danser au bord du vide. L

Caelis réfléchit à toute vitesse. Elle posa subitement un regard glacé sur Lunaio, faisant un pas vers elle, cette fois: Mais...si tu sais ça, c'est que t'étais là aussi! La grisette renâcla. Et t'as rien fait!

« Tout s'est passé beaucoup trop vite. » Fit-elle, repensant à cette scène qui l'avait marquée à jamais. Au fer rouge. Mais elle ne demandait à personne de comprendre cela, après tout. Elle préférait endosser le rôle de la méchante. « Mais je ne me suis pas enfuie dès que je l'ai vu. »

Caelis lui jeta un regard en coin. Elle cracha: Toi, sa fille, t'étais là et ta rien fait! Elle secoua la tête. Pour elle-même, elle murmura: Pfff...il penserait pas qu'il la tuerait...c'est sûr... Caelis la fusilla du regard à nouveau. Ni toi ni Dap ne valez mieux l'un que l'autre! Elle fixa l'horizon, les yeux dans le vague.

Lunaio sentit qu'elle était sur le point d'exploser aux paroles de la jument. Avec une violence inouïe, elle bouscula Caelis pour qu'elle se retrouve au bord du vide. La menaçant de la faire chuter au moindre instant. « Pour qui tu te prends, pour me mettre au même niveau que celui qui devait aider Miu à s'enfuir, et qui s'est enfui à sa place ! C'est à cause de lui. TOUT est à cause de lui ! » Cria-t-elle au visage de la grise. « Tu parles de ma mère, espèce de... » Elle se rendit compte qu'elle montrait de ce qu'elle ressentait, et recula d'un pas, furibonde.

Caelis, à vrai dire, n'opposa pas de résistance. Quelques pierres dégringolèrent dans le vide. La grisette savait qu'au contact du sol elles se briseraient, mais que d'ici, on ne les entendraient pas. Elle ne broncha pas. Caelis se sentait morte depuis déjà un bon moment, cette éventualité ne lui faisait plus peur. En revanche elle voulait revoir Dap et sa fille d'abord. Elle ne trouva rien d'intelligent à répondre, mais son regard parlait à sa place. Elle n'était pas très d'accord, n'avait pas peur. La grise gronda: Espèce de quoi! Espèce de quoi! Vas-y, je suis sans doute la seule de tout Galop Sauvage à conserver de Miu ce que personne n'a d'autre, à sa manière en tout cas! Tu veux savoir ce que c'est? Ou t'es prête à me jeter là au fond! Pour appuyer son attitude, elle mit un postérieur au dessus du gouffre, ancrant les trois autres dans le sol.

« Les deux. Tu peux m'le dire et j'te jette au fond. » Elle était probablement trop impulsive, mais elle se sentait vraiment en colère. Peut-être plus que jamais. Elle se sentait surtout vulnérable, et elle détestait cela également. Menaçante, les oreilles plaquées contre ses crins blonds, son blanc d'oeil visible, elle frappa le sol avec impatience.

Caelis sentit le feu monter en elle. Elle ramena son sabot sur la terre ferme et se cabra légèrement devant les naseaux de Lunaio. Vas-y! Tu vas tâter des techniques de ta mère! La grisette se savait en mauvaise posture. Mais une tournure inattendue surgit à quelques mètres des juments: Mara. Et pour ne rien arranger, les ombres acclamaient le spectacle derrière Caelis. Rejoins-nous, viens!

La palomino suivait la piste de sa mère, et fut surprise en sentant celle de Lunaio. Mara se tendit d'autant plus lorsqu'elle les entendit hurler comme des folles, et se précipita en avant. Elle avait toujours plus d'aise à se déplacer. Elle comprit les paroles de Caelis et sut qu'elle était assez proche. Les chuchotements des ombres renforcèrent son inquiétude. Premièrement tétanisée, elle hurla soudainement: Fait pas ça Luna! Tu vas la tuer si tu la pousses! Mara jugea préférable de ne pas en rajouter: Et tu vaudras pas mieux que Ramsès.

