mille vies pour un amant.

Je vole à ton secours, tes détresses en tambour
N'ont jamais fait surface dans tes yeux de velours.
Quand devant moi la grâce, si légère, tu dansais,
Tu cadençais tes valses, d'un adieu, jamais.

RHAEGAR.
La nuit est presque finie. La Lune, assassinée, va se teindre de rouge et faire passer le soleil pour coupable. Peu importe. Il est le plus beau meurtrier qu'il soit. Le plus innocent, aussi.
Ça marcherait peut-être avec toi, si on t'avait fixé des ailes d'ange dans le dos. Mais même les anges ont peur. Tu marches de ce pas lourd et silencieux qui te caractérise bien. Il y a une faille à ton plan. Un mur placé entre toi et son accomplissement. Une personne entre toi et ta nouvelle petite victime, la petite Maxine. Son père.
Tu l'as déjà vu. Au bord du gouffre, détruit par les épreuves, par les pertes. Un pantin désarticulé, que même le marionnettiste a décidé de mettre de côté. Et de laisser là, au sol, comme une poupée de chiffon. Tu marches sur ses traces depuis le milieu de la nuit. Mais tu as le temps.
On dit que le dernier jour d'une vie dure mille ans.

Tu vois bien qu'il a du mal. Qu'il lutte. Mais tu traines derrière, léger. Tranquille. Comme si tu t'apprêtais juste à faire une promenade de santé. C'est un peu ça. Il faut entretenir aussi ce côté que tu mets souvent de côté. Tuer physiquement. Ça fait longtemps. Tu t'ébroues, toujours aussi silencieux, avançant dans la neige simplement. Suivant les traces du noiraud.

Il s'est arrêté. Tu vois bien que la tâche noire un peu plus haut, comme de l'encre salissant le col de la montagne immaculée, s'est immobilisé. Qu'il n'avance plus. Qu'il ne peut plus avancer. Un sourire étrange se met en place sur tes lèvres. Tu continues, toi. Jusqu'à arriver à son niveau, aussi silencieux qu'un flocon de neige.
Bien plus dangereux pourtant. « Tu es presque au sommet, pourquoi s'arrêter en si bonne route ? » demandes-tu d'une voix aussi froide que le vent qui vous fouette.

Un sourire mi-cynique mi-attendri du mauvais côté s'affiche sur tes lèvres noires. Tu secoues la tête avec une résignation presque déçue. « Tu t'es laissé abattre. » murmures-tu simplement en le contournant, l'observant sous tous les angles. Le fier dominant du Nord n'est plus là, tu n'as devant toi qu'une ombre avec des couleurs, un maigre échantillon de ce qui aurait pu se tenir là, des années auparavant.

« Tu sais que j'ai raison. » craches-tu plus durement en le fixant sans ciller. Tu t'avances vers lui, le frôles, et sans prévenir, ton encolure se tend pour que tes dents viennent gratter et titiller ses genoux avant de la ramener vers toi.

Tu te comportes en miroir avec lui. Chaque pas en arrière qu'il fait, c'est un en avant pour toi. Pour ne jamais agrandir la distance entre vous deux. Tes yeux, eux non plus, ne le quittent pas. Tu ne clignes même plus. « Toi. » Cette fois, tu fais un pas en avant sans qu'il n'ait reculé. Tu amoindris la distance. Tu sens en toi tous les détails qui font de toi un chasseur. Un traqueur. Bien longtemps que tes pulsions n'ont pas repris le dessus, que tes réflexes devenus instinctifs ne se sont pas manifestés, que tu les fais taire pour mieux profiter de tes dons psychologiques. « C'est toi, que je veux, Noximilian. » Encore un pas en avant. Malgré-tout, tu ne peux pas t'empêcher d'user un peu de paroles vicieuses, qui, tu le sais parfaitement, vont s'insérer en lui comme un poison. Oui, tu ne peux pas t'empêcher de continuer à le détruire mentalement avant la fin. Alors, tu mets le doigt sur une blessure.
Ou plutôt, tu jettes carrément de l'acide dessus. « Il parait que mon demi-frère... était ton amant. Nous étions tous deux fils de Brooklyn, Nox. Tu as aimé un meurtrier, un fou, quelqu'un destiné à devenir comme elle. Et comme moi. Et aujourd'hui, je vais rétablir tout ça. »

Ton rire s'élève comme une étoile aux branches cassées et coupantes. Il tranche le silence comme une faucille. Puis tes yeux reviennent se braquer sur l'étalon noir, vers lequel tu avances encore d'un pas, le dominant de toute ton ombre, élargie par le point de vue. « C'est une excuse minable ! Je suis certain que tu lui en as voulu bien trop pour accuser seulement une « maladie ». Mon frère était taré. Violent. Méchant. Il me semble même avoir entendu qu'il avait sailli quelqu'un... » Bien sûr, tu sais qu'il s'agit de la jumelle même de Nox.
C'est drôle de s'apercevoir, à ce stade-là de l'histoire, comme tout est lié. Tu te détournes et reprends, d'un air visiblement détaché : « Rétablir la vraie vision des choses et du monde. Il est mort en assassin, mais en restant vivant, tu le fais vivre comme un martyr. » Pour toi, nulle histoire de Diable ou de possession (tu n'as de toute façon jamais rencontré ce demi-frère), mais seulement cet héritage violent dans ses veines, dans les vôtres.