pensées, l'espace d'un instant. A mon tour, je glisse mes naseaux le long de son encolure pour finalement les arrêter à hauteur de son garrot. Je sens qu'il reste sur la retenue, sans doute parce qu'il attend un signe de ma part pour aller plus loin. Une pointe d'hésitation me saisit. Je préfère prendre mon temps. Qu'il me courtise et s'il se montre assez convaincant, peut-être que je lui accorderais cette danse.

Un frisson court sur ma peau lorsque je sens ses naseaux s'aventurer davantage sur mon corps. Je me demande si faire l'amour avec un inconnu et sans aucun sentiment pour lui est quelque chose de correct. Jusqu'à présent, toutes les fois où je l'avais fait, c'était avec des personnes que je connaissais pour ainsi dire sur le bout des doigts et que j'aimais. Mes pensées se tournent furtivement vers Aulia et mon cœur se serre. Je l'avais perdue. J'avais perdu la seule chance que j'avais d'être heureuse en amour jusqu'à la fin de mes jours. Alors maintenant qu'elle n'était plus là et qu'elle ne me reviendrait jamais... Pourquoi je n'accepterais pas la présence d'autres personnes dans ma vie, même si c'était éphémère ? Et si la solution était d'aimer les autres mais temporairement ? Sans pour autant prendre les attaches et les responsabilités d'un couple ? Je pose toutes ces questions de côté et lentement, je laisse mes ténèbres obscurcirent mes pensées. Et tant pis pour la bienséance. Je panache légèrement ma queue et avance d'un pas pour lui laisser ma croupe sous le nez. De toutes façons, je n'étais plus à une bêtise près.

Trois mots glissent jusqu'à mes oreilles. Est-ce que j'étais sûre ? J'en avais pas la moindre idée. J'avais simplement décidé de franchir le pas, que je sois prête ou non. Je misais sur ce moment pour mettre de côté mes sentiments. J'aimerais tellement apprendre à m'en détacher...
- Oui, je lui réponds finalement, après avoir pris une grande inspiration, comme pour me donner du courage.
Je me demande s'il est prêt, lui. Je trouve ça étrange qu'il s'attarde autant et autant le dire tout de suite, s'il ne saisissait pas sa chance maintenant, je risquais de revenir sur ma décision...

Les minutes qui passent avant qu'il ne se décide réellement à passer à l'acte me semblent terriblement longues. Pas parce que j'en mourrais d'envie, plutôt parce que ça me laissait le temps d'y réfléchir. Et lorsque je me mettais à réfléchir, ce n'était pas spécialement bon signe, surtout sur ce genre de moment un peu délicat où la décision avait été prise un peu brusquement. Je piétine le sol, un peu nerveuse. Je ne suis plus tellement certaine de le vouloir et heureusement qu'il se décide enfin parce que j'étais réellement à deux doigts de le planter là. Je m'immobilise finalement en sentant son poids sur mon dos. Il ne lui fallut pas beaucoup plus de temps pour commencer sa petite affaire. Une vague de chaleur se répands dans mon corps. Je connais bien cette sensation désormais, c'est toujours la même. Ou presque. Mes oreilles se tournent vers lui, captant chacun de ses grondements. Quelques frissons glissent le long de ma colonne vertébrale, partout ou ses lèvres se posent. C'est encore des nouvelles sensations que je découvre avec Aël. Je mets plus de temps à accepter cette union et surtout le plaisir ne monte pas aussi rapidement qu'avec Draggan. Peut-être parce que cette fois ci, les sentiments sont absents. Pourtant, pour l'encourager à faire attention à moi autant qu'à lui, je laisse s'échapper quelques gémissements.

Chaque moment est unique, je le sais bien. On pourrait recommencer cent fois la même chose en essayant de la faire toujours exactement de la même manière... Chaque fois, c'était différent. Chaque nouvelle expérience est bonne à prendre, c'est comme ça qu'on se forge. J'ai toujours aimé les expériences. L'aventure. Découvrir. Tout ça. Et aujourd'hui, je découvrais à quel point le sexe sans amour était fade. J'aurai préféré ne pas connaître l'amour. Ni les sentiments. Ils peuvent être si forts... Et ils blessent avec tout autant de force. Et si j'éteignais mon cœur ? Est-ce que la vie reprendrait ses couleurs ?
Je tourne légèrement ma tête pour caresser l'antérieur d'Aël du bout de mes naseaux. Et lui, qu'est-ce qu'il pouvait bien ressentir ?

Pour moi, il ne pourra jamais considérer ce moment comme étant extraordinaire tant qu'il ne l'avait pas fait avec la personne qu'il aimait. Pour une fois, j'étais relativement bien placée pour le dire. Avec Aël - et même s'il n'était pas mauvais - je n'avais pas senti ne serait-ce qu'un tiers du plaisir que j'avais ressenti avec Draggan. Et pour moi, ce n'était clairement pas une question de performances. Simplement une question de sentiments et de naturel. Mon regard glisse sur lui. Il semble pensif.
- Est-ce que tu regrettes ? Je lui demande, sans le quitter du regard.

Sa réponse suffit à me faire sourire. Il m'a apaisée, simplement par sa franchise. Son contact aussi me fait du bien, il me rappelle que je ne suis pas seule, même lorsque j'en ai l'impression. Je passe ma tête sous la sienne avec tendresse et me blottit contre lui.