Lunaio se prépara alors. Elle n'avait apprit que peu de choses de la part d'autrui en matière de combat, cependant elle avait apprit beaucoup d'autres choses par elle-même. Mais ce n'était que des techniques précaires, qui ne lui servirait pas à remporter la bataille. Elle s'apprêtait à foncer sur la grise pour l'achever, quand une voix l'interpella, en arrière. Elle plaqua ses oreilles contre sa nuque. Mara. L'alezane lui jeta un coup d’œil, et remarqua immédiatement son handicap. Ainsi, elle était complètement dans le noir, désormais. Lunaio arqua son encolure, la tête commençant à lui tourner sévèrement. Elle n'en pouvait plus, ne pouvait plus continuer comme ça. Elle avait envie d'exploser, mais elle implosait. Un mince filet de sang s'écoula de ses naseaux, et elle eut à peine le temps de sentir l'odeur âcre du liquide corporel, qu'elle était déjà au sol.
Inconsciente.
Plongée dans l'obscurité.

Soudain, le silence. Mara se demanda ce qui s'était passé. Seul le vent souffla. L'odeur de Caelis était toujours là. Et puis d'un coup, une chute, silencieuse. Le corps qui heurte l'herbe. Celui de Lunaio. La palomino ne bougea pas, soupira, entendit les pas feutrés de sa mère qui foulaient le sol. Lentement. La grisette, un peu sonnée, étonnée de ce changement abrupte, posa ses naseaux près d'une oreille de l'alezane brûlée. Comme si elle était en mode pause, Mara ne bougea pas. Sa mère murmura à Lunaio, la voix un peu brisée. Tout ira bien, t'en fais pas Luna. On va veiller sur toi.

Les lèvres légèrement entrouvertes, Lunaio peinait à respirer. Elle crachait, de temps à autre, quelques gouttes de sang, ce qui s'avérait inquiétant. Elle peina à revenir à la réalité, se sentant faible, ne sachant plus où elle se trouvait. Elle observa autour d'elle d'un air hagard, ses prunelles azurées se cherchant un point de repère. Toussant de nouveau une flaque de sang, paniquée, elle se sentit pressée de se relever, comme si c'était une question de vie ou de mort. Une petite mare de sang par terre, elle se mit à reculer furieusement, apercevant à peine les deux équidés. Elle manqua de tomber dans le vide, arquant son encolure. Tremblante.
Que lui arrivait-il ?

Caelis soupira. La voyant reculer vers le vide, elle la poussa énergiquement du haut de sa petite taille. La grisette souffla de l'air par ses naseaux dilatés. Calme toi!
Mara, n'y voyant rien, fut inquiétée par l'agitation. La palomino gratta le sol, rendue anxieuse, et hennit doucement.

« Qui êtes-vous ? » Fit-elle en plaquant ses oreilles sur sa nuque. Elle avait une voix froide, mais surtout apeurée. Elle avait vraiment l'air d'avoir perdu la mémoire. Ses iris azurées étaient vides, avaient changé d'éclat. Elle se décala sur le côté, méfiante.

Caelis, en voyant sa réaction, crut à une blague. Elle recula ses oreilles, puis simplement de quelques pas. Mara prit place aux côtés de sa mère, hésitante. Luna? Qu'est-ce qui t'arrive? Fit-elle, si innocente. La grisette en revanche, demeurait réservée. L'alezane lui en avait déjà fait voir, et elle se méfia. Ses naseaux frissonnèrent, elle haussa un sourcil invisible. Caelis, et Mara. Tes amies. Fit-elle, désigna sa fille d'un coup de tête en sa direction.

« Luna.. » Répéta-t-elle à voix très basse, comme si elle cherchait dans sa mémoire. Elle recula davantage contre la pierre sur laquelle elle était déjà collée au maximum. Elle ne voulait pas qu'on l'approche, complètement déboussolée, comme si elle venait de naître dans un monde qu'elle ne connaissait pas. Lorsqu'elle entendit ces prénoms, elle eut un sentiment de familiarité, vous savez comme lorsqu'on sait quelque chose mais pas complètement, qu'on l'a sur le bout de la langue mais qu'on ne trouve pas. « C'est pas drôle. » Fit-elle en fronçant les sourcils, persuadée qu'on essayait de la duper.

Non, décidément, cette attitude ne ressemblait pas à la fille de Miu. Le front de Caelis se plissa, et Mara dansa d'un pied sur l'autre, incertaine. La palomino se secoua: Mais, c'est pas une blague! Caelis acquiesça d'un hochement de tête, puis s'approcha de Lunaio de quelques pas. La grisette posa son regard dans le sien.